Dans cette analyse, le Ministre de l'Économie, de la Planification et de l'Aménagement du Territoire évalue les acquis de la mise en œuvre du Document de Stratégie pour la Croissance et l'Emploi (DSCE) et annonce l'imminence de projets structurants de seconde génération.
1. Pourquoi agir aujourd’hui ?
Dans environ trois ans, nous serons arrivés au terme du premier phasage de la mise en œuvre de notre vision de développement à long terme, dont la déclinaison stratégique est le Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi (DSCE).
Son exécution, considérée de « globalement satisfaisante » par nos principaux partenaires, a notamment permis la réalisation des grands projets, qui arrivent également à leur point d’achèvement dès l’année prochaine, et qui sont appelés à mieux structurer notre économie afin de faire du secteur privé le levain de la croissance économique.
De l’avis général, la première moitié de la décade 2010-2020 aura été fertile en menaces de toutes sortes, mais elle a également été déconcertante au niveau des performances économiques réalisées par le Cameroun. En effet, si l’environnement national et international a été très peu accommodant comme on le verra par la suite, ses conséquences immédiates ont été bien gérées, au point de ne pas contrarier fondamentalement nos objectifs de croissance, et remettre en cause notre marche vers le progrès économique et social.
Ces vents contraires, qui sont loin de s’estomper, et qui nous ont parfois contraint à différer des investissements d’envergure à l’instar de l’exploitation du fer de Mbalam (environ 6 milliards de dollars américains d’investissements reportés, soit plus de 3.000 milliards de F.CFA), devraient être adressés avec plus de vigueur au cours des prochaines années.
Cela dit, les grands projets de première génération atteindront d’ici à 2018, leur point d’achèvement. 2020 est le début d’un nouveau phasage de la mise en œuvre de notre Vision de développement à l’horizon 2035. Entre les deux périodes, subsistent des gap qui doivent impérativement être couverts, tels les investissements dans l’infrastructure du numérique, parachever certaines voies de communications indispensables pour relier les zones de production aux marchés, ou encore les projets inscrits dans le Plan d’Urgence. Sur ce dernier sujet, le Chef de l’Etat ne disait-il pas que « la finalité première du Plan d’Urgence réside dans la nécessité de renforcer les performances l’économie nationale, et d’améliorer les conditions de vie des populations camerounaises en vue d’atteindre l’objectif de l’émergence en 2035 ».
Par ailleurs, certains projets ne seront pas achevés en 2018, comme l’autoroute Yaoundé-Douala. Pour ne pas avoir à supporter le coût de l’attentisme que pourrait induire le temps de latence entre la fin du premier cycle des grands projets et le lancement d’un second cycle, il faut agir. Et vite.
2. D’où venons-nous et qu’avons-nous fait ?
Pendant le premier cycle de programmation de l’économie camerounaise articulé autour du Document de Stratégie pour la Réduction de la Pauvreté (DSRP), la croissance économique a été essentiellement portée par la demande de consommation, affichant alors des performances modestes de l’ordre de 2 % en moyenne au cours de la décennie 2000.
A partir de 2010, le Gouvernement camerounais a mis en œuvre un ambitieux programme d’investissements publics en infrastructures structurantes, notamment dans les domaines du transport et de l’énergie, afin d’améliorer la compétitivité de l’économie. Ce volontarisme économique a généré une croissance régulière du PIB, qui est passée de 3,3 % en 2010 ; 4,1 % en 2011 ; 4,6 % en 2012 ; 5,6 % en 2013 ; 5,9 % en 2014 et 5,8 % en 2015.
Bien plus, tous les partenaires au développement ont expressément félicité le Gouvernement pour la bonne gestion de certains de ces projets ; le dernier satisfecit en date est venu de la bouche de Mme le Directeur Général du FMI, qu’on ne peut suspecter de favoritisme, qui au cours de la réception à elle offerte par le Président BIYA en janvier 2016, a dit tout le bien qu’elle pense des projets comme le barrage de LOM PANGAR et le Port en eau profonde de Kribi.
Les bonnes performances ainsi réalisées depuis lors, ont amené les analystes à qualifier notre économie de « résiliente » pour traduire sa singularité dans un contexte international et régional de repli prolongé de l’activité économique depuis 2013/14. Il y a donc lieu de reconnaître que depuis 2010, date de mise en œuvre du DSCE, le Cameroun est passé d’une mollesse économique à une certaine vigueur, avec un taux de croissance projeté à 5,9 % cette année.
