BBC Afrique of Sunday, 22 December 2024

Source: BBC

Que deviendra Africa Corps, l'ex-Wagner, si la Russie perd ses bases en Syrie ?

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Le renversement soudain du président Bachar el-Assad et l'effondrement de son régime ont ébranlé le Moyen-Orient. À plus de 2 000 kilomètres de là, le Kremlin se trouve confronté à un problème.

Le sort des troupes russes du Africa Corps, qui apportent un soutien militaire à de nombreux pays de la région du Sahel, semble soudain compromis. Moscou pourrait perdre ses bases militaires en Syrie.

En 2017, Moscou a conclu un accord avec le président déchu el-Assad, donnant à la Russie l'usage d'une base navale dans la ville syrienne de Tartous, gratuitement pendant 49 ans.


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En conséquence, la Russie dispose de navires de guerre stationnés à Tartous, d'un nombre inconnu de sous-marins à propulsion nucléaire, d'entrepôts et de centaines de soldats soutenant les opérations militaires au Moyen-Orient et en Afrique.

Les deux pays se sont également mis d'accord sur une base aérienne russe près de Lattaquié - à environ une heure au nord de Tartous - où Moscou dispose d'avions de chasse, d'avions-cargos et de systèmes de missiles défensifs.

La Russie utilise ses bases en Syrie pour envoyer des armes, du carburant et du personnel à ses opérations militaires disséminées en Afrique, qu'elle mène par l'intermédiaire des groupes paramilitaires Africa Corps et Wagner.

Depuis la Syrie, ces fournitures sont ensuite livrées aux bases russes en Libye, qui sert de "tremplin" pratique pour les opérations de Moscou en Afrique, selon Oliver Windridge, directeur de la politique en matière de financement illicite au sein du groupe d'enquête The Sentry.

On ne sait pas encore si la Russie parviendra à négocier un accord avec les groupes rebelles qui ont renversé Al Assad (à qui Poutine a accordé l'asile en Russie) et si elle parviendra à conserver sa base en Syrie.

"Tout est mis en œuvre pour entrer en contact avec les personnes chargées d'assurer la sécurité et, bien entendu, nos militaires prennent également toutes les précautions nécessaires", a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, à la presse à Moscou.

Moscou a déjà commencé à retirer des navires de Tartous, en Syrie, selon des images satellites analysées par la BBC.


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Les gouvernements africains pourraient commencer à former davantage de personnel local

"Cela pourrait marquer le début de la fin de l'empreinte africaine [de la Russie]", déclare M. Windridge.

À la suite d'une série de coups d'État, les chefs militaires du Niger, du Mali et du Burkina Faso ont mis fin à leurs partenariats de sécurité avec la France et d'autres pays occidentaux, choisissant plutôt de travailler avec l'Africa Corps de la Russie.

"Moscou a trouvé un créneau pour soutenir les seigneurs de la guerre, les juntes et les despotes que l'Occident a sanctionnés ou isolés en raison de l'organisation de coups d'État, de problèmes de gouvernance ou de droits de l'homme", explique Alex Vines, chercheur à l'institut d'études politiques Chatham House.

Les troupes russes d'Africa Corps sont désormais présentes sur le terrain dans plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest : le Mali, le Burkina Faso, le Niger et la Guinée équatoriale.

Toutefois, son déploiement le plus important se situe en République centrafricaine, où "jusqu'à 2 000 hommes ont contribué à déjouer un coup d'État, à assurer la sécurité et la formation et à développer des intérêts commerciaux, notamment dans l'exploitation de mines d'or et la vente d'armes", selon M. Vines.

Africa Corps compterait également un millier d'hommes au Mali, moins d'une centaine au Burkina Faso et jusqu'à 800 hommes déployés en Guinée équatoriale pour protéger Teodoro Obiang Nguema Mabasogo, le président le plus ancien d'Afrique.

Si ces troupes perdaient leur capacité à recevoir rapidement des fournitures de Moscou via la Syrie, les gouvernements africains qui comptent sur la Russie pour leur défense pourraient être vulnérables aux attaques des rebelles ou des groupes d'insurgés.

Une rare attaque contre la capitale du Mali, Bamako, en septembre dernier, a montré à quel point certaines villes pouvaient être vulnérables. Un porte-parole du groupe d'insurgés Jama'at Nusrat al Islam wa al Muslimeen (JNIM), affilié à Al-Qaïda, a promis d'autres attaques contre les centres-villes, rapporte l'Institute for the Study of War.

Des groupes comme le JNIM sont susceptibles d'analyser la situation en Syrie et d'en tirer parti, selon Beverly Ochieng, analyste basé au Sénégal pour la société de sécurité Control Risks.


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"Nous avons même vu des groupes d'Al-Qaïda au Mali célébrer les événements en Syrie", déclare Beverly Ochieng.

Le Burkina Faso et le Niger pourraient se trouver dans une position vulnérable similaire, selon Moscou. Des troupes supplémentaires sont présentes dans le pays pour "assurer la sécurité du dirigeant du pays, Ibrahim Traoré, et du peuple burkinabé contre les attaques terroristes", explique Ochieng.

Où la Russie peut-elle baser ses opérations ?

Le Kremlin pourrait chercher ailleurs une nouvelle base pour ses opérations en Afrique. Deux pays sont des candidats de choix : la Libye et le Soudan. Tous deux offrent des opportunités mais aussi des risques pour Africa Corps.

Les liens entre la Russie et la Libye sont établis de longue date, avec une présence militaire d'environ 1 500 personnes selon les données de l'Institut polonais des affaires internationales et du Bloomsbury Intelligence & Security Institute.

Cependant, "la Russie devrait établir une ligne d'approvisionnement directe entre son propre territoire et la Libye", explique Oliver Windridge, de The Sentry : "ses opérations deviendraient plus compliquées, plus coûteuses et soumises à un processus décisionnel plus strict".

Par exemple, l'approbation de la Turquie serait nécessaire pour les routes maritimes ou pour les vols de fret traversant l'espace aérien turc, sans quoi une escale de ravitaillement deviendrait inévitable.

La Russie se heurterait également à l'opposition de la plus haute autorité religieuse de Libye, le grand mufti Dr Sadiq Al-Ghariani, qui a comparé la présence russe dans le pays à celle des anciennes puissances coloniales.

L'autre option est le Soudan, où la Russie a cherché à relancer un accord de 2017 pour construire une base navale près de la ville côtière de Port-Soudan.

"C'est stratégique, car l'influence russe s'accroît dans la région qui s'étend du Soudan au Mali, que nous appelons la ceinture des coups d'État", explique M. Ochieng.

Toutefois, le niveau élevé de violence et d'instabilité politique causé par la guerre civile en cours est susceptible de limiter la portée d'une base militaire dans cette région, du moins pour le moment.

En fin de compte, ce sont les populations du Burkina Faso, du Mali et d'autres pays où les forces paramilitaires russes sont actives qui risquent de devenir plus vulnérables si la Russie perd son bastion en Syrie - et avec lui, la capacité d'approvisionner de manière adéquate son Africa Corps.


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