Culture of Sunday, 24 September 2017

Source: 237online.com

Le Prix Théâtre RFI 2017 décerné à un camerounais

L’auteur camerounais Edouard Elvis Bvouma L’auteur camerounais Edouard Elvis Bvouma

À 35 ans, l’auteur camerounais Edouard Elvis Bvouma a remporté le Prix Théâtre RFI 2017.
La Poupée barbue raconte l’histoire vertigineuse d’une jeune fille dans la tourmente entre la guerre et un viol collectif. La remise du prix aura lieu ce dimanche 24 septembre à Limoges, lors du Festival des Francophonies en Limousin. Le président du jury de la 4e édition, Dany Laferrière, a félicité l’auteur pour son texte « sans pathos qui allume une étincelle de sensibilité et de fraternité ». Portrait.

Il avance franc. Sourire direct. Regard chaleureux. L’explication pour son petit retard lors du rendez-vous est simple. Il vient d’arriver en France et avec sa montre, il vit encore à l’heure camerounaise. Représentant d’un renouveau de la littérature camerounaise, les prix ont afflué ces dernières années chez Edouard Elvis Bvouma, mais le Prix Théâtre RFI 2017 lui va droit au cœur.

« C’est un rêve qui se concrétise. Être primé par un jury présidé par Dany Laferrière, un écrivain de renom,

qui fait partie de mes écrivains préférés, c’est vraiment une très belle reconnaissance. Son livre Journal d’un écrivain en pyjama était un choc pour moi et a changé ma façon d’écrire. Et que ce soit cet auteur-là qui préside le jury et qui me donne le Prix Théâtre RFI, alors là, je me dis, peut-être le hasard n’existe pas [rire]. »

« La Poupée barbue » ne nous lâche pas
La pièce lauréate d’Edouard Elvis Bvouma, La Poupée barbue, part comme une balle dans la guerre, sans avertir, sans réfléchir, sans trembler : « Ils étaient trois. Ils étaient laids. Ils étaient sales. Ils avaient des machettes. Des couteaux. Et des kalaches. » On essaie de faire le dos rond, de penser à autre chose, de s’imaginer une autre issue pour cette jeune fille avec son âme à bout de souffle, mais le texte ne nous lâche pas, nous n’épargne pas la vulgarité obscène de la violence.
Pour Edouard Elvis Bvouma, tout démarre souvent dans un monde plus noir que l’enfer. « Cette pièce décrit la violence de la guerre. Le fait de commencer par quelque chose si violent, cela me violente moi-même, ça me pousse à me surpasser dans l’écriture. Cela me permet de tester si je peux tenir la route. Et le monde est ainsi, il est violent ! »

La fille restée muette prend la parole
La Poupée barbue sortira du ventre de la petite fille, mais c’est la suite de la pièce multiprimée de l’auteur camerounais, A la guerre comme à la Gameboy, l’histoire troublante d’un enfant-soldat dont la seule échappatoire est de se confier à une petite fille encore plus traumatisée que lui. Le fait que la petite fille soit restée muette dans la pièce avait tourmenté l’auteur. Donc, dans La Poupée barbue, elle prend la parole avec des mots tranchants à nous couper le souffle. Est-ce la colère qui pousse Edouard Elvis Bvouma à écrire ?
« Ce n’est peut-être pas le moteur, mais c’est l’essence, le carburant… Écrire un texte, c’est un défi permanent. Même si les gens ne me croient pas : je déteste d’écrire. Pour moi, c’est comme une corvée. Mais quand je commence, c’est comme s’il y a quelque chose qui me pousse : vas-y, vas-y… Et là, je n’arrive plus à m’arrêter… »

De Black-Neige à Amazone AK-47
Parmi ses forces dramaturgiques se distingue son art de relier et contracter différents univers, à l’instar de ses pièces Black-Neige et les sept nègres, A la guerre comme à la Gameboy, La Poupée barbue ou ses personnages Boy-Killer et Amazone AK-47.
« Parce que le monde de l’écriture est fait de la réalité et de la fiction. Je crée aussi un monde, mais je mélange les deux. Par exemple, Amazone AK-47 fait référence aux amazones et à la kalachnikov. Rien que par le nom, on peut déjà situer le personnage. Dans Black-Neige et les sept nègres se retrouvent deux personnages, l’un d’origine occidentale, l’autre d’origine africaine. Dans Petit à petit l’oiseau perd son nid, c’est l’aigle royal, le président, qui perd son pouvoir. Oui, j’aime bien croiser les univers, parce que c’est ça aussi la vie. »

