Diaspora News of Wednesday, 1 June 2016

Source: rue89.nouvelobs.com

Sur le Web, Dieudonné se prend pour Michael Moore

L'humoriste franco-camerounais, Dieudonné Mbala Mbala L'humoriste franco-camerounais, Dieudonné Mbala Mbala

Après l’Ananassurance, Dieudonné lance l’Ananacrédit, qui propose de traquer les erreurs contractuelles de vos crédits immobiliers et de récupérer de grosses sommes d’argent. Et d’en prendre au passage.

A 50 ans, Dieudonné prépare sa sortie de scène. Sa retraite peinard dans son village au Cameroun. Il y aura bien sûr quelques passages obligatoires en France pour répondre aux différentes procédures judiciaires en cours. Mais sinon, ce sera tranquille. Et l’argent tombera tous les mois grâce à Internet. Ce monde merveilleux qu’il aime décrire aux juges et aux journalistes comme s’ils avaient 100 ans. « Compliqué », « changeant », « nouveau ». Et surtout, renversant le rapport de force.

Dans son porte-monnaie, tombera donc l’argent de ses spectacles en ligne et hologrammiques (il y réfléchit), de YouTube et de ses deux tout nouveaux business, l’Ananassurance et l’Ananacrédit.

Des services en ligne très lucratifs, mais Dieudonné dit autre chose dans ses vidéos. Y souscrire serait un geste anti-système, une quenelle, explique-t-il, avec une émotion et un culot formidables.

Un simple comparateur d’assurances

L’Ananassurance a été nommée ainsi en référence à la chanson « Shoananas ». Dans une première vidéo, en juillet 2014, Dieudonné promettait de créer une assurance alternative :

« Plutôt que de filer notre pognon à cette bande de racailles qui nous exploitent depuis toujours, autant qu’on se le donne à nous-mêmes. »

Lancée en décembre 2015, l’Ananassurance est finalement une entreprise de courtage qui propose un simple service de comparateur de prix. Sur le site, chaque client envoie ses contrats actuels d’assurance, avec la promesse d’une économie sur les honoraires. Pour bénéficier du service, les clients doivent payer un forfait : 30 euros (habitation) ou 60 euros (automobile).

L’Ananassurance est un projet à paliers, répond Dieudonné : une fois les 70 000 clients atteints, une véritable assurance verra le jour. En attendant, comme l’écrit Slate, dans une enquête,

« le concept antisystème de l’humoriste est mensonger, car on signe simplement chez un “cost killer”. »

La personne qui dirige le projet est Arnaud Sassi, 48 ans, un type tout à fait intégré « au système » qui a fait toute sa carrière dans l’assurance. Quand j’appelle pour savoir si mon vélo électrique peut être assuré, c’est lui qui me répond au téléphone. Avec sa voix gouailleuse : « Je bosse depuis 28 ans dans l’assurance. Il ne faut pas vous inquiéter, il sera chez Allianz votre vélo ! »

Rencontré au théâtre de la Main d’or ce week-end, il explique en quoi, puisque mon vélo sera chez Allianz, l’Ananassurance est révolutionnaire :

« Les comparateurs d’assurance actuels ne comparent que les assurances qui les rémunèrent pour êtres comparées. Ce sont des commerciaux. Nous, nous sommes payés par le client. Nous le plaçons dans la compagnie qui lui correspond le plus. »

« C’est vertueux » est l’une de ses formules fétiches. Mais Arnaud Sassi lance aussi, par surprise, des expressions comme « innovant », « disruptif », « digital », « full web » et « home office » (télétravail).

La vidéo-révélations de Laurent Louis

Dans une des vidéo-révélations dont la fachosphère raffole, Laurent Louis, l’ancien député belge populiste – un temps responsable du développement du projet, il est depuis en conflit avec Dieudonné –, décrit un système de « rabattage » pour les grandes compagnies. Il dit aussi que :

le désir initial de financer des projets sociaux a disparu (« On a oublié que l’assurance ne devait pas offrir de salaire à Dieudonné ») ;
l’Ananassurance n’assurera pas les missions classiques (protection, suivi) des courtiers en assurance ;
la société a choisi de travailler en collaboration avec des compagnies d’assurance pas chères et « peu recommandables ».

Au théâtre, Dieudonné répond que les projets sociaux seront financés dans un second temps, quand la compagnie d’assurances existera. Arnaud Sassi dément quant à lui les deux autres points. En ce qui concerne le suivi, ce week-end par exemple, il a aidé un client qui s’est fait voler son scooter à rédiger un « mail ad hoc » à sa compagnie.

« Stop à la quenelle aux fans »

La société de courtage emploierait déjà dix personnes à temps plein.

« On va atteindre les 10 000 clients fin juin », assure Arnaud Sassi, qui précise que les assurés sont plutôt des gens « dans la précarité » qui n’ont jamais été assurés.

Sur la page Facebook de l’Ananassurance, beaucoup de fans de Dieudonné se plaignent de n’avoir aucune nouvelle suite à l’envoi de leur dossier. Arnaud Sassi nous dit que le retard est en train d’être rattrapé.


