Si la science économique est son dada, il a connu la gloire comme acteur de la société civile et trouve le temps depuis plus de 30 ans pour réfléchir et publier sur le continent africain. Vice-président de la Banque Africaine de développement après avoir servi à la Banque Mondiale et à l'Onudi (Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI), Célestin Monga figure aujourd'hui parmi les intellectuels dont la dissidence, les publications et les analyses philosophiques font autorité. Non sans soulever quelques polémiques...
Qui est-il ?
La question peut paraître saugrenue, mais s'agissant de lui, elle prend tout son sens. Sa figure irradie les imaginaires politiques et sociaux de son pays, et même au-delà, étant donné ses multiples états de service qui, depuis près de trois décennies, en ont fait un sujet des plus brillants et des plus intéressants originaires d'Afrique. Célestin Monga est un homme à plus d'une casquette.
Lui qui est présenté suivant les contextes comme banquier, écrivain, essayiste, journaliste, critique, philosophe, acteur de la société civile ou fonctionnaire international. Lui dont la sincérité et la justesse des analyses en font un intellectuel de premier plan originaire du continent africain et dont les vues sont souvent attendues, espérées, souhaitées même.
Si le sujet Célestin Monga est si important, c'est qu'il porte en lui les stigmates d'une vie personnelle entrée en collision avec une vie publique qu'il n'avait pas, à vrai dire, programmée. Fils de fonctionnaire, il choqua son père, à 13 ans, en lui annonçant son désir d'être écrivain dans un pays au monolithisme barbant et terrifiant.
Son pays le Cameroun ployait alors sous de fameuses ordonnances de 1962 sur la subversion qui étouffaient dans l'œuf toute velléité de rupture avec l'ordre établi et dont la répression en était le corollaire.
Un vœu qui lui vaudra les foudres paternelles assorties d'un transfert dans un établissement technique où il fera de la comptabilité pour finir banquier à la fin de ses études universitaires en France.
Sujet brillant, il s'en retournera au bercail au mitan des années 80, comme il était de coutume en ces temps-là, pour devenir le plus jeune directeur d'agence de l'une des plus grandes banques du Cameroun, la Banque internationale pour le commerce et l'industrie du Cameroun (BICIC) à Douala.
Non sans avoir publié une volumineuse somme de chroniques sur la conjoncture camerounaise et au titre évocateur de «Cameroun quel avenir ?» (Paris, éditions Silex, 1985).
Un recueil de chroniques qui, avec ses articles dans les journaux Jeune Afrique et Jeune Afrique Economie, donnait le ton d'une vie publique qui allait pencher vers une dissidence assumée comme on n'allait pas tarder à s'en apercevoir.
«La naïve consolation de gagner confortablement ma petite vie et d'éprouver le sentiment du devoir bien accompli dans mon grand bureau feutré de Douala m'apparaissait comme un cache-sexe bien dérisoire pour ma conscience»
Soif de démocratie
A Douala où il prend ses quartiers, la vie de banquier semble lui peser. Célestin Monga côtoie la misère des siens avec une certaine souffrance.
Il écrira plus tard : «la naïve consolation de gagner confortablement ma petite vie et d'éprouver le sentiment du devoir bien accompli dans mon grand bureau feutré de Douala m'apparaissait comme un cache-sexe bien dérisoire pour ma conscience» (Un Bantou à Washington, PUF, 2007).
Est-ce la mélancolie qu'il ressent alors ou la mort de son père, voire son voyage à Djibouti, qui conditionnera une suite des événements très mouvementée de sa vie personnelle dont les épisodes animeront celle de ses compatriotes et au-delà ?
Toujours est-il qu'à 30 ans, il ressent le besoin d'écrire une lettre ouverte au président de la République sur la «démocratie truquée» en cours.
Le Cameroun est alors enserré dans une maille de fer dont le monolithisme politique et les ordonnances de 1962 sur la subversion découragent les plus hardis gagnés par la soif de démocratie et de liberté d'expression.
Lui n'en a cure et saisit l'occasion d'un discours présidentiel à l'Assemblée nationale, repris par le journal gouvernemental Cameroon Tribune, pour lui écrire et faire publier ce brûlot dans un journal dont les positions éditoriales tranchent d'avec l'autre. On est alors au lendemain de la Noël de 1990.
Il n'en faut pas plus pour mettre le feu au ronron que constitue la vie sociale qui exhale un parfum de résignation collective.
Ecrit en dix minutes, ce qui n'était pour son auteur qu'un «texte d'humeur» soulève un tollé chez les tenants de l'ordre établi qui ont du mal à s'expliquer la hardiesse de ce jeune homme qui se permet «d'insulter», publiquement, le chef de l'Etat.
Le journal est saisi dès publication et M. Monga comprend que les jours suivants lui seront à tout le moins pénibles, lui qui a par le passé séjourné plus d'une fois dans les locaux de la police.
Armé d'une détermination qui lui feront écrire plus tard : «rendu à un stade avancé du déni de mon humanité, la douleur et la mort me paraissaient de bien meilleures perspectives qu'une existence au rabais», il attend stoïquement de vivre son chemin de croix depuis son bureau, loin de fondre dans la nature comme le lui recommandent de bienveillants proches.
