Est-il encore nécessaire en 2016 de présenter Maahlox ? Tapez « Maahlox » sans le « H » dans votre barre de recherche Google et vous tomberez sur un médicament indiqué en cas de brûlures d’estomac et remontées acides.
Charmant. Avec « H » c’est le pseudo d’un rappeur camerounais très actif sur la scène locale depuis une dizaine d’années, révélé au grand public il y a quelques années grâce au titre La Bière C’est Combien Ici où il mettait la lumière sur le désœuvrement des jeunes camerounais qui tombent dans l’alcoolisme.
Si 2014 n’a pas marqué le couronnement annoncé du rappeur de Biyem-Assi, il a profité de 2015 pour se remettre en selle et afficher une productivité impressionnante, et 2016 l’a repositionné comme une des forces créatives les plus captivantes du rap camerounais.
Mehdi Maizi de l’abcdrduson me faisait remarquer récemment que les auditeurs assidus de Rap ont une tolérance plus grande à la violence que le commun des mortels, l’accoutumance aux paroles hardcore, tendant à leur faire banaliser la violence verbale.
C’est peut-être la raison pour laquelle je ne suis quasiment jamais outré par les formules chocs de Maahlox. Il y a un concept qui est très important chez Spinoza qui est le concept d’ingenium. On pourrait le traduire par "complexion passionnelle". L’ingenium, c’est l’ensemble de mes susceptibilités affectives, c’est ce qui fait que je vibre à telle chose de telle manière et pas à telle autre.
C’est mon ingenium qui me fait coller la petite et exécrer Téléphone. Spinoza a une formule un peu comique pour illustrer le point dans la préface d’Ethique IV, il dit :
« la musique est bonne pour le mélancolique, mauvaise pour l’endeuillé, ni bonne ni mauvaise pour le sourd.» Alors, vous voyez, ça c’est intéressant. C’est-à-dire, vous avez une même affection, une même chose extérieure, cette même chose extérieure qui est au principe d’une affection, va produire des effets très différents selon la constitution affective qu’elle va traverser. Et comme nous avons des constitutions affectives différentes, c’est encore l’ingenium qui nous fait avoir des réactions dont la substance va par gamme descendante, de l’approbation élogieuse, à la vitupération offensante du fanatisme sectaire, à la sortie de « Tu montes tu descends » : pendant que je criais au génie, mon « ami » Atome était outré par la violence du propos.
Est-il pour autant nécessaire de mobiliser les thèses sur L’Éthique du philosophe Spinoza pour relativiser la compréhension et l’impact de l’œuvre de notre poète de rue à partir de la notion d’« ingenium » ?
N’étant pas principalement motivé par le versant critique de son analyse – la virtuosité pamphlétaire aidant, on tiendra peu rigueur de la digression. Laissons le français de Molière, après tout, nous sommes dehors pour les panthères !
Le Rap était mieux avant ? Je dis non, il n’a pas changé, il a juste pris un nouvel habit au niveau du son. Car le hip hop old-school est un mythe, et comme toute histoire fantasmée, celle-ci se voit toujours trop rapidement surinterprétée (le pouvoir de transfiguration de la mort, ce rituel social qui commande l’éloge des disparus), à tel point que certains jeunes auditeurs révisent l’histoire d’un hip-hop dont ils ne comprennent que la pointe émergée, et surtout ne savent pas que KRS-One et Ice Cube sont avant tout les fondateurs d’un rap absolument gangsta. Et fondamentalement violent.
Le rap, la violence, l’audace et la provocation. Pardonnez-moi, je m’écarte, mais il nous paraît important d’entrevoir la faiblesse d’un raccourci motivé par une ignorance plus ou moins assumée du code américain, le seul valable en amont des choses.
"Le passéisme idéalisé des uns (surtout chez le noir francophone) contre la suractivité et la violence des autres – il suffit de voir, à l’inverse, le chemin musical parcouru entre le Chronic de Dre et l’empire de Gucci Mane pour intégrer les forces de mutation qui habitent le « rap de méchants » depuis une trentaine d’années -, clé de lecture définitive (pour nous) d’une compréhension totale du hip-hop."
