Infos Business of Wednesday, 9 March 2016

Source: Le Monde

Le poivre de Penja, produit du terroir aux arômes 'magiques'

Photo d'archive utilisée juste a titre d''illustration Photo d'archive utilisée juste a titre d''illustration

Ils sont tous concentrés à la tâche. Perchés sur des échelles ou debout, les mains accrochées aux feuilles, ils cueillent. Des éclats de rire et des voix s’échappent des fois. Dans cette plantation située à Penja, dans la région du Littoral au Cameroun, des hommes et femmes s’attellent à la cueillette du poivre blanc de Penja.

« Je suis là depuis 7 heures du matin, lance souriant Hervé Tadgoum. J’espère cueillir au moins 40 kilos ce jour ». Comme de nombreux cueilleurs, Hervé gagne entre 50 et 100 F CFA (environ 2 centimes d’euro) par kilo de poivre cueilli.

« A la fin de la journée, je me retrouve avec au moins 2 000 F CFA (environ 3 euros). Même si monter et descendre de l’échelle est pénible et parfois dangereux car on peut tomber, rien que l’odeur du poivre me fait oublier la douleur, rigole le jeune homme âgé de 30 ans. Vous savez, c’est le meilleur poivre au monde. Il est vendu partout. »

A Penja, petite ville aux 40 000 habitants, le poivre blanc fait la « fierté » de la population, au même titre que le Bordeaux en France par exemple. En effet, ce condiment cultivé sur un sol volcanique est le premier produit d’Afrique subsaharienne ayant bénéficié en 2013 d’une indication géographique (IG), une appellation d’origine et de qualité attribuée par l’Union européenne.

300 tonnes de poivre produites en 2015

Pour obtenir cette IG (titre de propriété intellectuelle), attribuée la même année au miel blanc d’Oku, produit dans la région du nord-ouest du Cameroun, les producteurs de Penja qui cultivent ce condiment depuis des décennies ont bénéficié du financement de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) et de l’Agence française de développement
AFD, partenaire du Monde Afrique).

« Aujourd’hui, trois ans après, du point de vue statistique, nous sommes passés d’une dizaine de producteurs à 200. Le rendement a également augmenté. De 2 500 à 3 000 F CFA il y a des années, le prix du kilo se situait entre 12 000 et 14 000 F CFA lors de la campagne 2015 », se réjouit Emmanuel Nzenowo. Le secrétaire exécutif du groupement IG Poivre de Penja précise qu’environ 300 tonnes de poivre ont été produites en 2015 : 60 à 70 % de cette récolte ont été écoulés sur le marché local. Le reste a été exporté à l’étranger, plus particulièrement en Europe.

Dans sa plantation située sur les hauteurs de Penja, René Claude Metomo observe les va-et-vient de ses cueilleurs. Sur une superficie de 20 hectares, il a récolté environ 20 tonnes de poivre blanc de Penja en 2015. « Pour cette année 2016, le climat nous joue des tours. Depuis vingt ans, c’est la plus grave sécheresse que je connaisse, soupire-t-il, le regard rivé sur une plante tout asséchée. Il y a aussi des ravageurs et des chenilles qui rongent des feuilles et abîment les poivres. »

Pour limiter ces dégâts qui s’annoncent, les deux cents producteurs, disséminés dans les six arrondissements (Littoral et Sud-Ouest) où se cultive le poivre, et la centaine de distributeurs comptent se réunir comme c’est souvent le cas en début de campagne, pour discuter et fixer ensemble le prix du kilo, de façon à ce qu’il n’y ait pas « de perdant », souligne Emmanuel Nzenowo.

Graines « d’or »

« Il y a peut-être la sécheresse. Mais nous comptons sur le goût unique du poivre blanc de Penja pour maintenir notre clientèle, car lorsqu’on le déguste, on sent immédiatement la différence avec les autres poivres, espère André Takougoum, propriétaire d’un champ de poivre. Il est piquant, agréable et a vraiment un arôme particulier, impossible à décrire. »

Au restaurant Marie Poulet de Penja, Marie Emene, la propriétaire, a une touche « magique » : son poivre blanc, au « goût parfumé » et à l’arôme « magique ». Chaque semaine, elle assaisonne ses poulets, poissons et autres sauces, avec un kilo de ses graines « d’or ». Un amour qui dure depuis quarante ans. Elle rêve aujourd’hui de posséder un champ de poivre bien à elle.

Le processus d’obtention de ce poivre tant convoité est pourtant long : après six mois en pépinière, les lianes de poivrier sont plantées au pied des tuteurs (des troncs d’arbres où vont s’enrouler ces lianes). Il faut alors patienter entre trois et cinq ans pour récolter. « Par la suite, le poivre récolté est trempé dans de l’eau pendant dix jours. Il est ensuite séché pour obtenir le poivre blanc de Penja », précise François Noubissi, producteur. Le poivre le plus vendu reste jusqu’ici le poivre blanc, mais des poivres noir, vert et rouge sont également produits à Penja.

« Nous comptons sur notre station de conditionnement et l’installation de l’eau potable qui seront bientôt opérationnelles pour développer davantage toutes nos activités », espère le secrétaire exécutif du groupement IG Poivre de Penja.