Durant quelques jours, le pouvoir semble embarrassé sur la conduite à tenir. Jusqu'à la Saint Sylvestre lorsqu'au bout du petit matin,
Célestin Monga est cueilli à son domicile. Un crime n'étant pas parfait, il aura le temps d'alerter son compatriote et ami, l'écrivain Mongo Beti, par téléphone et prendra ses adversaires au dépourvu, la radio internationale RFI ayant eu la primeur de l'arrestation et l'ayant relayé dans la foulée. Commence alors une série rocambolesque avec des épisodes hallucinants.
Accusé d'offense au président Paul Biya, ce «délinquant de la plume» voit venir à son secours les organisations de la société civile et les citoyens ordinaires.
Des mois durant, le procès dont il est l'accusé, concomitamment avec le directeur du journal Le Messager Pius Njawé, bat des records d'audience et de manifestations de soutien à la liberté d'opinion à travers le pays.
Est-ce cette pression inattendue sur la magistrature qui vaudra une condamnation plutôt clémente de six mois d'emprisonnement avec sursis assortie de 500.000 FCFA d'amende pour chacun des inculpés ? Cette fièvre contestataire aura pesé pour bien d'observateurs dans la balance en tout cas.
Banques internationales
Revenu à la banque, il devient un sujet encombrant. Et après de relations tendues avec sa hiérarchie, il démissionne en juillet 1992. Après avoir une nouvelle fois fait parler de lui au moyen d'une interview accordée à l'ancien banquier du président Biya, Robert Messi, exilé au Canada, et publiée par Jeune Afrique Economie.
Interview qui fait des gorges chaudes d'autant plus qu'elle fait des révélations sur les mouvements financiers du président et de sa première épouse. Commence alors un long exil qui le mène non en France, cette «vieille dame aigrie et recroquevillée sur elle-même», mais aux Etats-Unis grâce à une bourse qui lui permet de rejoindre un programme d'études et de recherche de Harvard.
Où il affine son étude d'une science économique qui lui «offr[e] la chance de mieux déchiffrer les mystères des destins croisés des peuples du monde, et peut-être de [le] libérer du pessimisme qui [l]'habitait depuis l'enfance».
Il mène alors de front une carrière d'universitaire et de chercheur sanctionné par des doctorats (en économie et en science politique) et un poste d'enseignant dans des campus célèbres comme le fameux MIT.
«Les médiocres se résignent à la réussite des êtres d'exception. Ils applaudissent les surdoués et les champions. Mais la réussite de l'un des leurs, ça les exaspère... Elle les frappe comme une injustice... »
Etats de service qui permettent bientôt à Célestin Monga de rejoindre la banque mondiale en 1997. Ce qui lui vaut les foudres de bien de camarades de la société civile au Cameroun qui ne comprennent pas ce qui apparaît à leurs yeux comme un retournement de veste.
Lui répond en reprenant un extrait de dialogue contenu dans le film «Garde à vue» de Michel Audiard où un personnage déclare : «Les médiocres se résignent à la réussite des êtres d'exception. Ils applaudissent les surdoués et les champions. Mais la réussite de l'un des leurs, ça les exaspère...
Elle les frappe comme une injustice... » Plus encore, il estime qu'y travailler le libère «du ressentiment et de la dictature d'une pensée unique», lui qui «subi[t] de moins en moins la tyrannie de l'être vrai et transcendant».
Une explication qui est loin de satisfaire ses contempteurs. Pour sa part, il poursuit pendant près de 15 ans ici une carrière qui le mènera jusqu'au sommet d'une institution aux 12.000 employés de par le monde.
Ce qui ne l'empêche pas de continuer de publier. Indifféremment des ouvrages d'économie et des essais. Avec une régularité de métronome, Célestin Monga y prêche une rigueur et un retour à l'estime de soi. Des productions qui en font aujourd'hui une plaque tournante de la pensée mondiale originaire d'Afrique.
Il n'y a qu'à voir ses interventions dans des cénacles dédiés comme les récents Ateliers de la pensée de Dakar ou au Collège de France à l'invitation d'Alain Mabanckou. Derrière ses yeux globuleux, son rire carnassier et sa belle mise vestimentaire sourd un esprit rebelle à l'agilité incommensurable. Quand dort-il ?
Lui arrive-t-il de se reposer ? Lecteur assidu de Cioran et de Pessoa, amoureux de la science économique avec qui il aime à convoler quand vient l'heure de dessiner l'avenir du continent, aussi à l'aise dans les rues de Yaoundé que dans les bureaux feutrés de la Banque Mondiale, de l'Onudi ou de la Banque Africaine de Développement, le sujet Célestin Monga intrigue toujours ses contemporains.
Surtout ceux du Cameroun qui ne manquent pas de le huer ou de le louer comme l'on s'en rend compte lors de ses passages. Dissident dans le bon sens du terme, il doit se soucier, plus que certains, du devenir de l'Afrique.
Cette matrice de laquelle semble partir son inlassable production intellectuelle. Qui est loin d'avoir été épuisé comme l'atteste sa dernière production en compagnie de son ami Justin Yifu Lin, directeur du Center for New Structural Economics de l'Université de Pékin. Mais peut-être qu'après tout, il ne souhaite que cultiver son jardin. Simplement.