Et si ça ne te plait pas, tu rentres manger le Ndolè chez ta mère-grand en écoutant Charlotte Dipanda sur le kack back (une rocking-chair). Parce que le rap, Mesdames et Messieurs, ne possède (à quelques rarissimes exceptions près) que la violence et la provocation comme véritables moteurs d’action.
Parce que le rap c’est Jay-Z qui se fait interviewer à côté de deux gogo-danseuses qui se bouffent le gésier, c’est Dr.Dre qui devient milliardaire en vendant Beats à Apple, c’est les (anciens) gros nichons de Rick Ross qui ne l’empêchent pas de coucher avec tout ce qui bouge, c’est Lil Snupe qui se fait buter à 18 ans dans un parking, c’est Kool Shen et Joey Starr qui veulent couper les couilles des « porcs », c’est Puff Daddy qui parraine French Montana, c’est Rohff et son rap anti-pédé, c’est Youssoupha qui met « un billet sur la tête de ce con d’Eric Zemmour », c’est Booba qui demande s’il a une gueule à s’appeler Charlie, c’est les mecs de Migos qui vivent dans des trap house avec des semi-automatiques M4, c’est Ol’ Dirty Bastard qui meurt d’overdose seul dans un studio.
Bref… si tu n’as pas le cœur pour gérer le retour, ne mets pas ta bouche dedans !
Le reste, Mesdames et Messieurs, n’est que fantasme de pauvres, d’une bande de mecs qui posent un programme politique ambigu en attendant plus ou moins secrètement de devenir président de la République, coucou Valsero. Pour citer un rappeur de gauche, l’éminent Fabe :
« Entre ce qu’on dit et ce qu’on fait, il y a la bonne foi et la discrétion ». Entre les joints dans une ruelle sombre de Biyem-Assi par temps de pluie et les jantes d’une Bentley sur Venice Beach, il n’y a qu’un temps plus ou moins long, une réussite plus ou moins grande et des passages à l’acte plus ou moins maîtrisés.
Personne n’aspire à demeurer pauvre à tout prix – a fortiori dans le rap jeu -, le DIY n’existe pas à long terme, et le hip-hop en est l’expression la plus extrême depuis trois décennies. Le nier est un non-sens historique, un négationnisme au nom d’un rapport aux valeurs biaisé. Foutu relativisme moral, dictateur de l’Africain continental une fois qu’il se met à conscientiser la société.
Mais revenons-en au début.
Si le hip-hop old-school est un rap sous cloche, vivant de recyclages plus ou moins misérables, son négatif total est la fuite en avant, la provoc’ d’anticipation et la violence demeurée intacte. Et au Cameroun la provocation s’est fait chair et a habité parmi nous.
Elle a élu domicile dans l’enveloppe corporelle de Maahlox. Il est grossier, choquant, toujours à la limite du politiquement correct. Il représente la jeunesse camerounaise jusque dans sa connerie.
Quand il peint la société camerounaise, c’est précis, c’est en 4K. Il n’essaie pas de l’embellir en lui rajoutant des fars et d’autres artifices, il la peint telle qu’elle est. Et il l’assume.
Maahlox c’est un instantané de la jeunesse camerounaise Il le dit lui-même « Si tu veux savoir ce que tes enfants se disent quand tu n'es pas là, ...si tu veux savoir ce que tes enfants font la nuit pendant que tu dors..., alors écoute mes chansons... Il ne s’agit pas de choquer pour choquer, mais choquer pour changer ».
Maahlox « n’invente rien, sa musique est comme une pièce de théâtre, où de manière risible, il présente aux yeux du public les multiples maux qu’ils cachent dans le secret de leur propre cœur. » A chaque nouveau morceau, la chasse aux lièvres est ouverte et l’on voit le commenterait se précipiter avec passion sur toutes les fausses pistes :
l’irresponsabilité des uns, la dépravation des mœurs. Soit le fléau du moralisme. Car le moralisme est bien cette pensée indigente qui rapporte tout aux qualités morales des acteurs sans jamais voir ni les structures ni les rapports.
