Dans l’ouvrage « République du piment », le chapitre consacré au « piment dans la bouche des artistes » présente au mieux ce que j’essaie de développer ici. Dans cette partie, j’explique à la base de mes observations, que ces deux dernières années, les jeunes artistes investissent de plus en plus dans le champ du « piment ». Faisant référence ici à tous les thèmes qui tournent autour du « manger » du « boire » et du « faire ».
On a l’impression qu’à chaque fois qu’ils vont au studio pour poser leurs mots sur les « beats », ils ne pensent qu’à ça. Si la musique ne parle pas de « fête, de fesse et de tout ce qui rime avec grossesse », si elle ne fait pas recours au « camfranglais », au « terre à terre », comme le souligne Ocla, ils ne pourront rien produire.
Et quand tu vas les interroger à ce sujet, ils essayeront de te faire comprendre qu’ils sont à l’écoute du public, et qu’en réalité leurs chansons sont le reflet de la société. Que si leurs chansons font sans cesse allusion au sexe, à la bière et à la fête, c’est parce qu’ils le vivent au quotidien.
Ce qu’ils essaient de nous faire comprendre, c’est qu’ils sont là pour dire ce que les gens ne veulent pas dire. Mais ils nous cachent qu’ils sont aussi surtout prisonniers du fait de dire les choses que tout la grande majorité semble vouloir entendre. Ils savent que d’une manière ou d’une autre, même si leur musique n’est pas bonne, une fois que le « piment » y est traité, elle va attirer l’attention, ça va passer. C’est un peu comme une nourriture mal faite, le cuisinier sait que s’il l’assaisonne avec le « bon piment », on va quand même bouffer.
On l’a bien observé avec Mani Bella, après avoir passé un long séjour privé dans la nébulosité de l’impopularité, elle a fait recours au piment au revenir au devant de la scène. Le très talentueux Jovi a été aussi pris au piège, pour réchauffer la sauce de Reniss, et se repositionner, il a pimenté son titre « où même » sous un air de Bikutsi.
Il y’a des artistes qui ont décidé de faire du piment leur cheval de bataille. Et dans ces textes frisant parfois le ridicule, les femmes y sont (mal)traitées de tous les noms d’animaux. Elles sont dénudées, salies, souillées, comparées aux choses au milieu des choses. Et le pire dans l’histoire c’est qu’elles sont les premières à applaudir, à s’y trémousser et à apparaître après joyeusement et gracieusement dans les clips. Traitées de « bêtises », de « putes », de « panthères », « d’araignées », de « koki » ou de « plat de mbongo », ces artistes prouvent qu’on ne pense à elles que lorsqu’il faut manger, boire et jouir abusivement.
Je ne pense pas que dans un tel contexte, on peut empêcher à un artiste de baigner dans cette sauce épicée. Le seul reproche est celui de ne penser qu’à ça comme si sans le piment, rien d’autre ne peut aider à épicer leurs plats musicaux.
Ils agissent comme des personnes frappées par une certaine faiblesse sexuelle, le phallus affaibli, ne peut se tendre devant le trou que s’il est boosté. Le piment est donc le « démarreur » de l’inspiration de nos artistes, il est leur viagra, sans ça ils ne sont rien. La preuve, quand ils essaient malgré eux de titiller d’autres sujets, le public fait semblant de ne pas aimer. Et comme un porc nettoyé, ils recourent fouiller dans la boue.
Les vrais artistes, à mon avis, les bons, les grands, sont ceux qui ne plient pas face aux caprices du public. Comme REDK le dit, ils ne font pas de la merde parce que le public est scatophile. Ce sont ceux qui ne reproduisent pas seulement les appétits de la société dans laquelle ils évoluent, mais ceux qui produisent des nouvelles valeurs. Des nouvelles manières d’agir, de penser et de faire. Ce sont ceux qui ne font pas que montrer les gens comme ils sont, mais aussi comme ils pourraient être.
Et pour finir, c’est bien de choisir son couloir, mais tout en étant honnête que le piment vous sert de béquille pour ne pas boiter et clopiner sur ce chemin que vous pensez avoir choisi mais qui en réalité vous a été imposé. Ceux qui font recours au piment ne le font pas par liberté d’esprit, ils sont prisonniers d’un certain succès qu’ils veulent atteindre. Mais de grâce, quand ils le font, qu’ils le fassent au moins bien.
Parfois et toujours les textes sont mal écrits, les mots mal placés, la voix mal posée, le son mal traité. Dans l’empressement de l’excitation. Raison pour laquelle la musique et l’artiste ne durent que le temps d’une jouissance précoce. Le temps d’une bouteille de bière, le temps d’un morceau de porc ou d’une queue…de poisson. Or ce temps, cette éphéméride, ils l’appellent le buzz et en sont fiers et crient partout qu’ils sont les plus forts.