Célestin Bedzigui, candidat à l’élection présidentielle 2025, le président du Parti de l’alliance libérale (Pal) fait une autopsie de la lutte contre la corruption à la lumière de l’affaire Glencore, qui devrait marquer un nouveau virage dans cette croisade.
Le débat public bruit ces jours derniers sur des faits de corruption par la compagnie suisse Glencore qui auraient causé un préjudice financier considérable à l'État du Cameroun. Quelle est votre appréciation de cet état de fait?
La corruption, mot auquel il faut associer les détournements de fonds publics, est une maladie insidieuse comme un cancer qui ronge les capacités de l'État à assurer ses missions, du fait de l'hémorragie des ressources qu'il subit, du fait des ponctions résultant des mécanismes et des dispositifs animés par des individus auxquels le pays a accordé la confiance d'être aux postes-clés. Ceuxci abusent de cette confiance pour la satisfaction de leur besoin d'enrichissement personnel. Cette pratique a engendré un système paradoxal, celui d' un pays où une petite tranche de la population est scandaleusement riche, alors que l'État même et la très grande majorité de la population sont pauvres, très pauvres.
Jusque-là, cet état de fait ne suscitait pas l'émoi que l'on observe aujourd'hui. Qu' est ce qui explique cet intérêt soudain de l'opinion pour ce sujet ?
Permettez moi de souligner au passage que la chose la plus à déplorer est que ce soit sous un régime dont le devise à sa naissance était la moralisation de la vie publique que la corruption a pris un tel envol. Et revenant à votre question, il faut dire sans ambages que l'affaire Glencore-Snh-Sonara est le scandale qui a éveillé ces temps derniers l'attention de l'opinion du fait que c'est de l'étranger qu’il nous est revenu, aveux par devant des tribunaux à l'appui, que des Camerounais avaient bénéficié de produits de la corruption. Jusque-là, le pays vivait la corruption comme une humeur dans l'atmosphère, insaisissable pourtant présente, bénéficiant de noms mais sans visages, avec le CANGate ou le COVIDGate. Pour la première fois, avec le cas Glencore, par des sources extérieures de crédibilité incontestable, la corruption est cernable, son mécanisme est connu, la facilitation, les entités impliquées sont identifiées, Glencore la Snh et la Sonara, les acteurs, corrupteurs étrangers sont passés aux aveux, les corrompus camerounais, il ne reste que de voir la justice britannique, américaine ou suisse divulguer leurs noms, ce qui arrivera bientôt nous l'espérons.
Pourquoi cela n'avait pas été possible par le passé alors que de forts soupçons voire des constats fournissaient des indices crédibles de corruption?
Il faut dire que nous sommes en présence d'un phénomène qui bénéficie d'un « intelligent design » presque parfait avec des maquillages élaborés, des campagnes médiatiques et de rumeurs qui sont des rideaux de fumée derrière lesquelles on pille allègrement et, pour couronner le tout, une impunité administrative éhontée et une impassibilité judiciaire absolument paradoxalement criminelle. Voilà le tableau éclairé par ce cas Glencore qui nous commande, la lutte contre la corruption étant un des mantras de notre projet présidentiel, d'approfondir la réflexion et l'éducation de l'opinion sur ce fléau, d’agir à partir de ce cas pour faire tomber les masque et ainsi voir fondre sous le soleil de la vérité l'immoralité, les collusions de scélérats et pour tout résumer, les crimes et trahison de certains hauts cadres des services apparentés à l'État.
Pensez vous vraiment que l'éradication de ce phénomène qui semble être ancré dans les mœurs publiques soit encore possible ?
La corruption au Cameroun interpelle six pôles: les corrupteurs, les corrompus, l'entité qui est le théâtre de la corruption, la Conac, la justice, la classe politique et les organisations de la société civile. À ce jour, corrupteurs, corrompus et entités théâtres de la corruption sont restés solidaires dans un silence d'omerta mafieux, laissant la Conac et les dénonciateurs politiques ou de la société civile à leur impuissance. Et pourtant, la corruption peut être combattue par une alliance isolant l'axe corrompus-corrupteurs, créant ainsi un pôle d'intérêt commun composé de l'entité hébergeant, la Conac, les politiques et la justice. Mieux, l'élément le plus décisif est la rupture du lien d'omerta signalé plus haut dans lequel est impliqué l'entité où est pratiquée la corruption ou le maître d'ouvrage.