En effet, grâce aux changements et transformations économiques induites par la mise en œuvre du DSCE, notamment à travers le Programme de Grands projets adossés sur l’axe stratégique N°1 portant sur le « Développement des infrastructures », l’économie camerounaise a été en mesure d’affronter les effets pervers (i) des contrecoups de la guerre contre la secte terroriste Boko Haram ; (ii) des conditions moins conciliantes sur le plan international, et de ses principaux partenaires commerciaux, en particulier la Chine, qui s’emploie à revisiter son modèle économique ; (iii) de la baisse prolongée des cours des matières premières, en l’occurrence le pétrole ; (iv) du durcissement des conditions d’emprunt, (v) de la persistance des dérèglements climatiques, surtout dans la région de l’Extrême-Nord et (vi) de l’afflux des réfugiés sur notre territoire.
Cette conception des moteurs de notre progrès économique de ces dernières années (ou de notre résilience) est cruciale, en ce sens qu’elle est déterminante pour le choix de nos politiques économiques futures, et devrait guider la sélection des mesures/actions qui du reste, permettront à l’économie camerounaise d’atteindre les objectifs-clé du DSCE à l’horizon de la stratégie, en 2020.
3. Où voulons-nous aller au cours des prochaines années ?
Bien que 2018 marque l’année du point d’achèvement de la première génération des Grands Travaux, lesquels ont constitué les principaux piliers sur lesquels s’est appuyée cette « résilience » économique de ces dernières années, le gap d’infrastructures compte parmi les faiblesses majeures de l’économie camerounaise, selon les diverses enquêtes menées auprès du secteur privé.
De fait, certains pans du programme de développement des infrastructures nécessaires pour raviver la croissance portée par le secteur privé, sont soit inachevés, soit même inexplorés. Si le stock de capital public a sensiblement augmenté dans notre pays depuis 2010, des gap ou des poches de déficits existent, par exemple dans la capacité de production énergétique du pays ou notre arrimage à des standards numériques internationaux. Ce qui appelle non à un changement de cap, mais à un renforcement et une densification de celui-ci, pour maintenir et étendre les premiers acquis afin qu’ils puissent induire des effets de ruissellement en aval sur le secteur privé.
Aussi, ce programme infrastructurel sera plus à même d’opérer la transformation économique voulue par le Chef de l’Etat, en investissant dans les nouvelles sources de croissance identifiées dans le Plan Directeur d’Industrialisation (Energie, Numérique et Agro-industrie).
Autant reconnaître que le Cameroun doit donc optimiser sous contrainte, dans un contexte où prévaut une rigidité des revenus à la hausse (pas de hausse des salaires ou de prestations sociales en vue). Par ailleurs, la conjoncture économique traduite par un budget de plus en plus contraint, appelle à un ajustement interne, associé à une amélioration de l’efficience de l’investissement public. De plus, le poids de la dette intérieure évaluée à environ 1100 milliards de FCFA, pèse sur l’activité des entreprises.
Dans le même ordre d’idées, la persistance de l’atonie de la demande extérieure pourrait produire des effets récessifs sur la croissance économique. Avec le ralentissement économique de nos principaux partenaires commerciaux, à l’instar de la Chine, la demande extérieure risquerait de continuer de peser négativement sur nos performances économiques.
Aussi, en appelons-nous à une politique de relance qui se fonde sur les effets multiplicateurs de la demande d’investissements. Tout en privilégiant celle-ci, cette option insisterait davantage sur des mesures d’appoint par la massification des investissements pour générer un environnement des affaires qui soit propice au développement durable du secteur privé. Les politiques de relance sont des politiques conjoncturelles, répondant à une faiblesse ponctuelle de la croissance, en présence de capacités de production inutilisées.
En raison de la légère décélération observée en 2015, cette option nous semble opportune et pertinente, parce qu’il nous faut créer des routes vers les marchés et les centres de consommation, investir davantage dans le numérique comme l’a prescrit le Chef de l’Etat, faciliter le raccordement à l’énergie électrique et à l’eau, offrir plus de services de télécommunications et d’internet de qualité aux opérateurs économiques, aménager les principaux corridors commerciaux, etc.
C’est pourquoi, conforme à la vision du Chef de l’Etat, nous devrions nous engager dès à présent, au lancement d’un Programme de Grands Travaux de seconde génération, qui devrait prendre le relais de celui en cours d’achèvement. Nous pensons ici aux projets tels que la construction des lignes ferroviaires conformément au Schéma ferroviaire national approuvé en 2011, du troisième pont sur le Wouri, du Port de Limbé, la densification de la fibre optique sur tout le territoire national…
Cet engagement a d’autant plus d’acuité que les épreuves que doit affronter l’économie camerounaise au cours des prochaines années sont, de notre point de vue, les plus difficiles qu’elle ait eu à vivre depuis 2010, notamment avec l’avènement de l’APE, et d’autres menaces grandissantes, à l’instar de la contrebande qui détruit des pans entiers de l’économie, l’afflux des réfugiés, singulièrement dans la région de l’Est, où ils représentent déjà 20 % de la population de la région, avec ce que cela charrie sur l’état de la sécurité de cette partie du pays, et sur l’économie de la région qui subit des contrecoups, surtout dans le secteur de l’élevage et des cultures vivrières.
