Du 17 au 18 Mai 2016, Yaoundé, la capitale économique de notre pays accueille une conférence économique internationale intitulée « Cameroun : terre d’attractivité ».
Compte tenu du ramdam médiatique qui entoure cette conférence et des vieux sujets qu’elle a le mérite de remettre sur la table, il est important de rappeler un certain nombre de points essentiels à la compréhension des enjeux et de la direction véritable à prendre.
I – Quelques mots sur le thème de la conférence : « l’attractivité de l’économie camerounaise».
Au regard du passif et du passé de ce Gouvernement, on arrive très facilement à l’évidence selon laquelle, l’attractivité ne se décrète pas mais se construit et se mesure avec des indicateurs objectivement vérifiables.
Pour la gouverne de tous, il existe des classements se faisant sur la base d’indicateurs connus permettant d’apprécier la réalité de l’attractivité d’un pays. Dans ces classements, une chose parait évidente pour le Cameroun : nous avons beaucoup de travail pour faire du Cameroun une terre d’attractivité.
En effet, la Banque Mondiale place le Cameroun à la 172ième place sur 189 pays dans le monde. C’est une régression de 4 place par rapport à 2015 où nous étions 168ième. Dans ce même classement, nous avons les performances suivantes :
•128ième en termes de facilité à obtenir des prêts ;
•113ième en termes de raccordement au réseau électrique ;
•180ième en termes de paiement des impôts ;
•118ième en termes de règlement de l’insolvabilité.
D’après ce classement, le Cameroun n’est pas si attractif que cela. Lorsque quelqu’un veut investir dans le monde, il a potentiellement intérêt à le faire dans 171 pays avant le nôtre.
Par ailleurs, bien d’autres institutions et classements corroborent l’idée d’une économie pas si attractive qu’il y parait.
Le Cameroun est classé 37ième sur 54 pays en 2015 d’après la Fondation Mo Ibrahim.
D’après le cabinet Ernst & Young en 2015, le Cameroun ne figure pas parmi les 20 pays les plus attractifs.
Le Cameroun est 110ième dans le classement mondial en matière d’innovation du Global Innovation Index.
Le Cameroun est à la traine des pays qui attirent le plus d’investissements directs étrangers d’après la CNUCED en Afrique. Le Cameroun est, selon le cabinet américain Frontier Strategy Group, classé 21ième en Afrique sur le critère de la résilience c’est-à-dire de sa capacité à résister aux chocs externes tels que la guerre contre Boko Haram et la baisse du cours des matières premières telles que le pétrole.
II – Quelques raisons de cette faible attractivité
On peut multiplier à l’infini les indicateurs et on constatera que, malgré un formidable potentiel, le Cameroun reste une terre peu attractive au regard des autres économies. C’est notamment le signe d’une insuffisance des infrastructures, de nombreux dysfonctionnements de la gouvernance et d’un climat des affaires encore plombé par de nombreuses lourdeurs.
Après les échecs des projets de construction des logements sociaux, de mise en place d’une industrie sucrière à l’Est du pays et les scandales relatifs aux indemnisations du Port de Kribi, on forcé de se poser des questions sur les capacités de mise en œuvre de ce Gouvernement, notamment sa capacité à mettre en œuvre autant de projets en respectant les normes d’efficacité et d’efficience. Les graves retards enregistrés dans la préparation des Coupes d’Afrique des Nations illustrent à suffisance la pertinence des interpellations de la Directrice Générale lors de son passage au Cameroun.
Tout ceci conduit à nous interroger sur la portée et la pertinence de cette conférence qui, comme nous venons de rapidement le voir, s’inscrit dans un contexte que nous connaissons plus ou moins.
Pertinence et portée éventuelle de la conférence économique de Yaoundé
La question se pose. Il faut en effet se rappeler que ce ne sera pas la première conférence ou le premier forum. Nous avons eu la conférence Africa 21 lors du cinquantenaire de l’indépendance en 2010, le forum des affaires Cameroun – France en 2013 et le forum Cameroun – Etats Unis en 2014. Qu’est-ce que ces dernières ont concrètement produit ? Qu’avons-nous fait des résolutions ? Qu’est-ce qui véritablement changé au terme de ces grands rendez-vous ?
Cela devrait nous laisser songeurs sur l’efficacité de notre « diplomatie économique ».
Pour que cette conférence qui s’est achevée ce 18 Mai 2016 puisse avoir un début d’effets, il aurait fallu que notre Gouvernement présente des projets solides et des réformes concrètes qui démontrent que des facilités accrues ont été mises en place pour substantiellement augmenter les possibilités de gains pour les investisseurs nationaux et étrangers.
III – On ne construit pas sur du vent
Mais pour pouvoir arriver à des résultats substantiels, il nous faut relever au préalable les faits et tendances lourdes permettant de caractériser la dynamique économique enclenchée par notre Gouvernement. Cette caractérisation nous permettra de relever ce qui nous apparaît comme des points essentiels.
En premier lieu, il faut noter que la stratégie économique de ce Gouvernement est loin d’être efficace et cohérente.
