Créée le 18 août 2018, la Société métropolitaine d’investissements de Douala (Smid) avait réussi à mobiliser 5,4 milliards de Fcfa sur les 10 milliards sollicités, pour constituer son capital social. L’objectif final était d’amasser à terme 1400 milliards FCFA, afin de construire certaines infrastructures dans la capitale économique. A ce jour, les pauvres épargnants n’ont jamais reçu de dividendes. Plus grave, cette société, qui suscitait beaucoup d’espoir pour l’avenir des projets structurants, annonce plutôt des jours sombres devant elle. Où sont donc passés les projets de l’extension du marché New-Deïdo, de la construction du Centre de loisirs de la Bessékè… ?
A peine trois ans après sa création, la Smid bat de l’aile. Un communiqué du conseil de la Communauté urbaine de Douala (Cud) l’avait déjà signalé, à l’issue de son assemblée générale du 31 mars dernier, portant sur l’examen du compte administratif de l’exercice clos au 31 décembre 2020. Le conseil avait déclaré « avoir pris connaissance de la situation qui prévaut à la Société métropolitaine d’investissement dont les informations financières disponibles font état d’un résultat d’exploitation déficitaire après plus de deux ans d’activités, d’investissements à l’arrêt et sans perspective de reprise, d’une trésorerie inexistante, ainsi que des charges de fonctionnement disproportionnées, toutes choses qui ont absorbé la totalité du capital social initial et compromettent la continuité de l’exploitation de cette société ». Par conséquent, le conseil de Cud avait « enjoint le maire de la ville de Douala de défendre, sans concession, dans le cadre des procédures judiciaires en cours, d’une part, les intérêts de la ville de Douala dont l’engagement financier direct s’élève à environ 2,5 milliards de Fcfa, et d’autre part, ceux des petits souscripteurs qui avaient été convaincus par l’engagement de la Communauté urbaine de Douala dans ce projet et qui se retrouvent aujourd’hui sans perspective de retour sur investissements ». En réalité, les signes annonciateurs de cette catastrophe se sont fait sentir depuis le 12 février 2021, lorsqu’un magistrat du tribunal de première instance de Douala a signé un jugement en référé ordonnant la mise de l’entreprise sous administration provisoire. Un peu plus d’un mois plus tard, l’assemblée générale mixte (ordinaire et extraordinaire) de la Smid, convoquée par son président du Conseil d’administration, Dr Fritz Ntonè Ntonè, prévue le 25 mars 2021, n’a pas pu se tenir. En effet, le tribu- nal de première instance (Tpi) de Douala- Bonanjo, statuant en matière de référé d’heure à heure dans l’affaire opposant la Smid S.a., agissant poursuites et diligences de son administrateur provisoire, sieur François Maurice Njoh, contre sieur Fritz Ntonè Ntonè, portant interdiction de toute Assemblée générale convoquée par ce der- nier, a prononcé l’interdiction de la tenue de cette assise qualifiée d’illégale. Une sentence rendue dans l’après-midi du 23 mars 2021.
Le tribunal motive sa décision par les multiples dysfonctionnements constatés à la Smid S.a., sous l’ère Fritz Ntonè Ntonè, notamment l’absence d’Assemblée générale légalement convoquée depuis l’assemblée générale constitutive du 17 août 2018 ; sa cooptation comme administrateur, alors qu’il ne détient pas d’actions, et sa nomination comme président du Conseil d’administration, par le canal d’un mécanisme illégal, opéré en violation des statuts de la Smid et de l’acte uniforme Ohada portant droit des sociétés commerciales et Groupement d’intérêt économique ; la désignation le 12 février 2021, par ordonnance n°68/Hh, du président du tribunal de première instance de Douala-Bonanjo, statuant en matière de référé d’heure à heure, d’un administrateur provisoire en la personne de sieur François Maurice Njoh, laquelle désignation de fait, dessaisit de plein droit les organes sociaux de leurs pouvoirs et prérogatives. Cette désignation, argue le tribunal, fait suite à la paralysie provoquée par le non-renouvellement du mandat des administrateurs et du président du Conseil d’administration arrivé à terme et la non-tenue de l’Assemblée générale légale. Une addition d’actes extrêmement préjudiciables à la Smid S.a., susceptibles de provoquer sa faillite.