4. Que dit la théorie ?
Comme tous les gouvernements, le Cameroun poursuit de nombreux objectifs avec un nombre limité d’instruments. Les arbitrages font dès lors partie du quotidien. Ces arbitrages reflètent leurs préférences et dépendent des institutions au sens de Douglass North, c’est-à-dire, les contraintes formelles (règles, lois, institutions) et informelles (normes et comportements).
Les travaux d’éminents économistes dont Keynes, démontrent l’efficacité de la politique économique adossée sur l’intervention de l’Etat pour adresser des contraintes dues à un environnement non accommodant, en agissant sur la demande à travers des politiques budgétaires expansionnistes. Ces politiques de relance, visent soit à augmenter les revenus disponibles des agents économiques (baisse des impôts, hausse des prestations sociales, augmentation des salaires), soit à augmenter la demande interne par un accroissement des dépenses de l’Etat (grands projets).
Ainsi, les politiques keynésiennes ont plusieurs décennies durant, été implémentées à travers le monde avec un réel succès (la période post-1944 qualifiée de Trente Glorieuses, du fait de la politique des grands travaux menés en Europe, ou encore le New Deal du Président Rooselvet, par exemple), jusqu’aux contrecoups pétroliers de 1973.
Dès cet instant en effet, l’instrument budgétaire commence à montrer ses limites, surtout avec les forts taux d’imposition dont il s’accommode pour financer ses déficits et la difficulté à anticiper/prévoir réellement le comportement des agents économiques en matière d’épargne et de consommation. En effet, les politiques de relance par la demande ne réussissent que si les agents économiques ont une bien faible propension à épargner, et orientent leur surplus de revenu vers la forte consommation, laquelle est entretenue par une forte capacité de production des industries existantes.
De plus, la relance par la demande de consommation présente des limites, spécialement en termes d’horizon temporel, car elle est essentiellement efficace à court terme par ses effets multiplicateurs, et à long terme, l’asymétrie d’information en termes de comportement des agents la remet en cause. Il faut reconnaître avec l’économiste Paul Krugman que l’héritage essentiel du New Deal mis en œuvre en 1933 par le Président Rooselvet est d’avoir créé les conditions d’une profonde redistribution des richesses qui a marqué la croissance de l’après-guerre, qualifiée de « période de 30 Glorieuses ».
5. Qu’enseignent les faits stylisés ?
Selon la Banque Mondiale, l’insuffisance des infrastructures ampute la croissance de deux (2) points par an, les effets de cette carence sont appelés à s’aggraver avec les changements climatiques. En outre, le manque ou la défectuosité des infrastructures nuisent au développement des affaires et handicapent l’industrie manufacturière et des services, et la politique de diversification par l’investissement privé dans la transformation locale de nos produits de base.
Quant au FMI, sa Directrice Générale, Madame Christine Lagarde, n’affirmait-elle pas le 8 janvier 2016 à Yaoundé, devant le Premier Ministre, Chef du Gouvernent, Philémon Yang, au cours d’une table ronde à l’hôtel Hilton, que le manque d’infrastructures est un obstacle à la croissance économique, et que la mise à niveau de ces derniers nécessitait de gros investissements. D’après elle, l’essor économique de notre pays repose sur la poursuite du programme engagé depuis 2010.
D’ailleurs et sur ce sujet, le FMI soutenait plus tôt, en 2014, (Perspectives de l’économie mondiale) qu’il était temps de procéder à une relance par les infrastructures. Puisque des investissements publics dans l’infrastructure et de meilleure qualité sont essentiels pour stimuler l’activité et créer des emplois, et que si l’investissement est bien géré, son effet stimulant sur la production compense les emprunts contractés. Comme le révèle ce rapport, l’infrastructure est le fondement de la vie quotidienne, la clé de voûte de l’activité économique. Il n’existe aucune activité qui ne fasse appel à elle, sous une forme ou une autre.
Les pays tels que la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Kenya où la croissance annoncée en 2016 sera respectivement de 8,5 % (contre 9,4 % en 2015 et 10,7 % en 2012), 6,5 % et 6 %, ont pris l’option d’investir massivement dans les infrastructures. Si la Côte d’Ivoire par exemple, figure parmi les 10 pays qui ont le plus amélioré leur climat des affaires dans le monde, c’est notamment grâce à l’investissement public, de surcroît, financé par des financements extérieurs. Ces investissements, soutenus prioritairement par l’Etat et en mode Partenariat Public-Privé (PPP), concernent l’extension du port d’Abidjan, la rénovation de la voie ferrée Abidjan-Ouaga ou la construction du pont Henri Konan Bédié.
