Je viens auprès de votre haute et brillante personnalité, cher ministre, solliciter une levée de fonds afin de lever de son rang actuel une jeune camerounaise qui se fait passer pour artiste-musicienne. En décembre 2016, après la sortie ratée de son titre « beat », un hymne de trop à la sauvagerie la plus pimentée, je demandais qu’on lui offre « un micro pénis » pour lui apprendre à chanter sur une « bite ». Je partageais dans ce texte l’impression généralisée de l’opinion publique selon laquelle: la musique n’était pas bonne aux oreilles, et était bien nocive pour l’esprit et l’âme de l’auditeur.
En sortant son titre « beat », elle revenait d’une longue période de jachère et d’impopularité notoire. Elle a pensé que pour revenir aux devants de la scène, il fallait offrir de la « merde » au public, parce qu’elle aurait entendu qu’il est scatophile. Elle a peut-être aussi pensé comme je le relevais déjà que « pour se faire écouter ici, pas vraiment besoin de dire quelque chose. Ce public n’écoute qu’un seul langage, celui du bruit : bruit des hurlements au lit, des gémissements, des bouteilles de bières, des coups de pilon dans le mortier, et des orgasmes ».
Sauf que malgré toute cette dose de sauvagerie et d’immoralité textuelle la mayonnaise n’a pas pris. La soupe musicale pimentée a été difficile à avaler. Tellement ça manquait de goût et de style que la chanson a disparu avec une étonnante fugacité, bien qu’ayant attiré l’attention en un laps de temps très court au regard de sa nudité. Quelques mois après, elle a voulu forcer une fois de plus la porte du succès. Sauf qu’elle n’a pas voulu changer de méthode et espérait obtenir des résultats différents. Sans aucun effort, ni de travail acharné et appliqué à son œuvre, elle a voulu surfer avec paresse sur la vague. En allant courtiser le jeune Tenor, tout en n’oubliant pas de déterrer son thème dans le champ lexical du piment.
Elle pensait que la chanson allait « déranger ». Mais en voulant trop appuyer sur le bouton de l’impudeur elle a fini par le défoncer. Pensant qu’elle n’est pas allée jusqu’au bout de l’impudence, elle revient encore tenter un autre coup. Elle veut absolument prendre son pied à tous cris avant de partir. Le quatrième essai n’était malheureusement pas le bon. Un public qui semble n’aimer que la sauce et le piment lui a répondu comme d’une seule voix : Mani la belle tu as vraiment dérangé, il faut arrêter la musique.
La vérité c’est qu’elle n’aurait même pas du la commencer. Elle est surement douée dans d’autres domaines, pourquoi forcer? Cher ministre, la musique est un art, Mani Bella n’est pas une artiste. Ou du moins elle refuse de le devenir. Dans la mesure où on deviendrait artiste. Car je reste persuadé et je sais que vous aussi, que l’art est une sorte d’élection divine, un don du ciel, un délire soufflé par les muses. Selon la formule de Platon. Le travail et la technique de l’artiste ne viennent qu’en dernier recours.
Mais Mani Bella semble ne rien posséder de tout ça. Elle pense comme plusieurs de sa génération que chanter en 2017 c’est aligner une série de cris les uns sur les autres sous un fond de musique mouvementée. Elle et les artistes de notre génération ont fait de cet art un objet de laideur et de honte nationale.
Un artiste est un créateur, un travailleur, un technicien, un rêveur, à la limite un phare, un guide pour une société. Il est ce par qui les valeurs arrivent dans la société, et ces valeurs ne peuvent être transmises que par le canal choisi par ledit artiste. Même en divertissant, il doit pouvoir offrir à l’âme et à l’esprit un sursaut vers le « bien, le bon et le beau ». Trois valeurs cardinales ayant disparu de notre société. Comme elle est là pour chercher de l’argent par le moyen de son art, je vous suggère de lui en donner et qu’elle nous laisse un peu en paix.
Que l’argent qu’on arrive pas à mettre à disposition des droits d’auteurs, qu’on n’arrive pas à utiliser pour organiser de véritables festivals de musique pour un pays comme le Cameroun, qu’on n’arrive pas à utiliser pour construire des salles de spectacles et de cinéma, qu’on n’arrive pas à débloquer pour organiser des cérémonies de récompenses littéraires et artistiques de qualité, qu’on n’arrive pas à fournir aux artistes, écrivains, cinéastes pour des résidence de création hors d’un de leur pays incapable lui-même de les organiser, pour financer des projets d’arts dignes de noms…soit déversé à dame Mani Bella. Et qu’elle nous promette de nous laisser en paix.
Cher ministre, c’est dommage de le dire mais si nous continuons de laisser nos jeunes sans défenses entre les mains des « anti-modèles », on continuera de penser que nos élites politiques ne nous servent pratiquement à rien. Si nous en sommes arrivés là, c’est justement pour avoir abandonné les jeunes à eux-mêmes, au moment même où ils avaient le plus besoin de repères. Sans leur donner d’autres alternatives au-delà du manger du boire et du faire et de la satisfaction des caprices du corps.
Avec les moyens de votre politique, mettez nos hommes de valeurs en valeur, en lumière, et donnez les opportunités aux jeunes de pouvoir s’en inspirer et de s’exposer à leur tour. Mais en passant, s’il vous plait, libérez nous de Mani Bella…et compagnie. En espérant qu'elle n'aille pas s'investir dans la "pimenterie".
Cordialement,
Félix Tatla Mbetbo