J’aperçois déjà au loin les pseudo-puritains hypocrites au loin, venir nous faire la leçon de morale sur ce qui doit être dit ou pas. Comme si une compresse sur une plaie purulente rendait la plaie inexistante.
C’est bien là le symptôme d’une société malade : éluder le mal plutôt que d’essayer de le guérir.
Chacun fuit ses responsabilités, l’enfer c’est Maahlox !
Alors à ses détracteurs j’ai envie de répondre pourquoi condamner la flèche quand l’archer est présent ?
Rassurez-vous, sa musique n’est pas une thèse sociologique barbante sur la jeunesse camerounaise : on rit et surtout on danse sur un BPM enlevé.
Maahlox c’est le Rap Game, au sens étymologique de Game, c’est-à-dire le jeu ; le côté ludique est omniprésent, ajoutez à cela un refrain basique mais diablement efficace et vous avez toujours de belles surprises.
Car oui, je le pense, Maahlox a su trouver la recette que cherchait Damso dans Comment faire un tube et a su l’appliquer à la sauce camerounaise : ça sort comme ça sort, Tuer pour Tuer, Tu montes tu descends, Tu es dedans. Quasiment la même recette, mais le résultat est détonnant.
Dans l’esprit des auditeurs de Rap, Maahlox est progressivement passé du statut de Rappeur à la recherche du buzz à tout prix, à celui de figure incontournable, notre MVP, le Best Rapper Alive.
Un pied de nez à ses détracteurs qui le voyaient comme une figure passagère.
Le général devenu esclave ; l’esclave devenu gladiateur ; le gladiateur défiant l’Empereur dans la grande arène.
Et qu’importe les phases d’évolution, toujours demeurent le vice, la violence, la provocation et l’audace.
Maahlox c’est de la forme réinventée, de la force de frappe démultipliée pour un fond authentiquement et invariablement gangster.
C’est qui rend finalement l’artiste sublime, qui le rapproche au plus près de ceux qui ont cherché à s’infuser totalement dans cet univers complexe.
Etre détesté par tout un pays et, malgré tout, tout gagner, refuser de se compromettre pour assouvir sa vision.
La seule qui mérite qu’on se batte pour elle. Cette haine de l’audace, du bling, de la réussite, c’est peut-être ce qui transcende cette discographie au sommet de la montagne, qui coiffe définitivement ces trois ans d’une réussite totale. Les chiens aboient, Le Vibeur passe.
Maahlox c’est le franc-parler de Despo Rutti sur une musique dansante, c’est Kanye West, Future, Booba et tous les visionnaires incarnés dans un bonhomme dont la seule tare aura finalement été d’être trop camerounais.
Maahlox me rappelle l’ambition, l’amour de la transgression, l’audace comme vêtement ; il me rappelle à quel point j’aime mes lieutenants, à quel point j’aime l’écriture et les sens détournés, à quel point j’aime les rythmes qui frappent, les phases qui déboîtent et les nouveaux hymnes qui resteront pour mon éternité.
Il me rappelle que j’aime la surpuissance, l’extrémisme dans la création, le monopole du fond et de la forme et la mégalomanie des convictions. Il me rappelle que, même si je ne suis pas très droit, j’aime la franchise d’une bonne poignée de mains ou d’un pain dans la gueule.
Il me rappelle que le Hip Hop n’est pas assez respecté au Cameroun. Il me rappelle que je porte en moi un amour infini à sa beauté multiple.
Enfin, il me rappelle que j’aime par-dessus tout, malgré moi, l’isolement total, celui qui me fait écrire quatre pages sur le plus grand des emcees camerounais pour les jeter en pâture à des mecs pour qui tout ceci restera seulement (et toujours) du rap de base.
Tous les jours de la semaine, on reste dedans !!!!