Culture of Thursday, 2 November 2017

Source: journalducameroun.com

Irène Ekouta scrute la complexité des relations familiales avec 'D’amour et de glace'

L’auteure relate les incompréhensions qui empêchent une mère et sa fille de se témoigner de l’amour L’auteure relate les incompréhensions qui empêchent une mère et sa fille de se témoigner de l’amour

Les personnages n’ont pas d’identité, ils n’ont d’humain que les sentiments qui transparaissent au fil du récit étalé sur 26 pages. Amour, indifférence, désillusion, consternation. Il n’existe aucune frontière géographique ni date pour borner leur existence. D’ailleurs, là ne semblait pas être la priorité de l’auteure, Irène F. Ekouta au moment de la rédaction de la nouvelle « D’amour et de glace ». Juste parler de l’indifférence qu’ont cultivé une mère et sa fille âgée de quinze ans, l’une vis-à-vis de l’autre. En cause, tant d’incompréhension qu’aggravent les multiples unions brisées de la maman, plus occupée à tenter de garder un homme qu’à prêter attention à son unique enfant, pourtant en quête d’affection.

« Il ne reste que toi et moi. Il n’y a toujours eu que toi et moi. Mais tu ne le sais pas encore. Je suis ta seule amie. Tu l’ignores. Tu m’ignores. On s’ignore. Nous sommes deux étrangères condamnées à vivre sous ces peaux. Toi ma mère. Moi ta fille. Je te regarde traverser la cour à travers la brisure de la vitre de ma chambre. Tu baisses la tête. Ton pas est lent et indécis. Désabusée. Le foulard maladroitement noué sur ta tête pèse sur tes épaules. Tu portes la misère du monde. Tu ne te retournes pas. Tu disparais dans la brume. »

Le silence meuble la vie des héroïnes de l’ouvrage « D’amour et de glace » qui ne parviennent pas à exprimer l’amour qu’elles se portent mutuellement. Alors, elles se parlent intérieurement. Pas de communication ni de scènes. Juste des paroles muettes qui peuvent venir du cœur de n’importe quel lecteur. Qui n’a pas goûté à la complexité des relations familiales ?

«Tu n’as pas dit un mot de la journée. Tu m’as à peine regardée. Tu es restée agrippée à ta machine à coudre pour recoller les morceaux d’une vie partie en vrille depuis longtemps. Recoudre les failles de ton passé échappé. Tes habits te ressemblent. Ils te parlent. Pas moi. Je me contente de te regarder. On n’a rien à se dire aujourd’hui. On n’a jamais rien à se dire. Tu sais pourtant que je t’observe. Tu sens pourtant que je t’appelle. Tu ne lèves pas les yeux. Pas même quand tu prends dix secondes pour étirer tes muscles frêles.

Une lampée d’eau me cale à la gorge. J’étouffe. Tu accours. « Qu’as-tu encore fait petite sotte ? Je t’ai toujours dit de boire de l’eau avec prudence. Tu aurais pu mourir ! » Grondes-tu. Je souris. Tu te penches vers moi en me tapotant le dos. J’ai envie de t’étreindre, de te dire que je t’aime. Quelque chose m’en empêche. Je reste emmurée dans un bunker qui, chaque jour m’éloigne de toi. Je suis contente de t’entendre. Je n’ai plus rien à te dire. Tu retournes derrière ta machine à coudre. Tu retournes panser tes blessures. Et moi, je continue à te regarder. Comme un margouillat en faction. Tu passes le revers de ta main sur ton front. Tout te semble pénible. Tu fais la moue. Et puis tu craques. Je l’ai vue venir. Ta compagne têtue. La mélancolie. Encore une fois, j’ai envie de te prendre dans mes bras. Je te sens fragile. Tout comme moi. Tu pleures ton impuissance. Tu pleures ton insouciance. En silence. Tu détournes le regard. J’ignore quoi te dire. Tu ignores quoi me dire. Nos regards se croisent. Je perçois ta gêne. Tu as toujours eu cet air timoré. La honte te paralyse. Tu feins une quinte de toux pour t’échapper. Tu trouves maladroitement refuge dans les toilettes. Je t’entends suffoquer. »

Tout l’effet souhaité est là. Permettre au lecteur de s’approprier cette réalité de la vie sans l’enfermer dans l’univers de l’autre qui n’est pas une part de lui et ne l’engage en rien. La tonalité lyrique adoptée sert bien les visées de Irène F. Ekouta. Celle-ci choisit cependant une fin heureuse en faisant resurgir le papa, absent depuis quinze ans, pour rétablir l’équilibre familial.

« D’amour et de glace » est disponible en ligne au prix de 5000 F.