Infos Business of Tuesday, 16 November 2021

Source: Info Matin

Affaires : révélations sur le rôle de Maurice Kamto dans le système Paul Fokam

'C’est une relation de grand frère à petit frère entre eux' 'C’est une relation de grand frère à petit frère entre eux'

Le natif de Baham a la réputation de cultiver la solitude. Au Cameroun, en quarante ans, il a néanmoins tissé autour de lui un réseau, sans égal, mêlant politique et VIP des affaires.

A73 ans, Paul Fokam Kammogne demeure l’un des VIP du monde des affaires camerounais. Son groupe Afriland First Bank (AFB) dont le holding AFG est basé en Suisse, ce qui lui vaut des reproches récurrents de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), est présent dans sept pays, de l’Ouganda au Bénin, en passant par le Soudan du Sud. L’entrepreneur, qui pratique le cloisonnement et la solitude jusqu’à l’extrême, jouit d’une influence jamais démentie depuis environ quarante ans.

Sur ses terres, c’est lui qui choisit avec parcimonie ceux qui auront ses faveurs en se tenant à l’écart du « groupe social du 30 », ce regroupement informel qui réunit régulièrement la fine fleur de l’élite bamiléké des affaires et de l’administration, dont le recrutement, à l’image des clubs anglais, s’effectue par cooptation.

Les relais dans le business

Cela ne l’empêche pas de cultiver une amitié de longue date avec André Siaka, l’ancien patron des Brasseries du Cameroun et fondateur de Routd’Af qui le fit entrer au bureau du Groupement interpatronal du Cameroun (Gicam), où les deux siègent à présent au comité des sages. L’homme d’affaires apprécie aussi beaucoup Albert Nkemla, qui le considère comme « le grand frère » qu’il n’a « jamais eu ».

L’ancien employé de Société générale Cameroun et fondateur du holding Afrigroupe a bénéficié des conseils du capitaine d’industrie tout au long du processus ayant conduit à l’octroi en mai 2018 de l’agrément bancaire à son institution de microfinance, le CCA (Crédit communautaire d’Afrique). C’est Jean Nkuete, originaire de Balessing (département de la Menoua), comme Nkemla, qui contribua à rapprocher les deux hommes.

Dans ce cercle restreint, Nana Bouba Djoda tient une place particulière. Ce self-made-man originaire de l’Adamaoua, dans le septentrion, est en quelque sorte son coup de cœur, tant le banquier s’est personnellement occupé de la croissance de son groupe, notamment sa mutation de la distribution vers l’industrie, lorsqu’il pilotait encore la filiale camerounaise d’AFB. Récemment impliqué dans un scandale lié la gestion des fonds Covid, Mohamadou Dabo complète ce tableau, au point où le consul de Corée du Sud au Cameroun siège au tour de table des filiales guinéennejs , d’Afriland Bank et de SAAR Insurance.

Les amitiés politiques

Dans la sphère politique locale, son commerce avec l’opposant Maurice Kamto, les deux étant originaires de Baham (département des Hauts-Plateaux) -est proverbial. «C’est une relation de grand frère à petit frère entre eux, qui remonte bien avant l’entrée du dirigeant du MRC [Mouvement pour la renaissance du Cameroun] en politique. Paul Fokam apprécie particulièrement “cette mécanique intellectuelle” qu’est Maurice », glisse un familier des deux hommes.

Côté majorité, il peut s’appuyer sur Jean Nkuete, l’actuel secrétaire général du RDPC (Rassemblement démocratique du peuple camerounais, au pouvoir), qui sert parfois de relais entre les entrepreneurs bamiléké et le palais d’Etoudi. Lorsque cet économiste était secrétaire général de la présidence, il avait intercédé auprès du chef de l’État Paul Biya pour que la Caisse commune d’épargne et d’investissement (CCEI, ancêtre d’AFB) obtienne l’agrément bancaire en 1987.

Même s’il est aujourd’hui hors-jeu du fait de son emprisonnement à la prison de Kondengui, Jean-Marie Atangana Mebara continue de jouir de l’estime de Paul Fokam. L’ancien secrétaire général de la présidence avait tenté en vain de favoriser en 2006 le duo constitué de SN Brussels et Cenainvest, la filiale dévolue au capital-risque d’AFB, pour la reprise des 51 % des parts de la Camair-co.

