Mieux vaut en prendre acte: à maints égard l’éviction même provisoire du groupe Bolloré de la concession pour la gestion du Terminal à conteneurs (Tac) au port de Douala, charrie sa vague de symboles et d’enseignements. Retentissant Pour en sonder la portée, il importe de suivre le jeu des acteurs de ce qui concentre toutes les caractéristiques d’un feuilleton.
Le premier d’entre eux, qui, de par sa position institutionnelle, se trouve au centre des jeux d’intérêts divers, c’est Paul Biya. C’est bien lui qui a ordonné la suspension du processus ayant conduit à la sélection de l’opérateur suisse Terminal Investments Limited (TIL), au détriment notamment de Douala International Terminal (DIT) de l’opérateur français. Mélange d’habileté, de subtilité et de fermeté, cette décision présidentielle s’est imposée comme mode d’arbitrage particulier; la suspension ne s’accompagnant pas de la réhabilitation du candidat recalé.
Résultat certain d’une certaine diplomatie économique, au sens où celle-ci renvoie à «l’utilisation de l’appareil diplomatique en tarit qu’instrument au service de la compétitivité nationale et internationale d’un pays, de sa croissance économique, de son développement et de sa puissance économique», selon la définition qu’en donne Christian Pout(l).
Il est vrai que l’organisation du Grand dialogue national sur la crise dans les régions anglophones, ainsi que la mise en œuvre des recommandations issues de cette grande messe politique ne furent pas pour peu dans les directives présidentielles: Paris n’y fut pas un acteur mineur. Et c’est peu dire. Quant à l’offensive diplomatique en faveur du groupe Bolloré, on se souvient qu’elle fut portée par Jean-Yves Le Drian, ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères se payant, en octobre 2019, un séjour à Yaoundé marqué par une audience avec Paul Biya au palais de l’Unité.
Après des démarches infructueuses initiées et menées par ses propres soins, le groupe Bolloré ne pouvait trouver meilleur ambassadeur. Les observateurs savent au demeurant que dans la «guerre des ports africains», «Vincent Bolloré dispose de quelques atouts sur ses concurrents, avec un solide carnet d’adresses, un réseau d’influence bien entretenu et quelques médias sous contrôle, susceptibles de faire l’éloge de tel ou tel dignitaire qu’il conviendrait d’amadouer», si l’on en croit Olivier Bla-mangin(2).
Autres temps, autres paradigmes? Rien n’est moins sûr. Ce qu’il faut souligner et continuer de scruter, c’est ce qui présente toutes les allures d’un déclassement du Groupe français, au moins sur la place portuaire de Douala, en dépit d’un activisme plutôt assidu en direction du palais de l’Unité. C’est ici qu’une petite phrase, devenue au gré des réaménagements des lignes directrices de la coopération tracées par le chef de l’État, acquiert sens et consistance. «Le Cameroun n’est la chasse gardée de personne», avait déclaré Paul Biya lors d’une visite en Allemagne en 1986.
Et de fait, depuis quelques années, la gestion des relatons bilatérales entre le Cameroun et d’autres États est gouvernée par cette vision, comme en témoigne la diversification des partenaires de notre pays; lequel peut au^si bien compter sur la France que s’appuyer sur la Chine, la Russie, le Japon, les États-Unis, parmi d’autres, selon une logique qui repose sur cet aphorisme bien connu des diplomates, et énoncé par… le Général de Gaulle: «Entre les États il n’y pas d’amitiés, il n’y a que des intérêts». Jusqu’où ira le président camerounais dans ce dossier à tiroirs? Faisons confiance au temps: il fera son œuvre.
En attendant, comment ne pas s’attarder sur le deuxième acteur de ce feuilleton? Le groupe Bolloré semble n’avoir pas été attentif aux évolutions en cours, faites de révolutions par petites touches. Les manœuvres en vue de conserver la concession pour la gestion du Terminal à conteneurs du port de Douala paraissent témoigner d’une certaine cécité stratégique qui n’a pas permis à ses dirigeants de voir venir ce naufragé à tout point de vue symbolique.
Et même si le groupe français conserve une place enviable dans l’économie camerounaise, le dossier du Tac a remonté en surface les errements d’un management et des méthodes largement critiquées sur la place portuaire de Douala. Ce qui n’est pas sans dommage pour son image…
Reste le troisième acteur: le top management du Port de Douala-Bonabéri en place depuis 2016. Couvert de légalité et légitimité, bénéficiant au surplus de Fonction présidentielle, il se savait exposé aux jugements les moins cléments en cas de contre-performances. Il exhibe fièrement qui l’en blâmerait? – les résultats engrangés par la Régie du terminal à conteneur, mesures entreprises et statistiques à l’appui. Ce faisant, il révèle, en creux, dans une logique diachronique, les insuffisances et faiblesses de DIT, c’est-à-dire une part de la partie immergée de l’iceberg. Le moins qu’on puisse dire c’est que, sous l’impulsion des plus hautes autorités de l’État, un vent de patriotisme économique balaie les berges du Wouri.
Il ne faut cependant pas perdre de vue l’horizon. Paul Biya, candidat du Rassemblement démocratique du peuple camerounais pour l’élection présidentielle d’octobre 2011, en fixa le cap: «Douala doit devenir «LE port» de référence du Golfe de Guinée». L’on est dès lors fondé à suivre ce Port avec d’autant plus d’attention qu’il doit affronter une vive concurrence dans la sous-région Afrique centrale, si du moins, l’on s’en tient à divers scenarii alternatifs esquissés par des experts.
L’enjeu: noyer les oiseaux de mauvais augure. En contexte camerounais, la gestion d’une infrastructure d’une telle importance n’est jamais un long fleuve tranquille. Elle peut.être soumise à des flots violents de politique politicienne que signalent des luttes de clans à peine discrètes au sein du système. Ici, comme ailleurs, il faut se souvenir de ces propos de Sénèque: «Il n’y pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va». Le défi: maintenir la tête hors de l’eau.
(1) Christian Edmond Pout, Sécurité et diplomatie de l’émergence: enjeux pour le Cameroun, Les Presses universitaires de Yaoundé, 2013, p.160.
(2) Olivier Blamangin, «Vincent Bolloré, affaires africaines», in Thomas Borel & al (Dir), L’empire qui ne veut pas mourir. Une histoire de la Fran-çafrique, Seuil, Paris, 2021.