A l’initiative du Conseil interprofessionnel du cacao et du café du Cameroun, ce Maître de recherche à l’Institut de recherche agricole pour le développement (IRAD) conduit une étude sur les conséquences des changements climatiques sur ces deux filières. Dans cet entretien, il livre les premiers résultats auxquels son équipe est parvenue et esquisse des ébauches de solutions.
Investir au Cameroun : Vous avez officiellement présenté, le 2 mars 2016 dans un hôtel de Yaoundé, les «résultats préliminaires de l’observatoire de l’incidence des changements climatiques sur la productivité cacaoyère et caféière au Cameroun». Comment est né ce projet ?
Michel Ndoumbe Nkeng : Je commencerai par vous dire merci pour l’intérêt que vous portez à cette étude. Tout est parti des préoccupations des producteurs de cacao et de café, exprimées par le Conseil interprofessionnel du cacao et du café (CICC).
Cette interprofession voulait connaitre la conduite à tenir dans leurs plantations face à certains constats. Il s’agit notamment de : la sensation d’un climat devenu plus chaud ; les périodes de sécheresse plus longues ; les précipitations irrégulières, intervenant soit trop tôt soit trop tard, ne sachant plus quand commencent et se terminent les saisons ; l’impression, au niveau du verger, d’une pression parasitaire plus importante ; les cacaoyers et caféiers qui fleurissent plus tôt que prévu, et subitement les fleurs chutent ; les caféiers et les cacaoyers qui semblent «mourir» de chaleur ; une baisse considérable de la production, etc.
Ces préoccupations ont été relayées par le Conseil interprofessionnel du cacao et du café, au niveau de la Recherche, notamment à l’Institut de recherche agricole pour le développement (IRAD). C’est ainsi qu’une convention de partenariat public-privé a été signée entre le CICC et l’IRAD, qui stipulait de façon globale, que l’IRAD apporte l’expertise technique, et le CICC apporte le financement.
Il est donc question de réaliser une étude qui a pour objectif global d’évaluer les effets des changements climatiques sur la productivité caféière et cacaoyère au Cameroun.
De façon plus spécifique il s’agit : de quantifier les contraintes exprimées par les producteurs de cacao et de café dans les bassins de production ; d’étudier l’évolution des variables climatiques (précipitations et températures) dans les différents bassins de production ; d’étudier l’influence des variations climatiques sur la phénologie des cacaoyers et caféiers dans les différents bassins de production ; d’étudier la relation entre les variables climatiques et certaines maladies des cacaoyers et caféiers, de manière à pouvoir en faire des prévisions (modélisation).
Le travail est effectué par une équipe pluridisciplinaire de chercheurs de l’IRAD, assistée par des observateurs recrutés dans chaque site d’étude et formés, ainsi que des cadres du CICC qui s’occupent principalement des aspects juridiques et financiers.
IC : Au cours de votre présentation, vous avez indiqué avoir démarré l’étude par un état des lieux que vous avez appelé «situation de référence». Quels constats majeurs avez-vous fait à cette étape, en général, et au plan agro-écologique, en particulier?
MNN : De façon générale, les préoccupations exprimées par les producteurs ont été confirmées à l’issue de l’étude de la situation de référence, entre autres les conditions climatiques défavorables (longues saisons sèches, irrégularité des précipitations, …).
D’autres constats ont également été faits. Il s’agit notamment du vieillissement des plantations et des producteurs ; des pratiques culturales encore archaïques pour bon nombre de producteurs, ainsi que des itinéraires techniques inadéquats ; puis la formation insuffisante des producteurs.
IC : Comment s’est déroulée la suite de l’étude sur le terrain au plan méthodologique ?