Une initiative torpillée par le Premier ministre de l’époque, Ephraïm Inoni. Si une certaine distance s’est instaurée entre Paul Fokam et son ancien employé Alamine Ousmane Mey(ancien patron de la branche camerounaise d’Afriland) après l’entrée de ce dernier au gouvernement, l’entrepreneur aime à se souvenir de sa relation privilégiée avec le père de l’actuel ministre de l’Économie, un baron de l’ère Ahmadou Ahidjo.

Les piliers de son système

«Alamine a avalé bien des couleuvres lorsqu’il’ dirigeait la banque», rappelle un homme d’affaires ayant longtemps bénéficié du soutien de l’établissement. Car en son sein, Célestin Guela Simo, neveu de Paul Fokam, dicte sa loi depuis deux décennies. Ce dernier s’appuie sur l’actuel directeur général adjoint pour promouvoir, à coup de crédits, l’émergence des jeunes entrepreneurs locaux.

Pour peser sur le système bancaire camerounais, le fondateur d’Afriland compte sur Alphonse Nafack, dirigeant de la filiale locale de son groupe qui assure la présidence de l’Association professionnelle des établissements de crédit du Cameroun (Apeccam), et Pierre Kam, ancien patron de la défunte Africa Leasing Company (ALC), qui tient son secrétariat général. Dans l’assurance, il peut compter sur le fidèle Georges Léopold Kagou pour tenir les rênes de la Société africaine d’assurance et de réassurance (Saar).

En attendant d’épuiser le contentieux qu’il entretient avec la BEAC, qui continue de lui demander de rapatrier le holding AFG dans la zone, Paul Fokam a renforcé sa mainmise sur celui-ci depuis la sortie du tour de table de la banque de développement néerlandaise FMO. Si Jean-Paul Kamdem continue de tenir la boutique à Genève, Joseph Toubi se charge de son déploiement international, dont la dernière en date est l’implantation en Ouganda.

Le fondateur du groupe peut aussi s’appuyer pour le conseiller sur l’ex-ministre tunisien de l’Économie, Hakim Ben Hammouda, dont il fit la connaissance lorsque ce dernier dirigeait le bureau Afrique centrale de la Commission économique pour l’Afrique (CEA).

Bien que le tycoon camerounais ne songe pas encore à passer la main, il a néanmoins préparé la relève depuis deux décennies. Parmi les favoris, son fils, Valéry Kammogne Fokam, ingénieur en électrotechnique qui figure déjà au conseil d’administration d’AFG et a longtemps dirigé la Société industrielle de traitement de cellulose (Sitracel), la branche du groupe dédiée à la fabrication des produits hygiéniques et paramédicaux. En embuscade, son frère Christian Fogaing Kammogne. Cet ingénieur en électronique et électrotechnique se fait les dents sur les bords de la lagune Ebrié en tant numéro deux de la filiale bancaire ivoirienne.

Son ami Alpha Condé

Si ses affaires l’ont conduit dans bien des palais, il n’y a conservé que de rares amitiés. La chute d’Alpha Condé en Guinée, sans doute son plus fervent supporter à l’international, représente à ce titre un coup dur. Le 21 juin dernier, le président déchu louait encore sa « contribution exceptionnelle à la lutte contre la pauvreté » dans son pays, en lui décernant la médaille de commandeur de l’ordre national du mérite.

En pratiquement une décennie, le fondateur d’AFG avait évolué en terrain conquis à Conakry. Il y à ouvert une banque et un£ compagnie d’assurance, implanté son réseau de microfinance et a porté la Banque nationale d’investissements de Guinée (Bnig), dont il assure la présidence du conseil d’administration en détenant 10 % des parts, sur les fonts baptismaux. La mise à l’écart de son ami risque également de mettre un terme au bail de Guy Laurent Fondjo, «Fokam boy» décomplexé et actuel patron d’AFB Guinée, au poste de conseiller spécial au palais de Sékhoutouréya.

Autre coup de canif dans son réseau, attendu celui-ci : son retrait définitif et négocié de Guinée équatoriale en début d’année. S’il s’est longtemps très bien entendu avec Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, Paul Fokam s’était depuis quelques années brouillé avec le chef de l’État, qui lui reprochait un manque de transparence dans la gestion de la filiale locale d’Afriland dont Malabo est actionnaire. Yaoundé lui aurait évité une sortie encore plus brutale.