6. Quels sont nos principaux sujets d’inquiétude ?
Pour mieux traduire notre détermination et atteindre corrélativement les objectifs que nous nous fixons, deux principaux sujets d’inquiétude devraient être impérativement adressés afin d’assurer la qualité, le respect des délais et l’optimalité des infrastructures à construire. Nous bénéficions pour cela de l’assistance de nos partenaires au développement qui nous ont appuyé dans la définition des stratégies à adopter pour adresser ces problématiques.
Le premier est celui de la faible maturité des projets d’investissements du portefeuille de première génération, ayant généré les retards observés dans le démarrage et le déroulement de certains chantiers. Des efforts seront faits pour que les questions d’emprise, d’expropriation-indemnisation, qui ont entravé le bon déroulement de certains projets, à l’instar de la construction de l’autoroute Yaoundé-Douala, où des populations manifestent parfois bruyamment, pour réclamer des frais d’indemnisation, soient mieux prises en compte.
Le second est celui du lancinant problème de passation de marché, où le souci de respecter les procédures a souvent été à l’origine de certains dysfonctionnements et lourdeurs dans l’exécution des chantiers.
L’avènement du Comité National de la Dette Publique (CNDP) présidé par le Ministre des Finances, ouvre de nouveaux horizons en ce qui concerne le processus de maturation des projets. En effet, cet organe est de plus en plus vigilant quant à la qualité des projets à exécuter. Pour éviter que notre dette n’atteigne des niveaux d’endettement insoutenables, il faut que les projets démarrent à temps, que les délais soient respectés, que les conditions administratives, financières et techniques soient remplies avant leur démarrage. L’attention portée à ces aspects sera renforcée, ainsi que celle sur la mise à niveau régulière du stock d’infrastructures existant, pour qu’il y ait moins de projets abandonnés et plus de valeur ajoutée générée.
7. Que devons-nous donc conclure ?
Ce que Gouvernement ambitionne donc de réaliser à travers la mise en place d’un Programme de Grands travaux de 2ème génération est de poursuivre le trend amorcé au cours des cinq premières années de mise en œuvre du DSCE d’une part, et de créer les conditions durables d’un environnement propice au développement du secteur privé, principal créateur des richesses. En d’autres termes, il s’agit d’unepolicy mix qui agit sur la demande d’investissements pour supprimer ou réduire les rigidités, et libérer l’offre.
Ce regain de volontarisme économique sur les grands projets de seconde génération, associé à une politique active d’appuis directs au secteur privé qui, tout en s’intensifiant par un meilleur ciblage de nos « champions nationaux », stimulerait la production à court terme, en incitant la demande globale ; et à long terme, en augmentant la capacité productive de l’économie. Le FMI (2014) ne démontrait-il pas que le surcroît d’investissement public dans l’infrastructure donne au PIB une impulsion qui compense l’augmentation de la dette, de sorte que le ratio dette publique/PIB ne progresse pas.
Enfin, la relance par la demande d’investissements qui s’inscrit dans la continuité de la mise en œuvre du DSCE, passerait par la mise en œuvre d’une deuxième génération des grands projets d’investissement, mettant le secteur privé au centre de leur implémentation. L’accent sera par conséquent mis sur les investissements productifs avec un accompagnement soutenu des pouvoirs publics, pour faire de l’investissement privé, un relais de l’investissement public à l’horizon de la mise en œuvre de notre stratégie.
Cette orientation contribuera à l’émergence ou à la consolidation de nos « champions nationaux » dans les filières porteuses de notre économie (agro-industries, numérique, énergie…) dans la perspective d’un processus d’industrialisation soutenue par le secteur privé. Déjà, le Ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire (MINEPAT) a engagé des discussions avec le GICAM pour développer cette approche bâtie autour des « capitaines d’industries » ; approche volontariste qui passera par des appuis directs au profit de certaines filières préalablement sélectionnées sur la base des critères objectifs.
Au-delà du levier que représente le budget d’investissement public (BIP), notre stratégie future consistera à mobiliser nos partenaires traditionnels pour des appuis plus conséquents au secteur privé, bénéficiant de la garantie publique.
Les marges de financement de cette option volontariste articulée autours des grands projets de 2nde génération existent, tant sur le plan interne, avec les bonnes performances enregistrées sur la plan de la mobilisation des ressources internes, qu’externe, compte tenu du niveau d’endettement dont l’encours de la dette publique à garantie publique ne représente que 27,3 % du PIB à fin juillet 2016, c’est-à-dire, assez éloignée de la norme communautaire de 70 %.