Une jeune femme a raconté au Tribunal de grande instance du Mfoundi les raisons du meurtre de son frère en invoquant la légitime défense contre celui qu’elle considérait comme un bourreau.
«Ça va quand même m’enlever un poids lourd de la tête. Je ne regrette pas ce que j’ai fait. Je ne regrette rien», affirmait Alimatou Limane devant le Tribunal de grande instance du Mfoundi, le 1er octobre 2021, en réponse à la question de savoir si elle avait des remords après avoir tué son frère ainé. Une réponse qui en a presque décontenancé les juges qui vont lui expliquer à nouveau cette interrogation.
La réponse est similaire. Quant aux larmes qui perlaient sur son visage lors de sa déposition, Alimatou les justifie simplement par les conditions difficiles de détention au sein de la prison centrale de Yaoundé-Kondengui. Des affirmations qui ont surpris même les accusés des autres affaires de la salle qui attendaient leur tour devant la barre et qui ne se sont pas retenus de s’exclamer. Lors de ses prises de parole et ses explications, il semblait se dégager la conviction que cette jeune femme ne voulait pas d’amalgame dans cette affaire. Elle avait tué son frère et elle l’assumait jusque devant ceux qui pouvaient la condamner.
Pour remonter au début de cette histoire macabre, Alimatou a confié au tribunal que depuis leur enfance, ses frères ne présentaient pas de signes d’affection envers elle. Son père et sa mère, qu’elle décrit comme réservés, ne faisaient pas plus d’effort selon la jeune femme. Les scènes de bastonnade infligées par ses frères sur sa personne étaient récurrentes, raconte-elle. Pour peu qu’elle mettait en colère leur mère, ils bondissaient immédiatement sur elle pour lui infliger une correction. En plus de la violence, l’accusée leur impute aussi des menaces de mort et des pratiques occultes avec du sang qu’ils répandraient parfois dans la maison. Selon l’accusée, ce climat pesant était presque permanent. Après son retour dans le logis familial après quelques années passées à Maroua, la jeune femme dit avoir vécu à nouveau le même traitement de ses frères qui ne déchainaient leur violence que contre elle, alors qu’elle a une sœur cadette. De toute la fratrie, la tension était plus perceptible entre elle et son frère ainé, Sali, qu’elle traite à souhait de brutal et sadique. Elle finira par lui ôter la vie.
Menaces à répétition?
C’est en février 2019 que le pire survient. Alors qu’elle est sortie pour faire quelques achats, Alimatou a narré que de retour à la maison, elle a rencontré Sali devant le portail. Au lieu d’échanger les civilités, ce dernier l’aurait agressé verbalement. Le temps que leur mère vienne ouvrir le portail, car elle avait fait retentir la sonnerie avant son frère, Alimatou et Sali étaient en train de se bagarrer. Les deux obéissent à l’ordre maternel de cesser les violences, tout en demandant à Alimatou de rejoindre sa chambre. Quelques instants plus tard, son grand frère viendra frapper à sa porte, en proférant des menaces et injures, avec l’intention d’entrer et d’en découdre avec elle selon l’accusée.
C’est cette menace d’être battue à nouveau par Sali qui l’aurait décidée à saisir un marteau, ouvrir la porte et lui assener de violents coups sur le crâne et d’autres parties de son corps. Elle ajoute qu’elle a également trouvé un «couteau qui trainait là» pour lui poignarder la cuisse à plusieurs reprises jusqu’à ce que ce couteau se casse. Une attaque qu’elle qualifie de légitime défense car elle imaginait que son frère devait lui faire du mal. Sali va succomber plus tard à ses blessures et la police viendra l’arrêter.
Pour le ministère public, il ne fait aucun doute que l’accusée avait l’intention de tuer son frère et mesure la gravité de son acte. La question de son innocence ne se pose pas pour le magistrat. Le fait qu’elle n’accorde pas d’importance à la vie qu’elle a ôtée en invoquant la légitime défense est une preuve de plus qu’«elle n’est pas faite pour vivre en société». Le magistrat rappelle également que s’il lui était permis, Alimatou aurait aussi tué son frère cadet qui a défoncé la porte pour l’appréhender après le meurtre. Elle avait aussi brandi un couteau sur lui avant d’être maitrisée.
En outre, son opinion aurait été confirmée par la colère et la haine qui habitent encore l’accusée deux ans après son crime et la confession de l’accusée affirmant qu’elle n’hésiterait pas s’il fallait répéter le même acte. Aussi, a-t-il demandé que la loi soit appliquée dans toute sa rigueur pour retenir l’accusée dans les liens de la culpabilité. Selon l’article 276 du Code pénal, la mise en cause risque la peine de mort.
Dans sa plaidoirie, l’avocat de Alimatou Limane a demandé au tribunal de prendre en compte le fait que sa cliente n’a pas une vision nette de la réalité. Ce ne serait donc pas de manière intentionnelle et raisonnée qu’elle a tué son frère, encore moins avoué son manque de remords devant le tribunal. Il sollicite par ailleurs qu’une expertise psychiatrique, par un médecin compétent, soit réalisée sur sa cliente. L’avocat confie que dès le premier entretien avec la jeune femme, il a eu des doutes sur sa santé mentale, qui ont été confirmés par la suite. C’est sur cet argument que l’homme conclut pour demander des circonstances atténuantes pour sa cliente selon l’article 85 du Code pénal. Le verdict sur la culpabilité de sa cliente sera connu le 5 novembre 2021.