Est- il possible ou réaliste qu'un tel scénario soit mis en œuvre ?
Que si! Il vient de survenir un fait majeur qui va dans le sens que nous évoquons et qui pourrait marquer une étape décisive dans la lutte contre la corruption dans notre pays. Ce fait qui devra faire date dans cette moralisation tant recherchée de notre vie publique est la plainte contre X avec constitution de partie civile déposée au Tribunal criminel spécial (Tcs) depuis des mois par l'Adg de la Snh, information rendue publique il y a quelques jours. Le fait que l'administrateur directeur général se soit désolidarisé du cercle de l'omerta, sachant qu'il en faut du courage pour sortir d'un cercle mafieux, ce fait disais-je doit vraiment lui valoir un respect certain et un rétablissement de son honneur, pour quelqu'un ces derniers temps qui a été présenté comme la cheville ouvrière de cette maldonne. Il n' est pas dans mes habitudes de le faire ou d'inviter à le faire, mais en voyant dans cet acte une avancée significative dans la dénonciation de la corruption dans notre pays, je me dit que cela devrait valoir à son auteur la reconnaissance d'une certaine probité voire d' une probité certaine mais surtout, être l'exemple que devrait suivre les maîtres d'ouvrages des opérations qui ont donné lieu à scandale comme le COVID ou la CAN. Vous me direz peut-être que je rêve, je dis non, cela devra bien être envisagé un jour, de telles calamités financières ne pouvant être passées par pertes et profits pour les chantres de la lutte contre la corruption que nous sommes.
Ne craignez vous pas que Glencore soit l'arbre qui cache la forêt et qu’une fois le verdict rendu en Occident on en revienne à la pratique, comme de coutume ?
Il faut justement éviter de faire de Glencore un coup, une occasion de récupération politique bruyante. Ce doit être plutôt un point de départ dont la reconnaissance de ceux qui ont posé des actes fondateurs sera le ressort pour demander à d'autres personnes de suivre cet exemple. Je me satisfait déjà de la rumeur de ce que le président de la République qui jusque-là est resté silencieux sur ce sujet aurait demandé au ministre des Finances de se porter partie civile dans les procédures en cours en Suisse et en Angleterre. C'est un grand pas dans la bonne direction.
Faudrait- il ne se satisfaire que des actions menées à l'étranger sans que localement rien de significatif ne soit fait pour changer ces pratiques répréhensibles ?
En effet, un assainissement local devra être effectué. Dans le cas actuel par exemple, on peut demander à Madame la procureure du Tcs pourquoi la plainte déposée par la Snh depuis bientôt un an n'a donné lieu à aucun début de traitement, même pas à une audition sur procès du plaignant? C' est là un des indices du fait que certaines instances sont sous influence, ce qui favorise ces pratiques.
Un problème systémique de cette nature s'accommode-t-il de solution du type mise en cause individuelle ou ponctuelle ?
J'ai fait de l'éradication de la corruption un des piliers de mon projet présidentiel qui associera le rejet radical de l'impunité avec la mise en place d'une alliance pour la lutte contre la corruption. L' Alliance pour la lutte contre la corruption est le moyen indiqué pour mettre un terme à ce fléau. Son objectif sera d'isoler le couple «corrupteur-corrompu» et le priver de la protection de l'entité théâtre de la corruption ou d'une justice impassible, ce dernier aspect étant un niveau criminel absolu s’il s'avérait que la voie ouverte en amont ne pourrait pas permettre en aval une juste punition des auteurs de corruption du fait d'un blocage judiciaire. À partir du cas de Glencore et de l'exemple de la Snh, le mouvement de l'Alliance pour la lutte contre la corruption envisagent de renforcer les pouvoirs de la Conac en lui reconnaissant un droit de saisine directe des tribunaux et celui de témoigner devant ceux-ci. Par ailleurs, il sera prescrit au Tcs une durée plafond d'instruction et de procès pour les faits ne devant pas excéder un total de 12 mois. Nous resterons attelés à ces réformes jusqu'à l'éradication totale de ce mal absolu de notre corps étatique et sociétal.