On ne peut pas vouloir attirer les investissements directs étrangers sans avoir fait le bilan des initiatives passées et de l’accompagnement réservé aux investisseurs déjà installés.
Plusieurs cas illustrent ce propos.
Cas 1 : L’échec de la stratégie d’industrialisation conventionnelle. La part de l’industrie dans la production de la richesse nationale (PIB) semble stagne depuis des décennies autour de 30 %. Le Cameroun est devenu un comptoir commercial ou les opérateurs économiques font du « bayam selam ». Selon toute évidence, il y a une renonciation à tout projet réel d’industrialisation véritable du pays.
Cas 2 : L’échec de la stratégie des zones franches industrielles qui ont donnés des résultats très faibles en termes d’attraction des entreprises et de création d’emplois.
Cas 3 : Les retards dans l’application des résolutions du Cameroon Business Forum en matière d’amélioration du climat des affaires.
Cas 4 : Les incohérences entre l’appel au patriotisme économique du Chef de l’Etat, les habitudes de consommation des Ministres du Gouvernement et la ratification des APE qui vont compromettre les chances de développement de l’industrie Camerounaise.
Cas 5 : Le Gouvernement du Camerounais n’a presque rien mis en place d’envergure pour saisir les opportunités qu’offre la sous-région : l’espace CEMAC, l’espace CEEAC et le voisin Nigéria qui est, au-delà d’être la première économie d’Afrique, est la porte d’entrée vers la CEDEAO.
En second lieu, il faut affirmer que la meilleure manière d’attirer les investisseurs nationaux et internationaux est de créer les conditions qui facilitent les affaires.
Le Gouvernement actuel est très lent dans la mise en œuvre des résolutions du Cameron Business Forum. Sur 250 recommandations définies depuis 2009, seules 120 ont connu un début de mise en œuvre. Les réformes les plus rapides sont mises en œuvre au bout de 02 à 03 ans.
Aucune des 12 réformes fondamentales définies avec l’appui des institutions financières internationales n’a été effectivement et complètement mises en œuvre, bien que techniquement validées par le Gouvernement. La Présidence de la République dans le cas d’espèce est le siège de l’inertie dans ce domaine.
En troisième lieu, nous convenons qu’attirer les investisseurs étrangers c’est bien, mais c’est encore mieux de bien accompagner les investisseurs nationaux.
Les grandes entreprises constituent 1% du tissu économique camerounais. Les PMEs et les TPEs constituent plus de 90% du tissu économique et emploient la majorité des Camerounais.
Si le but de la stratégie du Gouvernement est de développer l’économie, il faut soutenir la croissance des PMEs et des TPEs en :
•Financement des PMEs.
•Soutien technique et accompagnement des PMEs dans la conquête des marchés sous-régionaux et régionaux.
•Appuyant massivement la conversion des PMEs de l’informel vers le formel Règlement effectif et prioritaire de la dette publique intérieure.
Ce sont ces dernières qui sont le cœur de l’économie Camerounaise.
IV – Pistes pour faire du Cameroun un hub entrepreneurial
En vue d’y arriver, voici, au-delà d’une conférence quelques pistes pour accroitre l’attractivité et booster le développement de l’économie camerounaise.
1.Préalablement, résorber le déficit en infrastructures et en énergie.
2.Garantir la transparence et rapidité pour tous les actes administratifs liés à la création et la gestion des entreprises.
3.Rendre la fiscalité efficace avec :
1.a. L’utilisation de la technologie pour assurer la transparence et éliminer la corruption
2.b. L’élargissement de l’assiette fiscale avec l’accompagnement des entreprises de l’informel vers le formel
3.c. L’allègement de la fiscalité pour l’ensemble des entreprises et l’intégration de mesures incitatives à la création d’emploi et à la croissance
4.Réformer le système judiciaire, pour qu’il puisse être sûr pour les institutions financières leur permettant ainsi de prêter au TPE, PE et ME.
5.Rendre les informations financières fiables, transparentes et accessibles.
6.Mettre en place un Fonds de garantie de l’Etat permettant aux institutions financières de minimiser le risque.
7.Réformer le système d’éducation pour qu’il fasse de l’entreprenariat une option principale pour les jeunes et les moins jeunes.
8.Exécuter une politique d’accessibilité à la technologie afin de renforcer la compétitivité.
9.Innover dans la recherche de nouvelles alternatives de financement pour l’investissement dans les secteurs porteurs notamment les partenariats public-privés, le marketing territorial, la coopération décentralisée, l’émission des obligations pour les Collectivités Territoriales Décentralisées.
10.Faire de notre force de travail un pilier de notre puissance économique en assurant le travail décent à l’ensemble des travailleurs.
Il nous semble que c’est en allant dans ce sens que de meilleurs résultats sont susceptibles d’être produits. Mais une question demeure : est-ce à ce rythme et avec ce leadership politique que nous y arriverons ?
Il est évident pour nous que non.
Nous avons besoin d’un leadership plus visionnaire, volontaire, comprenant comment fonctionne les entreprises et capable de conduire des réformes idoines à une vitesse plus rapide.
Dans un monde qui bouge, nous sommes condamnés à bouger plus vite.