Tant que la vérité n’est pas faite sur cette affaire, je crains désormais pour ma propre sécurité. Depuis Jeudi soir, on ne sait où se trouve Jacob Fossi, ce passionné de la camera et du reportage.
Nous venions juste de rentrer d’un périple de trois jours à Buea. Il était devenu le plus fidèles de mes compagnons de route à chacune de mes descentes sur le terrain dans le cadre de la crise du NOSO. Nous étions ensemble à Bamenda en 2017 pour un petit reportage sur la crise anglophone. Quand j’ai été interpellé par la police sur la route d’Edéa en octobre 2020, nous avons tous été embarqués. Il a abondamment plu sur lui derrière le pick-up pendant que j’étais à l’abri à la cabine avec les agents de renseignements qui tenaient à nous convoyer à Yaoundé. Mais il n’a pas hésité à recommencer en me disant : « Nous devons faire notre part pour que la paix revienne dans notre pays ». Du 13 au 16 décembre dernier, j’ai donc de nouveau fait chemin avec lui de Buea à Douala.
Nous sommes partis de Douala pour Buea le lundi 13 décembre 2021 par le transport en commun. A Buea, nous avons logé au centre d’accueil de l’Eglise Presbytérienne, non loin de la résidence du gouverneur. J’ai eu l’occasion d’échanger avec l’évêque sur la situation qui règne dans cette zone et surtout sur la vulnérabilité des populations. Le soir, nous sommes allés chercher à manger dans un petit coin, plutôt animé, de la place. Et puis nous sommes rentrés nous coucher.
Le lendemain, nous nous sommes levés tôt, nous avons récité ensemble les Laudes, et nous nous sommes mis en route à destination de Tiko. Ce trajet nous a pris à peu près trois heures et demie de temps. A Tiko, l’occasion m’a été donné d’échanger avec l’un des curés de la ville et même de découvrir le port délaissé mais opérationnel de Tiko. Nous avons logé dans un lieu qui était adjacent à une buvette où Jacob s’est installé pour fumer un cigare. Je l’y ai rejoint un peu plus tard. Il m’a fait part de la présence d’un monsieur qu’il suspectait de nous filer. Mais nous avons opté de l’ignorer.
Nous avons ensuite trouvé à manger et nous sommes allés nous coucher. Il était environ 22h. Le mercredi matin, même scénario : lever tôt, récitation commune des laudes, et cap sur la prochaine escale : Mudeka, une petite bourgade dans le Moungo anglophone. Le trajet est un peu plus long et donc un peu plus exigeant physiquement. Après près de quatre heures de route, nous arrivons à Mudeka où, providentiellement, une famille accepte de nous loger dans des chambres de fortune.
L’hospitalité immédiate des habitants de Mudeka est frappante. Ce grand village se trouve en fait à la frontière entre le Sud-Ouest et le Littoral et on y parle aisément anglais, pidgin, français et autres langues maternelles. Comme d’habitude, en plus de causer avec les habitants du coin, nous cherchons où manger et nous désaltérer. La nuit, nous aurons du mal à trouver le sommeil, du fait de l’animation qui règne dans l’artère principal du centre du village de 21 heures à deux heures du matin.
Le jeudi matin, comme les jours précédents, nous prions ensemble à 6h30 mn et nous nous mettons en route pour Douala. Mais pour atteindre le rond-point Deido qui est notre destination, il faut avaler environ 30 kilomètres. Quand nous arrivons à Bekoko, à l’entrée de la ville de Douala, il est environ 10h. Nous poursuivons la route jusqu’à Bonaberi où Jacob, du fait de la fatigue et des égratignures de toutes sortes, emprunte une moto pour Bonassama. Il a promis à un de ses amis que nous y marquerons un arrêt pour participer à un arbre de Noël pour des enfants en situation de handicap. Je l’y rejoins à pieds trois heures plus tard et procède à la bénédiction des enfants. Pour nous c’était l’apothéose du périple. Il est un peu plus de 14h quand nous quittons le lieu de la cérémonie en boitillant jusqu’au rond-point Deido où nous décidons de partager un verre pour célébrer la fin heureuse et sans incident de notre périple que nous avions voulu moins médiatisé, surtout après l’épisode d’Edéa, il y a un peu plus d’un an.
Quand nous nous séparons jeudi autour de 15h30, Jacob me confie qu’il va passer la nuit chez un de ses amis de la ville et reprendre la route de Yaoundé le lendemain matin pour rejoindre sa famille. Il ira effectivement chez son ami, y laissera tous ses effets, y compris ses téléphones, avant de ressortir, d’après le témoignage de l’ami en question. Depuis jeudi soir, on ne l’a pas revu. Qu’est-il arrivé à Jacob, cet homme sociable, affable, d’un sang-froid extraordinaire et surtout d’un mental de fer ? On ne le sait pas encore. On continue à le chercher. Les forces de sécurité et les autorités judiciaires sont désormais saisies et nous espérons que les enquêtes permettront non seulement de démêler cette histoire mais surtout de le retrouver vivant. C’est ma prière, et celle de tous les siens. Tant que la vérité n’est pas faite sur cette affaire, je crains désormais pour ma propre sécurité.