L’importateur de produits de mer mêle les deux membres du gouvernement dans sa bataille concurrentielle avec ses «frères de l’Ouest».
La société Congelcam SA a ouvert les hostilités contre le gouvernement et la concurrence. Dans un communiqué datant du 30 novembre et rendu public hier, jeudi, elle se plaint de «diverses hostilités» rencontrées. Celles-ci se traduisent par «un certain nombre de prétextes incompréhensibles». Ses points de vente «font régulièrement et abusivement l’objet des scellés».
Proportionnellement à ses importations, le plus grand distributeur de produits de mer au Cameroun affirme payer plus que tous les autres les impôts, «Malgré cela, nous sommes toujours plus contrôlés et abusivement redressés par le fisc et ce, à des milliards de francs CFA.»
Se targuant de ce que son circuit de distribution intégré aide, dans le cadre de la lutte gouvernementale contre la vie chère, à supprimer des marges en cascade susceptibles de renchérir les prix publics des produits sur ses différents marchés, l’opérateur se présente , aussi, dans le mode de distribution du secteur, comme «un gendarme du prix»., son absence sur un segment ou sur l’un de ses marchés faisant exploser les prix, impactant négativement le panier de la ménagère.
Évoquant la situation actuelle du fret maritime international, qui connaît une hausse exponentielle dépassant parfois les 400%, il rappelle que ce contexte a entraîné des «crises des conteneurs». Dans ce contexte, la rareté du poisson à l’international, où l’offre est inférieure à la demande, impactent violemment les coûts de revient de ses différents produits.
Honorabilité factice
Pour Congelcam, la levée de la suspension du Programme d’évaluation avant embarquement (Pecae), sur le poisson frais importé, tout en augmentant davantage les coûts de revient, prolonge les délais d’approvisionnement à l’importation et aggrave, de ce fait, le «risque pays» avec de fortes conséquences sur les stocks disponibles des produits.
Abordant les avantages tirés du rabattement, de l’ordre de 80% sur le fret décidés par le gouvernement pour une période de moins de trois mois, l’opérateur affirme qu’ils impactent moins sur ses coûts de revient. De ce fait, le Pecae s’avère «inutile sur le poisson dont la qualité est déjà contrôlée en amont et en aval par les vétérinaires». Par ailleurs, les tracasseries engendrées par ce «Programme superflu», sur le poisson, empêchent certains fournisseurs à accepter la destination Cameroun.
«Nous saisissons cette occasion particulière où nos prix servent de prétexte à certains acteurs de notre scène politique et économique pour affirmer et diffuser de fausses et dangereuses informations qui déteignent notre honorabilité, notre considération et notre respectabilité», mentionne le communiqué
Et c’est ici que semble se situer le vrai prétexte de cette sortie. Pour Congelcam, contrairement à la persistance d’une certaine opinion entretenue parfois à des niveaux insoupçonnables, la société jure ne bénéficier «d’aucune aide, ni faveur de quelque nature que ce soit, ni de l’État, ni du gouvernement ou de l’un de ses membres en fonction ou non, ni de qui que ce soit d’autre».
Rejetant l’idée répandue, le présentant comme en situation monopolistique, l’opérateur cite en exemple Queen-Fish, Soacam (le puissant importateur de riz bien connu), Green-Sea, Zumi, Florida, La Grace de Dieu, Nico ou encore Aqua-Mar, qui s’activent dans le même segment de marché. «Nous ne bénéficions d’aucune protection de quelque nature que ce soit du gouvernement, comme certains de nos concurrents.» Et de citer Foods and Fish Industries Cameroon SA, «créée en 2018 pour les besoins de la cause», qui depuis lors bénéficie de l’avis technique ou d’une autorisation d’importation du ministère de l’Élevage, des Pêches et des Industries animales (Mimepia).
De même, Queen Fish est la seule entreprise, depuis près d’une décennie, autorisée par le même département à importer les découpes de la viande du porc. «Ces deux entreprises appartiennent au même opérateur économique qui a l’exclusivité de ces deux produits pourtant interdits d’importation sur notre territoire, alors même que nous avons tout fait auprès du Minepia pour avoir»aussi l’autorisation d’importer ces produits, sans succès.»
