Dans une note d’analyse de février 2018, la société de prestation de service d’investissements (PSI) Attijari Securities Central Africa, a estimé et défendu, qu’il n’existe pas de risque, ni sur le court terme, ni sur le moyen terme, d’une dévaluation du franc CFA utilisé par les pays membres de la CEMAC.
Des similitudes avec 1994…
En comparant les indicateurs économiques globaux de cette zone, la société qui est une des filiales du groupe marocain Attijariwafa Bank, présente au Cameroun, au Gabon et au Congo, explique d’emblée que les conditions économiques d’aujourd’hui semblent en effet rappeler celles de la période qui avait précédé la dernière dévaluation de 1994. Comme durant cette période-là, la CEMAC est aujourd’hui frappée par une baisse des recettes extérieures. Cette situation est la conséquence du repli des prix du baril de pétrole, le principal produit d’exportation de la sous-région. Ajouté à cela, le dollar américain qui a sensiblement baissé sur l’euro, la monnaie à laquelle est rattaché le franc CFA.
L’autre situation constatée, et qui rappelle celles ayant conduit à la dévaluation en 1994, est la baisse des recettes issues des taxes sur le commerce extérieur, et enfin l’obligation pour les Etats, de poursuivre malgré tout, des projets d’infrastructures qui ont été démarrés avant que ne survienne la situation de crise. Mais ASCA fait aussi ressortir des points qui sont complètement différents
Les quatre raisons qui éloignent le risque de dévaluation
1) La première différence réside dans le mode d’intervention du Fonds Monétaire International. Représentée par sa directrice générale Christine Lagarde, lors du sommet d’urgence de 2016 à Yaoundé au Cameroun, l’institution semble avoir, elle aussi, entériné l’idée selon laquelle face à la crise des réserves de change, le changement de parité n’est pas la solution la plus urgente à mettre en œuvre. Elle a accepté d’accompagner les pays dans des programmes économiques inconditionnels et trois des pays sont déjà sous-programme de Facilitation Elargie de Crédit (même si le Tchad doit encore résoudre certains défis parallèles). Or, avant 1994, une conditionnalité fondamentale du FMI avait été celle de dévaluer avant toute forme d’appui. On l’a encore vu imposer une telle conditions à l’Egypte, avant de lui accorder son programme d’appui à 12 milliards $.
2) La seconde chose qui diffère de la période de dévaluation, est l’attitude des bailleurs de fonds. Ces derniers avaient abandonné leurs aides, plombant davantage la position extérieure des pays. Cette fois ci, les bailleurs ont maintenu leurs aides et, dans un pays comme le Cameroun, cela s’est même traduit par une injection de liquidités de 980 milliards de FCFA en trois ans, sous la forme d’appuis budgétaires.
Aujourd’hui, même si l’hexagone demeure un membre important de cette zone monétaire, le rattachement à l’euro réduit sa capacité à décider de manière unilatérale.
3) Tertio, la convertibilité du Franc CFA avait été suspendue par la France qui était l’interlocutrice directe des pays de la zone Franc. Aujourd’hui, même si l’hexagone demeure un membre important de cette zone monétaire, le rattachement à l’euro réduit sa capacité à décider de manière unilatérale.
4) Enfin, le dernier critère est celui du taux de couverture de la monnaie, c’est-à-dire de la capacité des réserves de change, à couvrir les besoins en biens importés de la zone. Il était de 15% en 1994 alors qu’aujourd’hui, il est de 64%.
Notons cependant, que ce niveau de couverture de la monnaie se fait au prix d’un gros effort pour les pays de la CEMAC, qui connaissent une certaine atonie de leurs économies, plombée par la baisse des exportations, mais aussi des importations qui, traditionnellement, alimentent 60% de la consommation de biens et services.
D’autres solutions sont plus appropriées que la dévaluation
Pour Attijari la dévaluation, de toute les façons, n’avait pas été une solution sans failles et il y a peu de chance que cela puisse être plus efficace aujourd’hui. « Il faudrait souligner que cette décision a été suivie par une série de mesures d’accompagnement notamment le blocage des prix de produits de première nécessité, le relèvement des prix de produits de rente, l’augmentation des salaires (finalement non appliquée) et l’allègement de la fiscalité et des droits de douane », fait-elle savoir dans son étude.