Le panthéon littéraire d’Edouard Elvis Mbouva alias « Le Che »
Né en 1982 à Kribi, il grandit à Yaoundé où il vit jusqu’à aujourd’hui. Aujourd’hui retraités, son père était architecte, sa mère instructrice de jeunesse et d’animation. Dans sa chambre d’enfant trônait longtemps un grand portrait de Che Guevara (« mon personnage historique préféré »), d’où le surnom qu’Edouard porte jusqu’à aujourd’hui : Le Che. Mais sans avoir été un rat des bibliothèques, il se passionne très tôt pour les plaisirs de lecture et l’écriture. Interrogé sur ses influences littéraires, l’écrivain se montre intarissable :
« Il y a des écrivains que j’aime particulièrement. Dans le théâtre, parmi mes auteurs préférés : Koffi Kwahulé et puis Wole Soyinka. Après, bien sûr, aussi Shakespeare, Beckett, Molière… Dans d’autres genres, il y a Amin Maalouf, Gibran Khalil Gibran, Milan Kundera, Emmanuel Dongala que j’aime beaucoup, et puis évidemment aussi des auteurs comme Léonora Miano, au Cameroun Mongo Beti, Francis Bebey, mais j’aime aussi beaucoup Alain Mabanckou… »

Une passion viscérale pour le théâtre
Dans sa jeunesse, Bvouma voulait être peintre et poète, depuis la publication de L’Épreuve par neuf en 2009 il peut se targuer d’être aussi romancier. Néanmoins, il ressent une passion viscérale de plus en plus forte pour le théâtre. « Mon truc spécifique avec le théâtre est que cela permet immédiatement la représentation. Même au niveau de la lecture. Le théâtre a vraiment plus de contraintes et ces contraintes-là sont intéressantes. En lisant une pièce de théâtre, ça bouge en moi. Il m’arrive même d’écrire certaines pièces en pensant à un acteur. Cela fait trois ans que j’essaie d’écrire un nouveau roman, mais, à chaque fois, j’ai des idées de pièces de théâtre [rires]. Avant, je me sentais plus romancier ou dramaturge. Aujourd’hui, le théâtre m’habite de plus en plus. Parce que le théâtre dit la vie. »

Réconforté par ses nombreux prix littéraires et sollicitations, Edouard Elvis Bvouma mène une existence de voyageur entre le Canada, la France et le Cameroun. C’est curieusement dans son pays natal où il a aussi créé la compagnie Zouria Théâtre, où il est peut-être aujourd’hui le moins reconnu. « Au Cameroun, je suis beaucoup plus connu dans le monde du théâtre. Je vais vous raconter une petite anecdote. Un jour, à l’école, on demande à mon neveu de citer des écrivains. Il cite Edouard Elvis Bvouma. Alors le professeur lui dit de citer des écrivains ! Mais, grâce aux médias et réseaux sociaux, il y a une petite reconnaissance qui vient. Et maintenant, avec le prix Théâtre RFI, les lectures de RFI au Festival d’Avignon qui ont été diffusé après à la radio… Au Cameroun, ce sont malheureusement plus souvent les auteurs de la diaspora qui sont les plus connus. Donc, c’est très important que les auteurs vivant au Cameroun puissent avoir cette reconnaissance internationale. »

Une scène d’écriture très variée au Cameroun
Entretemps, l’écriture camerounaise semble avoir le vent en poupe. Son compatriote Denis Suffo Tagne, cofondateur avec Edouard Elvis Bvouma de la Biennale d’écriture, Contexthéâtral, vient de remporter le prestigieux prix SACD de la dramaturgie francophone 2017 :
« Ce prix existe depuis 2001 et a été décerné trois fois à des Camerounais, dont à moi, l’année dernière… Cela prouve qu’il y a une scène d’écriture dynamique très variée et diversifiée, avec des comédiens et des metteurs en scène qui ont envie de faire des choses. Mais, l’accompagnement et la reconnaissance ne viennent pas toujours… C’est peut-être le malheur que nous sommes dans un pays de football… [rires] Et quand on parle de l’art, c’est la musique qui prime. »

Du papier à la scène
Aujourd’hui, il a hâte de découvrir ses mots sortir de la bouche des comédiens sur scène. Pour la première fois, le Prix Théâtre RFI inclut aussi une résidence au Centre dramatique de Rouen et un travail au plateau ainsi que de lectures publiques du texte début novembre à Rouen : « Je suis très curieux de ce qui va se passer quand on va mettre le texte sur un plateau. Les mots, comment sont-ils transportés. C’est la magie de l’art. »