Dans les commentaires de la page, l’énergique community manager, qui répond aux blagues sur les juifs avec bonne humeur, dit la même chose. Mais il a plus de mal à répondre à ceux qui reprochent à Dieudonné d’avoir dépassé les limites de la décence (« D’accord qu’il faille faire bosser la famille, mais stop à la quenelle »).

« Nous allons mettre les banques à genoux »

Ceux-là vont être heureux d’apprendre que fin avril, Dieudonné a lancé l’Ananacrédit, un service d’expertise de crédit immobilier.

Comme toujours, la promesse est grandiose (et c’est ici que son statut d’humoriste a un effet protecteur, puisqu’il pourra toujours dire qu’il rigolait). Dans une vidéo de présentation, il promet : « Nous allons mettre à genoux les banques devant le peuple [...]. Allez venez, vous allez récupérer beaucoup d’argent, deux ans, trois ans de salaire, votre retraite. »

Au théâtre, sur le même registre d’intensité :

« C’est un accident industriel, un phénomène incroyable, un véritable trésor pour nos concitoyens. »

En fait, le service qu’il propose n’est pas nouveau.

Il est courant que les contrats de prêt immobilier contiennent des erreurs de calcul, notamment sur le calcul du TEG (taux effectif global). Pour une minorité de ces contrats irréguliers, cela vaut la peine d’aller en justice. Le contrat cassé, c’est alors le taux légal, généralement beaucoup plus faible que celui négocié avec la banque, qui s’applique.

Le gain financier peut effectivement être de plusieurs dizaines de milliers d’euros. Des dossiers de ce type viennent d’être jugés.

Dieudonné laisse entendre que les médias se taisent parce qu’ils appartiennent aux banques. En réalité, des dizaines d’articles ont été écrits. Laurent de Badts, fondateur des Expertiseurs du crédit :

« Les journalistes ont bien joué le jeu, ils ont bien relayé, mais cela n’a pas suffi, je dirais que 10% à 20% de la population est informée. »

Juges un peu moins compatissants

Il y a quelques années, il y avait un boulevard pour l’action judiciaire. Mais depuis trois ans, la jurisprudence a fixé un cadre plus restrictif, nous explique l’avocate Carine Deneux Vialetay.

« On a toujours beaucoup de clients, mais les juges sont un peu moins compatissants. »

En 2013, la prescription est passée à cinq ans à compter de la signature de contrat. Pour obtenir gain de cause, quand le contrat est plus ancien, il faut prouver qu’on était un client « néophyte » et que l’erreur n’était pas détectable. Sur ces points précis, les juges sont plus durs qu’avant.

Autre changement : désormais le taux d’intérêt légal qui s’applique n’est plus celui de l’année du jugement (il est en ce moment très bas et donc intéressant), mais celui de l’année de la signature du contrat.

Selon Laurent de Badts, l’activité a encore quelques belles années devant elle, mais elle aura probablement disparu dans cinq ans. Les banques sont en train de revoir leurs contrats de crédits immobiliers.

Sur les 10 000 dossiers examinés par sa société, 42% contenaient des irrégularités et 3% seulement ont fait l’objet d’un « forfait justice » (pour les autres, cela ne valait pas le coup). Il ajoute qu’il faut brasser des « milliers de dossiers » avant de faire de la bonne recommandation.

Apporteur d’affaires

Ananacrédit est déjà opérationnel, nous assure Arnaud Sassi. La marque s’est associée avec le « leader du marché ».

« On ne préfère pas vous donner le nom, mais on peut vous dire que c’est “Humain” en latin (sic). »

Contacté, Daniel Margutti, le fondateur d’Humania Consultants, l’un des gros acteurs du marché situé près de Montpellier, confirme qu’il travaille avec l’Ananacrédit (« l’un de ses 250 partenaires »).

Dans cette affaire, Ananacrédit est donc un de ses apporteurs d’affaires. Elle transfère les dossiers à Humania et prend une commission si un contrat est noué. Daniel Margutti :

« La société Ananacrédit nous facture sa prestation et je peux vous dire que ce ne sont pas les pires. Ils se comportent de façon réglo. »

Depuis le lancement, Arnaud Sassi et Dieudonné assurent recevoir 250 à 300 dossiers de crédit par jour. « C’est exponentiel », dit Dieudonné.

Ils assurent qu’ils ont même été contactés par une banque, dont ils ne veulent pas dire le nom, pour entamer des négociations plutôt que d’aller en justice.

Quand je demande à Dieudonné s’il fait tout ça pour préparer sa retraite, il me répond qu’il « suffit de prendre une calculette » pour se rendre compte qu’il n’a pas de problème de retraite.

Il revient plusieurs fois sur le sujet, l’accusation ne lui plait pas. Il explique que le sujet de l’Ananacrédit est « politique » et qu’il y a une vraie « rencontre » entre ce sujet et ses valeurs. Appelez-le Michael Moore. Ou le François-Marie Banier du HTML, selon ce que vous en pensez.