MNN : Nous avons d’abord effectué un maillage des bassins de production de café et de cacao au Cameroun. La méthode d’échantillonnage stratifiée à deux niveaux a ensuite été appliquée, la strate principale étant la zone agro-écologique, et la strate secondaire la région. Trente (30) parcelles ont ensuite été identifiées dans dix (10) sites, où des observations sont faites sur des variables tant biologiques (composantes de rendements, maladies et ravageurs) que climatiques (pluviométrie, températures minima, maxima, …).
IC : Votre étude confirme que les changements climatiques impactent la productivité cacaoyère et caféière au Cameroun. Comment cela se manifeste-t-il concrètement?
MNN : Cela se manifeste entre autre par un stress hydrique des arbres (stress subi par une plante placée dans un environnement qui amène à ce que la quantité d'eau transpirée par la plante soit supérieure à la quantité qu'elle absorbe, Ndlr), une chute anormale des fleurs, une forte pression des maladies et ravageurs, avec pour conséquence une baisse considérable des rendements.
IC : Avez-vous pu identifier des solutions palliatives à ce phénomène? Si oui, quelles sont-elles ?
MNN : Les travaux sont encore en cours. Cependant, des pistes de solution ont tout de même été identifiées. Les chercheurs de l’IRAD sont à pied d’œuvre pour la création des variétés plus adaptées aux changements climatiques.
Les données collectées au cours de cette étude vont alimenter les schémas de modélisation, avec à terme, l’élaboration d’un modèle de prédiction des épidémies et le développement d’un système d’information (SI), de manière à effectuer les traitements phytosanitaires de façon raisonnée. Mais nous n’en sommes pas encore là.
IC :Le Cameroun est engagé dans un programme de relance des filières cacao-café, qui prévoit une augmentation de la production à 600 000 tonnes à l’horizon 2020 pour le cacao, et à 185 000 tonnes pour les cafés. Avec la réalité que dépeint votre étude, notamment les incidences des évolutions climatiques sur la productivité, quelles mesures urgentes peuvent être prises pour que cet objectif soit atteint?
MNN : Les mesures urgentes à prendre sont l’application effective des bonnes pratiques agricoles, telles que l’utilisation des variétés améliorées existantes, un meilleur suivi de l’itinéraire technique, la pratique de la récolte sanitaire, le traitement phytosanitaire en régie des parcelles. Pour y arriver, les producteurs ont besoin d’être assister tant en appui-conseil (formation) que financièrement.
IC : Au regard de la dimension de votre échantillon, les résultats de vos observations sont-ils transposables à l’ensemble des bassins de production du cacao et des cafés du Cameroun, dans la mesure où les réalités climatiques sont souvent si différentes dans les uns par rapport aux autres?
MNN : Vous avez raison d’évoquer cette question relative à la taille de l’échantillon. Pour une meilleure représentativité des zones cibles, cette taille devrait être bien plus grande. Mais, il faut faire avec les moyens disponibles. Ces travaux de recherche sont très coûteux. Plus grand est le nombre de sites, plus élevé est le budget.
Déjà, nous devons rendre un hommage bien mérité au CICC non seulement pour avoir fait déclencher le processus, mais aussi pour avoir mis à disposition et à temps les moyens financiers promis. Des démarches sont entreprises pour nouer d’autres partenariats, qui nous permettraient d’agrandir considérablement la taille de notre échantillon et par ricochet, d’améliorer la précision des résultats.
IC : Enfin, en s’en tenant aux résultats auxquels ont débouché vos travaux, peut-on conclure qu’avec les changements climatiques, les habitudes culturales sont amenées à changer fondamentalement dans l’agriculture, en général, et dans les filières cacao-café, en particulier ?
MNN : Je rappelle que les travaux sont encore en cours. Ce sont juste des résultats préliminaires qui ont été présentés. D’ici la fin de l’année prochaine, les résultats plus peaufinés de cette étude seront dévoilés et on saura exactement à quoi s’en tenir. En attendant, l’application des mesures palliatives sus-évoquées pourront déjà permettre de stopper la chute vertigineuse constatée des rendements.