Illégalité protégée
Et de souhaiter une enquête approfondie et élargie à tous les opérateurs de la filière, à même d’aider à comprendre ce secteur fortement concurrentiel. ;Aussi, nos concurrents pourront dire si notre entreprise bénéficie de quelques avantages ou traitements de faveurs qu’ils n’ont pas.»
Rendu à ce point de la polémique, l’Observateur averti saisira aisément les allusions, sur fond de chantage, adressées par Congelcam à la fois au patron du Minepia, Dr Taïga et à son collègue du Commerce, Luc Magloire Mbarga Atangana. En charge de la gestion des autorisations d’importation et de la régulation du marché, ils apparaissent en effet comme les principales cibles du communiqué de Congelcam. Au passage, sont promoteur, Sylvestre Ngouchinghe, assène quelques piques à la concurrence constituée, exclusivement, d’importateurs issus de la même aire sociologique que lui-même (Ouest).
Et, lorsqu’il se défend d’une quelconque position de monopole, il convient de mentionner que, sur son propre site internet, Congelcam se présente comme le «au Cameroun dans l’importation, la distribution et la vente des produits de mer». Une posture contraire à l’Acte uniforme révisé Ohada, relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, mais aussi à la loi n°2015/018 régissant l’activité commerciale au Cameroun (Titre III, Chapitre I). Ces deux dispositifs font interdiction, à toute entreprise d’être à la fois importateur, grossiste et détaillant.
Comment Congelcam a-t-il donc réussi à opérer dans cette illégalité, pendant des décennies, sans bénéficier «d’aucune protection de quelque nature que ce soit du gouvernement» ? Comment p(eut-elle expliquer qu’elle soit passée entre les gouttes, d’exercer en marge des lois et règlements, si elle ne jouissait «d’aucune aide, ni faveur de quelque nature que ce soit, ni de l’État, ni du gouvernement ou de l’un de ses membres en fonction ou non, ni de qui que ce soit d’autre» ?
Rapport Conac
On se permet de rappeler, au passage que dans son rapport de l’année 2017 la Commission nationale anticorruption (Conac) a réservé une partie à Congelcam SA et son promoteur, reconnus coupables de transferts,illicites de fonds, pratiques de corruption et détournement de fonds pour un montant total de 32.070.273.799 de francs. Pour la même année 2015, visée par les investigations, la Commission a relevé des fraudes sur les manifestes et les enlèvements, une pratique consistant à sortir indélicatement des marchandises du port, essentiellement sous le couvert de la facilité dite d’enlèvements directs, eux-mêmes non apurés.
Congelcam SA et Sylvestre Ngouchinghe ont également procédé, selon le rapport de la Conac, à la soustraction de certaines déclarations d’apurement par les commissaires-transitaires. Ils ont tout aussi, amplement, fraudé sur les déclarations en douane avec pour finalité la minoration des droits et taxes à liquider. Ils ont, ajoute le rapport, fraudé à de multiples reprises sur l’application du programme de vérification des importations (PVI) dont le total des amendes, s’agissant de la violation desdites procédures et pour la période couverte par l’enquête, s’élève à 225.273.799 francs.
Mais, de ce pan largement écorné de la moralité publique, l’opérateur et son milliardaire de patron ont décidé de faire l’impasse dans leur bruyante communication pro domo.
L’on constate, au passage que les relations cordiales entre le gouvernement et l’importateur d’environ 80% du poisson congelé consommé au Cameroun ont pris un coup de froid depuis que le système a émis l’idée de briser cette position dominante.
Selon le rapport d’analyse du Document de programmation économique et budgétaire, déposé en début juillet à l’Assemblée nationale, dans le sillage du débat d’orientation budgétaire précédant l’élaboration du budget de l’État pour l’année 2022, «une réflexion est en cours avec le ministère du Commerce» pour mettre un terme au monopole de Congelcam dans la filière. Fermez le ban.