Parisien et blanc, Alex est tombé amoureux de la richesse linguistique camerounaise. C’est en nourrissant ses punchlines d’expressions très locales qu’il s’est fait connaître sur internet.
Pantalon noir, chemise blanche, bretelles et lunettes de soleil, Alex ajuste son nœud papillon. La musique démarre. Moue désinvolte, le chanteur se déhanche « nyangalement » – entendez « avec style » – dans les rues de Douala, entouré d’hommes et de femmes tout aussi stylés.
Avec son second clip, « Nyangalement », ce Français fait une nouvelle fois le buzz au Cameroun, brillant par sa maîtrise du camfranglais, mélange typiquement camerounais d’anglais, de français et de dialectes locaux.
Dans la vie, Alex est bien loin de la culture camerounaise. Ce trentenaire, père de famille, vit à Paris, où il travaille dans un cabinet de conseil. Un quotidien hexagonal qui ne l’empêche pas de tisser un lien fort avec le Cameroun, où il se rend à raison d’une à deux semaines par an pour des séjours familiaux et touristiques. « En cumulant, j’ai dû passer en tout quatre mois sur place, dit-il. J’ai des relations à distance avec des amis, mais c’est surtout là-bas que j’apprends, lorsque je bois une bière avec eux et qu’on parle des “divers”, les histoires du pays. »
Foisonnement linguistique
Alex est tombé amoureux de la richesse linguistique du Cameroun et s’est constitué un petit glossaire d’expressions consignées dans un carnet. « C’est très riche et souvent très drôle, explique-t?il. Par exemple, pour désigner les tongs chinoises, on dit les “sans-confiance” parce qu’on sait qu’elles vont nous lâcher. “Je johnnie”, ça veut dire “je marche”, en référence à l’emblème de la marque de whisky Johnnie Walker, un homme en train de marcher. “Je wanda” vient de l’anglais wonder et signifie “je m’interroge”, tandis que “chien vert”, qui est la pire insulte, est en même temps bien plus drôle que connard?! » Dans « Nyangalement », le chanteur rend hommage à ce foisonnement de la langue sur le thème de la sape et de la frime. « Même si les gens n’ont pas d’argent, ils sont quand même sapés?! C’est un peu caricatural, mais il y a une vraie attention portée au style dans le quotidien. »
Le petit succès d’Alex s’explique certes par son statut d’étranger, mais aussi par l’audace dont il a su faire preuve pour comprendre un phénomène culturel. « Le camfranglais est une langue qui réunit la jeunesse dans un pays où, à côté des deux langues officielles, le français et l’anglais, coexistent plus de 200 autres langues, explique Alex. Au moins 80 % des chansons camerounaises ont des refrains avec des expressions camfranglaises. C’est une langue à part entière. » Vivante et populaire, elle est même devenue un champ de bataille pour les rappeurs, où les meilleurs parviennent à imposer leurs expressions dans le langage courant.
Avec « Nyangalement », Alex n’en est pas à son coup d’essai. En 2014, il s’était fait remarquer en publiant son premier clip, « Le pays est sucré », le 20 mai, jour de la fête nationale. Un morceau écrit quelque mois plus tôt, la veille d’un vol pour le Cameroun. « J’avais des expressions qui me trottaient dans la tête. J’ai donc bricolé quelque chose vite fait, le son n’est pas bon d’ailleurs. Ensuite, une fois sur place, j’ai rencontré un réalisateur qui a produit le clip pour 100 euros, avec les moyens du bord?! »
Sauf qu’une fois en ligne le clip a fait son petit effet. En vingt-quatre heures, des dizaines de milliers de vues, essentiellement de la diaspora camerounaise en France et en Allemagne – « excepté une vue depuis la Corée du Nord » –, avec une interrogation?: qui est ce petit Blanc qui envoie du camfranglais dans ses douces punchlines?? Les commentaires sont amusés, beaucoup signalent même, non sans humour, un cas d’« intégration réussie »?! Aujourd’hui, Alex a d’autres titres en attente. Il travaille notamment avec Sadrak, rappeur de Negrissim. « Je vais à mon rythme. Mais, oui, j’aimerais un jour pouvoir jouer mes titres sur scène?! » Un rêve qu’Alex pourrait peut-être réaliser en s’installant au Cameroun, nyangalement?!