Infos Business of Tuesday, 27 September 2022

Source: www.bbc.com

Escroquerie et broutage : voici la nouvelle technique des arnaqueurs sur Internet

Leur fief se trouve au Nigéria Leur fief se trouve au Nigéria

Le client est un homme de 50 ans vivant aux États-Unis. La séduisante jeune femme blanche avec laquelle il discute en ligne s'appelle Gingerhoney, une top-modèle que l'image de profil montre allongée sur son lit. Le client pense que Gingerhoney n'est pas loin de là, même s'il ne sait pas s'il s'agit d'un homme vivant très loin, au Nigeria.

Des hommes du monde entier, comme celui-ci, paient des centaines de dollars sur des sites web pour adultes, afin de discuter avec ceux qu'ils pensent être des jeunes femmes séduisantes, mais qui peuvent en fait être n'importe qui, a constaté la BBC.

Des mois de collecte de preuves ont révélé l'existence d'une pratique courante dans le monde, derrière ces faux profils, des Pays-Bas aux États-Unis en passant par le Suriname et le Nigeria, où elle peut enfreindre les lois qui encadrent le comportement des adultes sur Internet.

L'étudiant nigérian Abiodun (nom fictif) est l'une des nombreuses personnes qui exploitent de faux profils sur des sites de rencontres appartenant à la société néerlandaise Meteor Interactive BV.

Abiodun change de profil entre les dizaines de faux comptes qu'il gère sur ces sites. Il prétend toujours être une jeune femme blanche séduisante.

Sur l'un des sites, il est Gingerhoney, un mannequin de 21 ans, avec une couette rose drapée de manière suggestive autour de la taille.

Elle encourage les hommes à l'appeler Ginger, ''la même couleur que [ses] cheveux''.

Quelque part sur l'ordinateur d'Abiodun se trouve un dossier contenant diverses images obscènes de Gingerhoney, au cas où un client demanderait des photos plus érotiques.

Les images, y compris la photo de profil, proviennent de diverses sources.

Abiodun n'est pas le seul à avoir accès au profil de Gingerhoney. Des dizaines d'autres personnes y ont également accès, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Abiodun et ses collègues utilisent un outil cartographique sophistiqué pour simuler l'emplacement de Gingerhoney dans un rayon de 50 km autour du client. Le client a payé pour cette discussion et, bien qu'il ne l'ait pas encore dit, il espère la rencontrer.

Si l'inscription aux sites est gratuite, les clients doivent souscrire à des forfaits, dont le coût varie de 6 à 300 dollars US (de 4 061 à 203 083 francs CFA), pour recevoir ou envoyer des messages aux "femmes".

Alors que les jeunes clients veulent rencontrer physiquement les femmes qu'ils pensent être dans leur entourage, les clients plus âgés se contentent souvent de discussions relatives au sexe et de photos et vidéos érotiques, explique Abiodun.

L'objectif d'Abiodun et d'autres personnes est de retenir ces abonnés sur les sites web aussi longtemps que possible, afin d'épuiser leurs crédits.

Chaque message doit comporter au moins 150 caractères et être "ouvert", afin de maintenir la conversation, ont-ils reçu comme consigne.

"C'est comme un travail de service à la clientèle, sauf que le client pense qu'il discute avec le PDG", a déclaré Abiodun à la BBC.

Meteor Interactive BV fait appel à une société d'externalisation du Suriname - Logical Moderation Solutions (LMS), fondée par un Surinamais du nom d'Orano Rose, pour recruter, former et employer des Nigérians.

La BBC a vu des preuves sur les comptes WhatsApp, Telegram et Skype de LMS, qui révèlent que la société a recruté et formé des centaines de personnes, notamment dans les États nigérians de Lagos et d'Abuja.

Les emplois sont annoncés sur Instagram, Twitter et Telegram, à l'intention de l'armée nigériane de jeunes chômeurs instruits, comme des "rôles en ligne", des "emplois en marketing numérique", des "rôles de modérateur de chat", sans aucune mention du contenu pour adultes auquel les employés doivent faire face.

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L'une des principales recruteuses de LMS, Adedamola Yusuf, basée en Allemagne, gère les annonces d'emploi avec ses comptes sur les médias sociaux, où elle affiche un style de vie clinquant et glamour, avec des vacances dans des endroits exotiques.

"Vous discutez avec des personnes blanches qui s'ennuient. Et le travail est parfaitement légal et autorisé, tant en Allemagne qu'au Nigeria", a-t-elle déclaré lors d'une discussion sur WhatsApp avec des personnes auxquelles il est promis un recrutement lors de leur premier jour.

Mme Yusuf recrute des personnes depuis plus de deux ans et lors d'une campagne de recrutement en novembre dernier, des centaines d'autres se sont inscrites.

Elle n'a pas répondu aux questions de la BBC.

