Les Bamilékés sont incontestablement parmi les groupes ethniques ayant une importance significative au Cameroun. Les ressortissants de cette ethnie composite sont visibles sur plusieurs secteurs stratégiques de l’économie camerounaise. On les compare ainsi aux « japonais » d’Afrique. Ce dynamisme économique leur vaut cependant le ressentiment ou encore des préjugés sur les raisons de cette réussite économique. Les études réalisées jusqu’ici sur cette ethnie insistent particulièrement sur l’apport de la culture dans ce dynamisme. Ils bénéficieraient ainsi de prédispositions culturelles à même de leur permettre la réussite économique. Pour d’autres en revanche, les raisons de cette réussite seraient à chercher dans la mystique qui participe à la structuration de ce groupe ethnique. Entre culture et mystique, comment expliquer cette réussite économique du Bamiléké ?
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Les raisons de la réussite économique du « Bamiléké » peuvent être expliquées à travers la reconnaissance de l’individu comme facteur intangible de création de richesse, et l’échange de propriété comme seul moyen légal et légitime pour s’enrichir. En effet, la société Bamiléké est fondée sur l’idée de la promotion individuelle [1]. Celle-ci suppose que chaque individu, dans le but de s’assurer une continuité doit progresser par ses propres efforts. Car chez les Bamilékés, en plus du fait que « la famille bamiléké éclate à chaque génération pour donner naissance à de nouvelles familles », l’accession à certaines strates de la structure sociale, nécessite une certaine aisance financière.
La société civile bamiléké joue ici un rôle fondamental. Elle est très structurée, comprenant des associations ou des confréries où les bamilékés se réunissent périodiquement. L’intégration de ces associations et confréries suppose que l’on a plus ou moins atteint une aisance financière par l’échange et donc assuré sa promotion individuelle. C’est au cours de ces rencontres que le système financier traditionnel appelé « tontine » entre en action. Ici, c’est le capital financier qui est mobilisé dans le but soit de le faire fructifier ou alors de résoudre des problèmes sociaux d’un certain ordre. Ces réseaux sont non seulement économiques mais fournissent aussi une sorte de sécurité sociale, privée, rassurante.
Cet individualisme couplé à une sphère communautaire active favorise alors ce que le psychologue Julian Rotter appelle le « locus de contrôle interne », qui n’est rien d’autre que l’intériorisation par l’individu du pouvoir qu’il a de se projeter sur le monde et de contrôler son destin.
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L’organisation politique du peuple Bamiléké n’est pas étrangère à cet état de fait. Elle se réalise autour de la chefferie où sont concentrés les différents pouvoirs mais dont la mise en œuvre ne dépend pas du chef uniquement mais aussi du « conseil des Neuf » ou du « conseil des Sept ». Même si le chef est reconnu comme le détenteur des terres, une fois celles-ci attribuées à une famille, cette dernière bénéficie automatiquement des droits individuels sur la terre, pouvant ainsi valoriser sa propriété dans le respect des us et coutumes et participer indirectement au développement de toute la communauté [2]. De ce fait chacun sait ce qu’il peut attendre dans ses relations avec les autres membres de la communauté et attendre de la chefferie l’interdiction à autrui d’empiéter sur sa propriété : une forme d’état de droit.
Cette reconnaissance de la propriété constitue une incitation pour les bamilékés à investir et être productifs. La propriété permet en effet de se projeter dans le futur, puisque l’on peut compter sur le fait de récolter dans le futur les fruits de ses efforts productifs. Les possibles interférences sur les propriétés ou la commission d’actes contraires aux mœurs sont réglés par le chef et les notables, dotés de « pouvoirs » mystiques. Ces derniers ont effectivement un rôle important : considérés comme ailleurs comme une forme d’incitation au respect des institutions traditionnelles, il se trouve que chez les Bamilékés, ils reconnaissent et protègent les droits individuels : l’autorégulation de la société se fait ainsi dans le sens de l’épanouissement individuel.
Le désir de concrétisation du principe de promotion individuelle expliquerait alors la forte émigration de cette ethnie. La rareté des possibilités ou les opportunités présentes ailleurs poussent les Bamilékés à traverser les frontières de leurs régions d’origine. Ce qui est remarquable une fois de plus, c’est leur capacité à s’installer dans un endroit, et y réussir ou d’autres n’ont pas pu. L’obsession de la réussite amènerait le Bamiléké à utiliser de façon optimale les informations de son environnement, « la connaissance de temps et de lieu » au sens de F.A. Hayek [3], c’est-à-dire des opportunités de profit, afin de démarrer une activité économique qui, au final, connaitra du succès. C’est ce qu’Yves Marguerat, lui, qualifie d’audace, de persévérance, et d’aptitude à l’innovation, qui forge l’esprit productif du Bamiléké [4].
Les incitations sociales et économiques permettent donc au « Bamiléké » de ne pas sombrer dans le fatalisme, mais d’avoir un « esprit proactif » [5]. La propriété permettant l’empowerment (maîtrise de son destin), elle développe aussi l’attitude responsable dans le groupe, attitude garantissant un fort niveau de confiance. Ces deux éléments de responsabilité et de confiance se renforcent mutuellement et sont essentiels pour une société d’échange et permettent de fonder le réel développement. L’exemple des bamilékés montre à nouveau comment incitations et culture interagissent, et que le « déterminisme culturel » trouve sa limite : une leçon optimiste sur le changement institutionnel.