Un homme d’affaires accuse Me Julienne Happi et la célèbre banque d’avoir manœuvré pour lui arracher sa somptueuse villa au quartier Bastos à Yaoundé mettant sur son dos un prêt. Les accusés nient en bloc. Le notaire est en fuite.
Depuis 27 ans, M. Aboubakar Saïdou, homme d’affaires résident en Arabie Saoudite, court derrière une villa qu’il dit avoir achetée à Bastos à 34 millions de francs, quartier huppé de Yaoundé. Mais il se plaint de n’avoir «jamais» pu prendre possession de son bien érigé sur 930 mètres carrés couvert par le titre foncier 2585/Mfoundi.
Pour cause, Afriland First Bank avait procédé à la vente forcée de cet immeuble pour le recouvrement forcé d’un prêt de 5 millions de francs que le plaignant conteste. C’est le nommé Twengembo, conseiller juridique à Afriland, qui avait racheté ladite villa à 7,5 millions de francs. Toutes les opérations s’étaient déroulées devant l’étude de Me Julienne Happi, notaire à la retraite, jadis basée à Yaoundé.
Cette affaire est encore pendante devant le Tribunal de grande instance (TGI) du Mfoundi. M. Aboubakar Saïdou estime avoir été dépossédé de son bien à travers une supposée fraude qu’il impute à Afriland et au notaire Happi, en fuite. Les mis en cause passent en jugement pour répondre de la supposée coaction de faux en écritures publiques et authentiques.
Le 28 janvier dernier, alors que le tribunal avait prévu ouvrir les débats ce jour-là, après plusieurs renvois concédés à la défense, la veille Me Joseph Ngeufack, l’un des avocats d’Afriland lui a fait parvenir un courrier pour solliciter un énième report afin de préparer les obsèques de son fils. L’affaire est renvoyée au 8 avril prochain.
Chèque certifié
Le rapport de l’enquête judiciaire (ordonnance de renvoi) dressé par le juge d’instruction qui présente les arguments de chaque camp permet de mieux comprendre cette bataille judiciaire. M. Aboubakar Saïdou raconte, qu’il a acquis le bien querellé auprès de M. Njontor Ngufor Peter le 2 mai 1995. Pour payer Ta note, il avait tiré un «chèque certifié» au montant de 34 millions de francs au profit du vendeur.
En dehors du prix d’achat, il a tiré un autre chèque certifié d’un montant de 5,9 millions de francs cette fois au profit de Me Happi, en paiement de ses honoraires fixés à 4,8 millions de francs, le reste de l’enveloppe était destiné au paiement des frais de la procédure de mutation du titre foncier NB2585/Mfoundi en son nom. Tous les chèques devaient être décaissés dans son compte bancaire ouvert dans les livres de b CCEI-Bank devenue Afriland First Bank.
Le plaignant indique qu’à cette époque, son compte disposait d’un solde de 43,7 millions de francs suffisant pour assurer tousjes frais.’Dans la foulée, il avait engagé la réfection de la villa achetée. Une expertise immobilière réalisée sur !e site estime la valeur de la villa à 75 millions de francs.
Il est retourné en Arabie Saoudite pour des raisons professionnelles laissant la procédure de mutation du titre foncier en cours. Néanmoins, à la demande de Me Happi, il avait laissé la photocopie certifiée de sa carte nationale d’identité et donné procuration à son comptable, M. Nana Armand Gabriel de suivre la procédure de transfert de propriété.
M. Aboubakar Saïdou déclare que profitant de son absence. Me Happi, en «complicité» avec un certain Jacques Nzaele alors directeur de la CCEI-Bank, ont «confectionné» sans son consentement une «convention de compte courant avec affectation hypothécaire».
En (fait, dans cette convention datée du 7 avril 1995, il y est dit que la banque lui accorde un prêt de 5 millions de francs pour l’aider à financer l’acquisition de la villa au prix de 20 millions de francs. Ladite villa est mise en gage (hypothèque) pour garantir le recouvrement du crédit. Un crédit dont le délai de remboursement était de deux mois «à compter de la signature de la conven- uon en seule échéance».
En 2015, en séjour au pays, il s’est heurté à une hostilité du nommé Twengembo déjà cité en tentant de faire le tour du propriétaire de la villa de Bastos. C’est à cette occasion qu’il dit avoir découvert ce qu’il qualifie d’«entreprise criminelle».
D’abord, à la date de la supposée signature de la convention contestée, il était à l’étranger, justifié par ses documents de voyage. De plus, ajoute-t-il il lui était impossible d’hypothéquer un bien dont il n’était pas encore propriétaire. 11 lui était «impensable», dit-il de solliciter un crédit aux «conditions de remboursement rigides», car disposant d’assez de ressources dans son compte.
M. Aboubakar déclare que le procès- verbal (PV) de mise en vente aux enchères de son bien monté par Me Happi est rempli d’ «incohérences» tant sur les dates que sur les diverses mentions. De même, il est intrigué par la célérité avec laquelle le juge civil du TGI du Mfoundi, M. Jules Noukeu, avait autorisé la vente forcée de son bien.
En effet, saisi le 5 décembre » 1996, le juge rendait sa décision six jours plus tard, le 11 décembre. Mais un jour avant, le 10 décembre, son bien était vendu à M. Twengembo à un dixième de sa valeur. La copie de ce jugement (expédition) indique que ses intérêts étaient défendus par l’avocat Eloundou Menounga Gaston. Interrogé sur le sujet, Mq Ebundou Menounga a dit ignorer tout de cette procédure. En dépit de ses recours, il n’a jamais pu obtenir la grosse du jugement évoqué dont il doute de l’existence.
Enregistrement fictif
Alors que le PV de mise en vente forcée de son bien indique qu’il a été enregistré au centre divisionnaire des impôts de Mfou le 10 décembre 1996, les recherches menées sur place ont permis de constater sur exploit d’huissier que cette opération ne figure pas dans les registres dudit centre des impôts. Face à la situation, M. Aboubakar déclare avoir vainement sommé Afriland de lui délivrer l’historique de son compte bancaire et la convention contestée. La banque a à chaque fois répondu «ça viendra».
Pendant l’information judiciaire. Me Happi avait soulevé une exception de procédure (argument de droit) arguant du non cumul des actions civiles et pénales. Elle indiquait que le plaignant avait échoué devant le juge civile et le juge commercial du TGI du Mfoundi à faire annuler la convention de crédit critiquée.
Mais le juge d’instruction a rejeté sa défense estimant que «non seulement [elle] ne répond pas à la contestation» mais surtout, «les mentions d’enregistrement apposées sur son procès-verbal d’adjudication de l’immeuble litigieux sont fausses», car introuvables dans les registres du centre des impôts de Mfou comme indiqué dans ledit document. Pour sa part, M. Nounenou Alain, le représentant d’Afriland, s’est contenté de dire que la convention critiquée existe bel et bien, sans toutefois la présenter.
Me Happi, un temps placé en détention provisoire à la prison centrale de Yaoundé pour cette affaire et d’autres procédure engagée contre sa personne, a bénéficié d’une libération sous caution. Ce qui lui a permis de s’envoler pour l’Europe.