Le tribunal fait également observé que cet entêtement de sieur Fritz Ntonè Ntonè à vouloir tenir cette Assemblée générale n’est ni plus ni moins qu’un stratagème de ce dernier de se soustraire à l’audit comptable et de dissimuler ses multiples forfaits. L’ensemble de ces éléments juridico-factuels, selon le tribunal, justifie amplement l’interdiction de toute Assemblée générale voulue, sollicitée et convoquée par Dr Fritz Ntonè Ntonè, notamment celle du 25 mars 2021. Le 19 mai 2021, Me Giorgie Massi Ngakele déposait une plainte auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance (Tgi) du Wouri, à Douala, contre Fritz Ntonè Ntonè, ancien délégué du gouvernement auprès de la Cud et consorts, destinée à lever les fonds pour réaliser des projets d’infrastructures dans la ville de Douala. L’avocat, agissait ainsi au nom et pour le compte de François Maurice Njoh, expert-comptable et administrateur provisoire de la Smid, désigné le 12 février 2021, par le Tpi de Douala-Bonanjo, les accusant notamment de détournement de deniers publics, entraves au fonctionnement du marché financier, non déclaration du conflit d’intérêts. En somme, une plainte qui s’appuie sur un pré-rapport de la mission d’inspection générale de la Commission de surveillance du marché financier d’Afrique centrale (Cosumaf). Le document relevait, à cet effet, «un faisceau d’éléments contraires à l’orthodoxie managériale prévue par le législateur communautaire Ohada, en matière de droit de société commerciale et de groupement d’intérêts économiques ».
De plus, il aurait aussi des violations de la loi pénale. Par ailleurs, note l’avocat, «la société Edc- Investment Corporation-Ecobank a brillé par une opacité sciemment, complice dans la restitution du bilan de l’opération d’ap- pel public à l’épargne ». Ce dernier ex- plique que «malgré plusieurs relances à la société Edc-Investment Corporation-Ecobank (conseiller financier de l’opération), ni la Smid ni la Cosumaf n’ont reçu le relevé du compte séquestre, aucune pièce comptable justificative des paiements effectués au profit du tiers ».
De plus, la société Edc-Investment Corporation-Ecobank, dans un rapport de clôture de l’opération, a indiqué une somme de 5414790000 Fcfa, alors que les relevés du compte séquestre indiquent, curieusement, un solde de 4011990202 Fcfa. Selon certaines indiscrétions, l’administrateur provisoire n’avait pas accès aux comptes, suite à une opposition engagée auprès du tribunal par Fritz Ntonè Ntonè. Ce qui a paralysé son fonctionnement. Il a fallu attendre l’ordonnance du Tpi de Bonanjo-Douala, datée du 12 août 2021, pour entrer en possession des relevés de compte et constater que les mouvements continuaient d’être opérés par l’ancienne équipe. C’est ainsi qu’un décaissement de 115 millions de Fcfa aurait été effectué, alors que la banque avait, par courrier, demandé de surseoir à toute opération, en at- tendant la décision du tribunal. Une décision qui devait pourtant être valable pour les deux parties. De là à parler de complicité de détournement, il n’y a qu’un pas, facile à franchir.
Rappel historique
Au départ, une «Equipe-projet», supervisée par le délégué du gouvernement auprès le Cud et comprenant une cinquantaine d’experts nationaux et internationaux, mobilisés en partie par l’Aimf, de divers domaines de compétences et représentants des organismes publics, des entreprises privées, le patronat et des principales administrations camerounaises impliquées dans le développement local (finances, urbanisme, planification, …) a été instituée.