On ne peut pourtant fermer les yeux sur le fait, qu’il y a eu un certain nombre d’implications positives. Il y a eu une reprise progressive de la balance commerciale, une amélioration des recettes du commerce extérieur et un raffermissement de la croissance, notamment grâce à un effacement d’une partie de la dette et un rééchelonnement des échéances. Mais il est très difficile de dire aujourd’hui, si cela était le fait de la conjoncture internationale, ou de l’application des mesures de gouvernance rigoureuses.
Dans tous les cas, la dévaluation a entraîné une situation sociale délabrée pour une partie importante des populations de la CEMAC dont les pays membres ont eu bien du mal à se relever.
Dans tous les cas, la dévaluation a entraîné une situation sociale délabrée pour une partie importante des populations de la CEMAC dont les pays membres ont eu bien du mal à se relever. Pour ASCA, une réforme réelle de la politique monétaire ne saurait se limiter à une dévaluation du FCFA. « Si cette réforme pourrait être qualifiée de brutale, et ayant des effets mécaniques sur l’inflation et le service de la dette, elle a le mérite de conserver les avantages (cités auparavant) de la parité fixe tout en espérant un impact positif sur la balance commerciale, les finances publiques, et la production locale », estiment les expert d’ASCA.
Parmi les voies de sortie proposées, on retrouve le réaménagement du panier, en introduisant d’autres monnaies comme par exemple le dollar et le yuan chinois. Une telle option permettrait à la zone CEMAC de s’adapter à l’ouverture progressive de son commerce vers la Chine. L’autre suggestion serait d’introduire une bande de fluctuation. Cette solution a récemment été mise en application au Maroc et permet au pays de gérer la fluctuation du dirham en douceur.
Le FCFA reste solide de par sa nature même
Pour Attijariwafa Bank, la nature même du FCFA a été la première ligne de défense des pays de la CEMAC face à la nouvelle crise des matières premières qui a frappé l’économie de ses pays membres. Elle prend compte les critiques qui sont formulées à l’endroit de cette monnaie.
« Il est généralement admis qu’un régime de change indexé à une devise forte ne procure pas de compétitivité prix aux exportations. C’est un mécanisme qui encourage, au contraire, la consommation de produits importés. De même, l’implémentation d’une politique monétaire se réalise au niveau de chaque zone, et est quelque part influencée par la politique monétaire de la Banque Centrale Européenne (BCE). Autrement, la centralisation de la moitié des réserves auprès de la Banque de France est une disposition souvent décriée, du fait des contraintes citées précédemment », peut-on lire dans l’analyse.
Néanmoins, remarque-telle, les avantages de cette monnaie sont plus important que ses inconvénients. Un de ces avantages est la flexibilité dans la mise en œuvre des accords qui encadrent son existence. Ainsi, il n’est pas prévu de pénalités ou de sanctions à l’égard des pays ne respectant pas les critères de convergence. La Banque de France ne fixe pas de limites sur les montants en devises tirés du compte courant. « L’institution tolère les situations de débit sans pour autant fixer de plafonds ou prévoir de sanctions. De même, des avances pourraient être consenties à hauteur de 20% des recettes budgétaires, sous forme directe ou à travers l’acquisition de titres de dette souveraine », explique l’analyse.
Ainsi, il n’est pas prévu de pénalités ou de sanctions à l’égard des pays ne respectant pas les critères de convergence. La Banque de France ne fixe pas de limites sur les montants en devises tirés du compte courant.
Le rapport publié par le FMI début décembre, indique en effet, qu’en 2016, au moins 4 pays de la CEMAC ne respectaient pas l’un des 4 critères de convergence. Cette flexibilité a aussi pu être constaté lors des réunions successives du comité de pilotage du programme de réformes économiques de la zone CEMAC. La dette de la République Congolaise représente plus de 70% de son Produit Intérieur Brut, le Cameroun, le Gabon et le Tchad font face à d’important arriérés qui plombent le secteur bancaire, aucun des pays n’a un solde budgétaire positif et, dans certains pays, la hausse des prix a dépassé les 3%. Pourtant, aucune sanction n’est prise, ni par la France, ni pas les instances de la CEMAC.
L’autre avantage reconnu au CFA se matérialise, selon ASCA, dans le climat de confiance que crée son régime de change fixe. « Le régime actuel du FCFA procure les avantages intrinsèques d’un régime de change fixe, indexé à une devise forte, en l’occurrence le maintien d’une inflation basse, la résilience et l’instauration d’un climat de confiance propice à l’endettement et à l’investissement » expliquent ses analystes.