Le jeune réalisateur Dieudonné Alaka fait un film sur le premier président du Cameroun, avec une nostalgie déconcertante.
L’histoire d’Ahmadou Ahidjo, premier président du Cameroun, reste encore un mythe pour plusieurs Camerounais. Le cinéma, les autres formes n’ont pas pu en parler. Personne ne sait pourquoi. Toujours est-il que le besoin de relater l’histoire est là. Sur les traces d’un président de Dieudonné Alaka, qui cherche désespérément une sortie officielle au Cameroun, se montre sous le boisseau.
Seuls quelques critiques ont eu le privilège de le voir. Le film n’est certes pas un chef-d’œuvre cinématographique. Il pèche par le fait que le jeune réalisateur arpente des chemins très étroits d’une histoire très peu évoquée par des voies officielles. Mais sa structuration mérite de lui accorder toute l’attention nécessaire. L’approche esthétique et l’honnêteté de son récit imposent une profonde réflexion sur l’histoire du Cameroun, surtout celle de ses présidents Ahmadou Ahidjo et Paul Biya.
Au moment où la presse se fait l’écho de la réaction du général Semengue, témoin militaire privilégié de l’histoire du Cameroun, ayant servi les deux Chefs d’Etat, le film tient son salut par la délicatesse du traitement d’un sujet aussi tabou et l’aventure courageuse du jeune cinéaste à soulever un passé complexe et ambigu.
Faire un film d’un tel personnage évoque sans doute une prise de risque majeure. L’histoire ? Intrigué par le regard de ses camarades en cinéma documentaire de l’université Gaston Berger de Dakar (Sénégal), Dieudonné Alaka, prend le courage d’aller à la rencontre des restes du premier chef de l’Etat de son pays, le Cameroun.
Cette rencontre se fait aux confins d’une rue où l’on aperçoit un cimetière. Ses camarades sénégalais parlent de ce président dont le mystère plane sur le rapatriement de son corps. Pendant 26 minutes, ce film documentaire produit en 2014 offre une palette de réflexions objectives sur l’emmurement de l’histoire d’Ahmadou Ahidjo au Cameroun.
Mythe
«(…) Si vous étiez encore vivant, l’on se serait peut-être rapproché de la vérité. Vous me diriez pourquoi vous avez démissionné, pourquoi on vous a condamné à deux reprises», interroge le réalisateur. Le contexte est évocateur de cette difficulté à parler d’un inconnu.
Le réalisateur se met en scène traversant ses livres, les images d’archives à sa disposition. Mais il remonte une pléthore de questions autour desquels se construit l’argumentaire du film. On passe vite dans les tribulations de l’histoire du continent africain et de ses hommes d’honneur. Thomas Sankara, Ahmadou Ahidjo, Kwame Nkrumah, etc.
Quel sens peut-on donner à l’histoire si l’on ferme sa vérité ? Le personnage rentre ainsi dans un intimiste regard où il démontre sa honte à suivre son histoire dans la bouche d’illustres inconnus. Le propre de la tragédie dans l’histoire, c’est que le personnage qui porte le sujet est fortement diminué de toutes ses forces.
En ramenant par comparaison l’histoire du Cameroun sous l’ère du «Renouveau», Dieudonné Alaka s’interroge si le sort de cette réalité ne plane pas sur les politiques de gouvernance actuellement en vigueur au Cameroun. «(…) Si les morts pouvaient parler, j’irais toquer à votre tombe pour que vous me disiez ce que vous disiez à votre successeur.» C’est ça l’ambiguïté d’un sujet qui porte le sort de sa pensée.
Tout en finesse, le réalisateur glisse son sentiment. Les silences en coupe, les flous saccadés de l’image disent à précision que les stigmates de la mal gouvernance au Cameroun sont issus de cette amputation complice de notre mémoire. Sur les traces du président est un documentaire révélateur, ce à plusieurs points de vue dissonants ou concordants.
L’histoire du président Ahidjo reste un mythe pour plusieurs générations de jeunes camerounais, qui souhaitent en savoir davantage. C’est un droit de le savoir compte tenu du contexte historique et politique dans lequel le film est fait. Le cinéaste ne visite pas cette histoire.
Il l’interroge pour sa gouverne. Le film a le flirt de l’interpellation. Il reste que les archives s’ouvrent à d’autres cinéastes pour plus d’étoffes. C’est justement le mérite de ce cinéma : celui de l’émotion et de l’intellect.