Diaspora News of Saturday, 21 January 2017

Source: AFP

Italie: un Camerounais décoré pour son combat

Il s’est engagé dans la voie syndicale et dans l’écriture Il s’est engagé dans la voie syndicale et dans l’écriture

Un Camerounais de 31 ans, habitant à Turin, sera bientôt fait chevalier de l'ordre du Mérite en Italie pour s'être battu contre l'exploitation indigne de migrants africains dans les champs de fruits et légumes du pays.

C’est un héros des temps modernes. Yvan Sagnet, un Camerounais de 31 ans, arrivé à Turin en 2007 avec un visa étudiant, sera bientôt décoré par le président de la République italienne. Il deviendra, aux côtés d'une quarantaine d'autres personnalités, chevalier de l’ordre du Mérite.

Du mérite, Yvan Sagnet en a. On pourrait même parler de bravoure quand on connaît son histoire. Depuis plusieurs années, le jeune homme a le courage de se battre contre la mafia italienne, dans la région des Pouilles, pour dénoncer l’exploitation des migrants africains et leur salaire de misère. Un combat aujourd’hui reconnu et applaudi au plus haut sommet de l’État.

Tout a commencé à l’été 2011 quand le jeune immigré cherche un petit boulot alimentaire pour financer ses études. "J’avais raté un examen, je n’avais plus droit à ma bourse. Il fallait trouver de l’argent, alors sur les conseils d’un ami, je suis parti ramasser des tomates", raconte ce fervent supporter de la Juventus, le célèbre club de football turinois.

Son voyage le conduit à Nardo, dans le talon de la botte italienne, où il apprend qu’une exploitation cherche des saisonniers employés à la journée. C’est la douche froide. "Sur place, j’ai découvert un camp de tentes où vivaient environ 800 personnes, avec seulement cinq douches, des conditions d’hygiène inimaginables". "Il y avait des Tunisiens, sans doute les plus nombreux, mais aussi des Marocains, des Angolais, des Burkinabè, des Maliens... J’étais le seul Camerounais", se souvient-il, encore ému à l’évocation de cette période.

La mafia et les "caporali"

Sous ses yeux, les immigrés africains sont quasiment réduits à l’état de servitude. Dans les champs où l'on récolte des tomates, des melons, des pastèques, le travail est exténuant. Jusqu’à seize heures par jour, sous un soleil de plomb, pour un salaire de misère : 20 à 25 euros par jour, dont il faut encore souvent déduire le prix des bouteilles et des sandwiches vendus par les "caporali", des contremaîtres, souvent liés à la mafia, qui font office d’intermédiaires entre les ouvriers et les patrons.

"L'État, la commune, le maire, tous connaissent [le problème], a expliqué Yvan Sagnet dans un entretien avec l'AFP. Mais ils font semblant de ne rien savoir."

Le syndicat FLAI-CGIL [syndicat des travailleurs agroalimentaires] estime à 400 000 le nombre de saisonniers travaillant en Italie sous la coupe de ces chefs de gang. "Certains travaillaient en plein ramadan, sans manger ni boire. Si quelqu’un s’évanouissait, on ne l’aidait pas à se relever et s’il voulait aller à l’hôpital, il devait aussi payer pour son transport", s’indigne encore le jeune Camerounais.

La grève de Nardo

La décision d’un exploitant de durcir les conditions de travail, sans rémunération supplémentaire, sonne la révolte. Un matin de juillet, il pousse ses camarades à cesser le travail. Ce mouvement de grève fonctionne – bien qu’il reçoive des menaces de mort. Après un mois, les ouvriers obtiennent une revalorisation des salaires.

"On a bloqué la route, il y a eu des embouteillages, la police est arrivée, les médias aussi. C’est ce qu’on voulait, attirer l’attention sur nos conditions de travail", raconte celui qui est devenu, sans le vouloir, le symbole de la fronde.

Les journalistes, en effet, se penchent sur la question. "Les tomates ou les coulis que nous rapportons chez nous, la pastèque que nous dévorons, assoiffés, sont probablement le fruit de conditions de travail et de vie inacceptables [de personnes vivant dans des baraques de fortune, privés de sanitaires, d’électricité, d’assistance médicale, sous une menace permanente], d’autant plus pour un pays qui se prétend civilisé", a dénoncé le journaliste et critique gastronomique Carlo Petrini, dans un éditorial de La Repubblica en 2012.

Loi et sanctions

La révolte donne aussi un coup d’accélérateur à la naissance d’une loi. La même année, en 2011, le Parlement italien vote des sanctions contre la "caporalato", ce système de recrutement frauduleux des ouvriers saisonniers, contrôlé par la mafia. En 2015, la loi est renforcée. Elle confisque désormais les biens des employeurs - une mesure qui a déjà fait ses preuves dans la lutte contre les organisations mafieuses - et prévoit l’indemnisation des victimes, des mesures pour soutenir les saisonniers et favoriser leur transport, dans des conditions correctes, vers les exploitations.

Sur le terrain toutefois, les choses évoluent lentement. Selon Courrier international, cet esclavage moderne touche l’ensemble du pays."Le phénomène a été signalé en Emilie-Romagne, en Vénétie, en Lombardie et même dans le Trentin-Haut-Adige, si policé, pour la récolte des pommes", peut-on lire dans leur article publié en 2012.

Yvan Sagnet n’a pas abandonné la lutte, même si elle a pris d’autres formes : le jeune homme s’est engagé dans la voie syndicale et dans l’écriture. Dans "Ghetto Italia", ouvrage sorti en 2015, il dénonce "les vrais responsables" que sont, selon lui, les enseignes de la grande distribution. "Dans leur course au profit, elles obligent les producteurs à réduire leurs coûts sur le dos d’une main-d’œuvre bon marché. Une dure réalité sur laquelle les autorités locales ferment les yeux", peut-on lire dans son livre.