Au terme des réflexions engagées autour de trois groupes de travail («aspects juridiques et réglementaires », « organisation et mise en place de la Smid »; « promotion et légitimation de la Smid »), cette «Equipe-projet» a formulé des propositions pertinentes, en vue d’encadrer au mieux la mise en place de la Smid. A cet égard, l’hypothèse définitivement retenue pour la constitution du capital de la Smid, d’un montant de 10 milliards de Fcfa, à l’origine, a été de recourir à l’appel public à l’épargne dénommé « Ape-Smid », sur le marché financier camerounais. Dans cette perspective et conformément aux dispositions pertinentes précisant les modalités de fonctionnement de ce marché, la Cud a dû recourir à un Prestataire des services d’investissement (Psi) ou Conseiller financier, en l’occurrence Edc investment corporation (Eic) du Groupe bancaire panafricain Ecobank, en vue de l’aider à structurer cet «Ape», à l’aune d’une notice d’information adossée sur les statuts de la Société. Investisseurs concernés et caractéristiques de l’opération, l’« Ape Smid » était destiné aux personnes physiques et morales du Cameroun, ainsi qu’aux investisseurs régionaux et internationaux (y compris les personnes physiques de la diaspora camerounaise, en accord avec les lois en vigueur dans leurs pays de résidence). Les principaux termes de l’offre étaient présentés ci- après : montant de l’émission : 10 000 000 000 Fcfa ; nombre d’actions émises : 10 000 ; valeur nominale de l’action : 10 000 Fcfa ; forme des titres : actions nominatives et dématérialisées ; nature des titres : actions ordinaires ; montant minimum de souscription : 150 000 Fcfa.
Se référant aux dispositions législatives en matière de décentralisation, ne permettant pas aux collectivités territoriales décentralisées et aux organismes publics de détenir plus de 33 % d’une société d’économie mixte ou anonyme, les actions constituant le capital social de la Smid ont été divisées en quatre catégories d’égale valeur et reparties ainsi qu’il suit : les actions de catégorie A, dé- tenues par la Cud et les Communes d’arrondissement, à concurrence de 23 % ; les actions de catégorie B, détenues par les entreprises des secteurs public et parapublic, dont : le Port autonome de Douala, la Société immobilière du Cameroun, à hauteur de 10 % ; les actions de catégorie C, détenues par les entreprises du secteur privé à hauteur de 20 % ; les actions de catégorie D, détenues par les personnes physiques à concurrence de 47 %, étant entendu qu’aucune personne physique ne pouvait détenir individuellement plus de 5 % du capital social.
Il conviendrait de s’attarder quelque peu sur cette catégorisation des actions, pour relever la volonté politique de promouvoir l’actionnariat populaire, en offrant la part prépondérante du capital aux personnes physiques, à l’effet d’intéresser le maximum des habitants à cette initiative, autrement dit afin qu’ils se l’approprient. La période de souscription de l’opération Ape-Smid a été ouverte pour la période allant du 5 avril ou 22 mai 2018, puis prorogée au 05 juillet 2018. A l’issue des travaux de la commission de dépouille- ment le résultat a révélé 2353 bulletins de souscriptions, portant sur 541 479 actions soit 5 414 790 000 Fcfa collectés par les établissements placeurs. Autrement dit, l’«Ape-Smid » a été souscrit à hauteur de 54 %.
Au départ, l’objectif final de la Smid était de mobiliser à terme 1400 milliards Fcfa, afin de construire certaines infrastructures telles que le «Centre international des conférences de Douala » (12,4 milliards Fcfa), la «gare routière multimodale de Bonabéri» (1,9 milliard), la «Forêt urbaine » située dans la vallée de la Bessékè (2,29 milliards), le «parc des expositions de Douala» pour un coût estimatif de 8,5 milliards de Fcfa, etc. Plus tard, les fonds levés seront affectés au financement partiel de deux projets pilotes, à savoir : la réhabilitation et l’extension du Marché New-Deïdo et la construction du centre de loisirs de Bessékè, contre ceux initialement prévus, en raison du niveau des fonds levés. A ce titre et au-delà de ce qui précède, les domaines d’investissement de la Smid sont essentiellement adossés au cadre de programmation défini par le Plan directeur d’urbanisme de la ville de Douala à l’horizon 2025, à savoir : les équipements marchands ; la promotion immobilière; les transports, les aménagements urbains, la promotion de l’économie numérique, l’accompagnement des jeunes entrepreneurs, etc.
L’Assemblée Générale constitutive de la Smid s.a. s’est tenue à Douala, le 17 août 2018 et dans son prolongement, la tenue de son premier Conseil d’administration constitué de 15 membres, le 18 août 2018, sous la présidence effective du délégué du gouvernement auprès de la Cud.