"Ces gars de l'Ouest veulent surtout discuter", a déclaré un formateur aux nouvelles recrues, qui doivent passer des tests d'anglais très stricts pour que leur embauche soit la plus sûre possible.

"C'est : 'I am', pas 'am'", a corrigé une recrue lors d'une session de formation dans le groupe WhatsApp de l'entreprise à laquelle a participé un journaliste de la BBC.

Nicholas Akande, un représentant de LMS au Nigeria, a enregistré plus de 100 personnes au cours de la première semaine de juillet et leur a dit que l'emploi était légal.

Il n'a pas répondu aux questions de la BBC.

Les recrues reçoivent également des cours sur la culture, le style d'écriture et les conversations à la mode, ce qui leur donne un air authentique.

À l'issue d'une formation qui peut durer une semaine, elles reçoivent des identifiants de connexion aux sites web, où elles peuvent consulter des informations personnelles, l'adresse du domicile, le numéro de téléphone et l'âge des abonnés, par exemple.

La BBC a vu des commentaires d'hommes qui ont dit avoir dépensé entre 300 et 700 dollars US (entre 203 083 et 473 861 francs CFA environ) sur ces sites, dans l'espoir de rencontrer les "femmes" avec lesquelles ils discutaient.

"J'ai dû envoyer des SMS à 20 femmes et j'ai toujours été découragé lorsqu'on m'a proposé de les rencontrer personnellement", a déclaré un homme, qui a affirmé avoir dépensé 64,99 dollars US (environ 47 386 francs CFA) sur un site appartenant à Meteor Interactive.

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Un autre homme a déclaré avoir "acheté plus de 400 dollars US (environ 270 778 francs CFA) de crédits en pensant que les femmes étaient réelles... J'ai eu tort de ne pas lire les petits caractères", a-t-il ajouté.

Un autre a déclaré avoir dépensé plus de 300 dollars US de crédits dans le faux espoir de rencontrer les femmes en personne. "Elles vous accrochent en vous disant qu'elles vivent dans votre ville ou à proximité et qu'elles veulent vous rencontrer dès ce soir. Vous dépensez des crédits pour leur envoyer des SMS et lorsque vous voulez fixer un lieu et une heure de rendez-vous, les excuses commencent", a-t-il déclaré.

Ses conditions générales, se défend Meteor Interactive, précisent que certains de ses profils sont fictifs et que "la possibilité d'une rencontre n'est pas envisageable".

Toutefois, elle n'explique pas pourquoi ses employés nigérians utilisent l'outil de cartographie pour simuler leur emplacement.

Cet outil donne plus de crédibilité à la tromperie et suscite de faux espoirs, les rencontre n'ayant jamais lieu.

Les activités de ces personnes sont à la limite de la fraude sur Internet au Nigeria, en vertu d'une loi qui interdit la mise en ligne de contenus obscènes ou pour adultes, ont déclaré des experts à la BBC.

Une loi de 2015 sur la cybercriminalité interdit l'envoi de messages grossièrement offensants, pornographiques, indécents, obscènes ou menaçants. Elle punit aussi le fait d'envoyer des messages électroniques qui déforment matériellement des faits et l'utilisation d'une carte financière pour obtenir frauduleusement des services.

Un représentant du gouvernement a déclaré que LMS risque d'être interdit au Nigeria s'il se livre à la tromperie sur les contenus pour adultes.

M. Rose a déclaré à la BBC qu'il ne faisait rien d'illégal et qu'il n'était pas au courant de la loi sur la cybercriminalité au Nigeria. Comme il est basé au Suriname, il serait difficile de le poursuivre en justice.

Des millions de Nigérians sont au chômage et une grève de plusieurs mois des professeurs d'université pousse désespérément de nombreux jeunes à la recherche d'un emploi.

LMS attire les recrues en leur offrant des salaires mensuels allant jusqu'à 150 000 naira (environ 240 315 francs CFA), soit plus que le double du salaire d'un enseignant débutant. Les recrues peuvent gagner en envoyant un minimum de 500 messages par jour à différents clients.

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Abiodun considère son rôle comme "un petit morceau d'une opération mondiale et un crime mineur comparé à la fraude sur Internet".

"Ce n'est pas différent de chatter avec un proche ou un ami, ce que des millions de personnes font tous les jours", dit-il en même temps qu'il visite l'un des sites, sur lequel il se fait appeler Gingerhoney. Un message s'affiche sur son écran, celui d'un homme de 50 ans, qui demande un rendez-vous, depuis les États-Unis.

"Oh, désolé, je dois promener mon chien maintenant", répond Gingerhoney.

C'est le genre d'excuse qu'il a été formé à utiliser pour se soustraire à de telles demandes.

Abiodun ferme l'onglet et en ouvre un autre où Erikka, "une perle qui peut satisfaire vos fantasmes les plus fous", a un message qui l'attend de Sam à Londres.