« Nostalgie » est un recueil de poèmes écrits en souvenir de mes quarante mois de calvaire à la prison centrale de Kondengui à Yaoundé au Cameroun.
Il se présente ainsi comme une réflexion sur la vie carcérale dans ce pays, telle que je l’ai subie au plus profond de ma chair.
J’en publie des extraits ici pour saluer le non-lieu des trois journalistes et la relaxe du notaire qui comparaissait avec eux.
Garde à vue …
clin clin clin
et le cadenas sur la serrure
te réveille
DEBOUT BANDITS
il est l’heure des ablutions
avant que la brigade ne s’éveille
avant que le soleil ne se lève
avant que la ville ne se dresse et se mette
à grouiller de monde
DEBOUT ET VITE !
clin clin clin
et le cadenas sur la serrure
te réveille
c’est l’heure du nettoyage
du cachot infect peuplé de lamentations
c’est l’heure d’emplir tes poumons de l’air
du paradis qui dehors est désormais
c’est l’heure de vider ta vessie boursouflée
c’est l’air de remuer tes jambes endolories
c’est l’heure de revenir à la vie
avant de replonger dans la mort
clin clin clin
et le cadenas sur la serrure
te réveille
toi ! le saut
toi ! le balais
toi ! la serpillière
que le trou à rats soit étincelant
que les odeurs pestilentielles s’échappent
PURIFIE-TOI LE NEZ
clin clin clin
et le cadenas sur la serrure
te réveille
il te rappelle chaque matin
que tu n’es plus
du monde des LIBRES
………………………….
Viens à Kondengui
viens à Kondengui 1
et la terre tu verras
DIF
FE
REM
MENT
tes yeux te découvriront
PLUS BAS QUE
EXCREMENT
tu deviendras la honte de ta famille
tu deviendras son humiliation
tu deviendras la risée de tes amis
tu deviendras leur défouloir
d’innombrables gens diront
ah ! on savait
quand un tambour résonne déjà trop
c’est qu’il est sur le point de se percer
tes gosses seront moqués
ton épouse sera raillée
tout tout tout autour de toi
sentira mauvais
viens à Kondengui
et la terre tu verras
DIF
FE
REM
MENT
tes yeux te découvriront
PLUS BAS QUE
EXCREMENT
tu publieras un livre
mais on dira ha ! il l’a écrit en prison
c’est un vilain personnage
et quand à un ami tu téléphoneras
il répondra à la sauvette « je suis au courant !
je suis au courant ! on s’occupe de toi !
on s’occupe de ton affaire ! » et il raccrochera le téléphone
… il changera même de numéro
viens à Kondengui
et la terre tu la verras
DIF
FE
REM
MENT
et lorsque le juge ô ce DIEU MORTEL
LE JUGE le détenteur du souffle des damnés
du haut de son pupitre tout là-bas et de sa TOUTE PUISSANCE te condamnera
les yeux désinvoltes comme d’habitude
si tu n’y prends garde
O CRUCIFIE
si tu n’y prends garde
ta chérie
oui ta chérie
ELLE s’en ira
tu ne la reverras plus
« tant d’années à l’attendre ! jamais !»
je dis
viens à Kondengui
et la terre tu verras
DIFFEREMMENT
tes yeux te découvriront
PLUS BAS QUE
EXCREMENT
……………………..
Toi qui n’as jamais
toi qui n’as jamais connu
la persécution de la police à tes trousses
le gendarme qui te tabasse en ricanant
qui saccage tout chez toi au nom de la loi devant ta progéniture en larmes et toi tu ne peux rien du tout sinon que larmoyer aussi
tu ne mérites point de porter la robe noire
et de t’asseoir LA-BAS DEVANT
toi qui n’as jamais connu la douleur du coup
de pied qui te botte rageusement les fesses et les rend brûlantes au nom de la loi semble-t-il
tu ne mérites point de porter la robe noire
et de t’asseoir LA-BAS DEVANT
toi qui n’as jamais dormi une seule petite
nuit dans une cellule malodorante insalubre et surpeuplée de gendarmerie ou de commissariat et gouter à la violence de « l’enquêteur » ce seigneur qui sort sa matraque et te montre que tu n’es plus rien puis éclate bruyamment de rire lorsque ta bouche hurle ô violation des droits de l’Homme à l’État de droit, etc.,
tu ne mérites point de porter la robe noire
et de t’asseoir LA-BAS DEVANT
toi qui n’a jamais connu les innombrables renvois des gens comme toi en noir vautrés sur leurs pupitres la puissance de la loi entre leurs frêles doigts corrompus êtres plus capricieux que même jeune fille dorlotée par son fiancé
tu ne mérites point de porter la robe noire
et de t’asseoir LA-BAS DEVANT
toi qui n’as jamais séjourné une seule minute au quartier Kosovo au pénitencier de Kondengui où les humains sont des monstres ambulants squelettiques et somnolents parce qu’ils n’ont point de quoi manger ni de place où reposer leurs corps décharnés et recouverts de plaies purulentes et malodorantes
tu ne mérites point de porte r la robe noire
et de t’asseoir LA-BAS DEVANT
je dis
tu ne mérites vraiment point
de t’asseoir là-bas devant un code pénal à la main à décider du souffle des autres humains
car ô grand MAGISTRAT
tu ne sais POINT
ce que c’est que vivre
en PRISON