En 2011, la journaliste française Fanny Pigeaud a publié "Au Cameroun de Paul Biya" (éd. Karthala), un livre à charge contre le régime de Paul Biya. Le livre de l’ancienne correspondante de l’AFP et du quotidien Libération avait suscité un vif débat dans les colonnes de la presse locale et étrangère.
Qu’en est-il vraiment? Quelles sont les révélations et les informations de première main révélées par cette journaliste? CameroonWeb vous propose un extrait sur la personnalité de Paul Biya et l'histoire qui entourent son règne de 35 ans.
Extrait
Avec la bénédiction de son prédécesseur, Biya est ainsi devenu à 49 ans le second président du Cameroun.
Pur produit de la politisation de la bureaucratie opérée par Ahidjo, il avait gravi auparavant tous les échelons du pouvoir sans n’avoir jamais eu de mandat électif: né à Mvomeka’a (sud) en 1933 dans une famille de paysans dont le père était aussi catéchiste, Biya avait d’abord été élève au petit séminaire Saint-Tharcissius d’Édea (sud) puis au séminaire d’Akono, avant de rejoindre le lycée Leclerc de Yaoundé.
Après son baccalauréat, il était allé en France y poursuivre ses études, à l’Institut d’études politiques de Paris et à l’Institut des hautes études d’outre-mer. C’est là qu’il avait été repéré par un de ses enseignants, Louis-Paul Aujoulat, toujours très influent sur la scène politique camerounaise.
Ce dernier l’avait par la suite recommandé à Ahidjo. À son retour au Cameroun en 1962, le jeune Biya avait de cette façon intégré directement la présidence de la République comme « chargé de mission ». Il avait été nommé directeur de cabinet, puis secrétaire général du ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et de la Culture.
En 1967, il était devenu le directeur du Cabinet civil du président, dont il avait ensuite cumulé la fonction avec celle de secrétaire général de la présidence, avant d’être nommé Premier ministre en 1975. À cause de cette carrière passée dans les bureaux, Biya était peu connu de la majorité des Camerounais en 1982. Mais les rares éléments dont disposaient à son sujet ses compatriotes leur semblaient positifs.
Biya leur apparaissait d’abord être un homme simple. Ils se souvenaient l’avoir vu, Premier ministre, faire du vélo le samedi dans Yaoundé avec son ami Joseph Fofé (devenu plus tard ministre des Sports).
Il était aussi réputé intègre: on ne lui connaissait ni propriété luxueuse au Cameroun ou à l’étranger, ni dépenses extravagantes, ni implication dans des affaires financières douteuses. Bien qu’il ait été longtemps un proche collaborateur d’Ahidjo, son arrivée à la tête de l’État a été par conséquent accueillie avec beaucoup de soulagement par la plupart des Camerounais, qui espéraient que les années de peur permanente imposées par Ahidjo allaient prendre fin.
De fait, le nouveau président s’est montré très réceptif au besoin de changement de ses compatriotes. Tout en déclarant vouloir poursuivre l’œuvre de son « illustre prédécesseur », il a annoncé que sa présidence serait placée sous le signe du « Renouveau », promettant plus de justice, de libertés et de démocratie.
Les signes de son ouverture ont été nombreux pendant ses premières années au pouvoir. En novembre 1983, il a fait adopter un amendement constitutionnel autorisant la multiplicité des candidatures pour l’élection présidentielle.
Il a fait libérer des prisonniers politiques, pour certains détenus depuis de nombreuses années. Au printemps 1983, il a effectué une tournée qui l’a fait passer par chacune des huit provinces du pays et se rapprocher de ses concitoyens. En novembre 1982, il a fait réviser à la hausse (16%) les salaires dans le secteur public comme privé, après avoir déclaré lors du Conseil national de l’UNC, tenu quelques jours après son investiture, qu’il voulait faire du Cameroun.
« Une société saine, harmonieuse, solidaire dans ses luttes comme dans la jouissance des fruits du développement ». Quelques jours plus tard, il a procédé à un recrutement spécial de 1500 diplômés de l’enseignement supérieur et de 1700 en 1985. Il a fait augmenter le budget du ministère de la Santé publique pour l’année 1984-1985, tout comme celui du ministère de l’Éducation et celui du ministère de la Recherche scientifique.
Il a aussi majoré le montant et le nombre des bourses accordées aux étudiants. Le nouveau chef de l’État s’est également montré conscient des maux qui minaient alors l’économie du pays: la corruption et la gabegie.
La gestion clientéliste d’Ahidjo commençait en effet à avoir des répercussions sur le fonctionnement des entreprises publiques et parapubliques. Les cas de mauvaise gestion et de corruption étaient de plus en plus nombreux: « Dans les années 1970, les abords de l’hôpital central de Yaoundé étaient couverts d’ordures, les rats y grouillaient et les infirmiers urinaient dans la cour. Pour être effectivement soigné, il fallait, soit connaître quelqu’un, soit payer un pot-de-vin.
Les malades, une fois admis à l’hôpital, pouvaient passer une semaine sans recevoir la visite du médecin. Il y avait toujours des problèmes de rupture de stock pour les médicaments et les diverses fournitures, pas seulement en raison des vols, mais par simple absence de prévision », selon le politologue Jean-François Médard.
Promettant de faire du Cameroun « une société débarrassée de maux tels que le laxisme, l’affairisme, les fraudes, les détournements, la corruption, le favoritisme, le népotisme et l’arbitraire », Biya a mis systématiquement dans ses discours l’accent sur « l’honnêteté », la « probité », « l’intégrité », la « conscience professionnelle» et la justice. Il a donné l’impression de vouloir rééquilibrer et assainir le jeu économique, faussé sous Ahidjo, qui avait octroyé avantages et facilités à certains opérateurs économiques.
Il a fait notamment fermer des entrepôts fictifs installés au port de Douala. Il a fait adopter un nouveau Code des investissements favorable aux petites et moyennes entreprises locales, auparavant désavantagées par rapport aux grosses sociétés. Toutes ces mesures, et son engagement au changement ont valu à Biya une très grande popularité à ses débuts. « Pour la première fois depuis l’indépendance, une mobilisation se déclenchait spontanément en faveur du pouvoir en place », rapporte Luc Sindjoun.
On parlait alors de « biyamania ». Biya « avait le soutien d’un peuple débarrassé de son tyran et qui manifestait son enthousiasme dans les rues. Il avait le soutien des milieux d’affaires (...). Il avait le soutien de l’armée », résumait en 1987 Siméon Kuissu, de l’UPC en exil36. Même cette dernière, au début méfiante, s’est finalement montrée aussi enthousiaste: en janvier 1983, ses responsables ont écrit au président pour saluer sa volonté d’ouverture et lui proposer d’élaborer avec lui « une politique de changement dans la stabilité ».
En visite officielle à Paris en février 1983, Biya a déclaré de son côté, depuis le perron de l’Élysée : « L’UPC en tant que telle n’a aucune existence légale au Cameroun. Mais je sais qu’il y a des Camerounais qui se réclament de cette appellation, dont certains se trouvent en France. Mais je dis que s’ils veulent rentrer au Cameroun, ils peuvent le faire. » Encouragés par ce discours, si différent du langage dur d’Ahidjo, beaucoup d’exilés politiques ont décidé de revenir au Cameroun. L’avenir du pays s’annonçait alors plutôt bon.