Culture of Thursday, 20 August 2015

Source: Mutations

Samuel Beckett dévoile son œuvre ‘En Attendant Godot’

Samuel Beckett An author Samuel Beckett An author

Le metteur en scène, Martin Ambara, questionne Samuel Beckett dans En Attendant Godot.

C’est devenu une tradition à l’Othni- Laboratoire de théâtre de Yaoundé. Tous les deux ans, un projet majeur met en création les comédiens de la troupe les Ménestrels, dirigée par Martin Ambara, le promoteur de ce laboratoire de création.

Cette année, il n’y a pas eu dérogation à la règle. Dans une embellie plutôt inhabituelle, les Ménestrels ont décidé d’explorer un classique du théâtre, En attendant Godot, du plus célèbre francophone des auteurs irlandais, Samuel Beckett.

C’est le spectacle phare de ces vacances à Yaoundé. Il n’est donc pas superflu de se hasarder sur la pièce de Samuel Beckett, dont les exigences sur ses droits restent très fortement suivies par les metteurs et tous ceux qui souhaitent travailler sur ses œuvres. Prise sous toutes les coutures à travers le monde, la pièce rencontre le même succès sans fioritures.

Martin Ambara, metteur en scène très prolixe, rentre dans cette danse très complexe pour en apporter la pleine mesure de son regard en tant qu’Africain. Rien n’a donc changé dans le fond du propos de Beckett. Vladimir et Estragon, deux amis pitoyables traversent une longue rue. Comme deux aimants, ils se séparent et se retrouvent toujours.

Cela dure plus d’un demi-siècle. L’un est un paresseux mangeur et l’autre scrute l’horizon en attendant la fin du supplice. Ce sont les comédiens François Ebouele et Nabil Missoumi venus de la Belgique qui les interprètent brillamment.

Tandis que Junior Esseba et François Alima, deux comédiens de l’écurie les Ménestrels au Cameroun, jouent confusément Pozzo et Lucky. Tout aussi inséparables, ils s’engluent dans les rôles de dompteur sachant manier le fouet, le verbe et de mystérieux personnages.

En fait, Beckett a construit des personnages adultes immatures portant leur vie en lambeaux. Ils sont tous portés vers un horizon inconnu, ils scrutent l’incertain en attendant Godot. De ces humanités, quel sens donne-t-on à En attendant Godot en tant qu’Africain ?

L’histoire de cette pièce – écrite en 1948 et publiée en 1952 à Paris – comme toutes celles mises en scène par Martin Ambara, épouse la logique de la déconstruction du propos. Il le sert avec une subtilité fabuleuse en évitant de s’écarter du regard beckettien.

Son théâtre se vit par des symbolismes. Estragon interprété par François Ebouele est un Noir paresseux, agrippé sur une épave de voiture, dépotoir de l’Occident où il ploie son sort. Vladimir, son vieil compagnon, est un Blanc toujours enclin à la réflexion. Il campe sous un lampadaire, éclaireur de sa pensée.

Esclaves

De temps en temps, il jette des repas, non sans rechigner. Les arguments sont vite trouvés dans cette dualité Noir/Blanc. Dans l’armature, le Noir est un chialeur imbécile qui se laisse prendre en charge infiniment même dans le gouffre. Estragon se plaint tout le temps et il sommeille. Dans la confusion de l’acquisition des savoirs, Pozo et Lucky remettent au clair la réalité de l’histoire des humains.

En toute finesse, dans les tribulations des guerres historiques, chaque communauté a eu le temps de son pouvoir. Dans les transitions politiques, les esclaves d’hier, traités au fouet, sont les nouveaux maîtres. Le spectacle nous renseigne sans cesse sur l’aveuglement des dirigeants.

L’interchangeabilité des rôles de Lucky et Pozo avec leur transformation comme aveugle et sourd, traduit sans une démonstration militante, le message de Martin Ambara : les esclaves d’hier devenus dirigeants aujourd’hui, reproduisent les mêmes schèmes, mais en restant aveugles et sourds à tout.

Il utilise la subtilité et l’arme de la persuasion comme symboles de ses messages. En Attendant Godot est à tous égards, une histoire de la révolte du théâtre contemporain. Elle touche les politiques, les dictatures, les rapports entre l’Afrique et le monde. Mais aussi le challenge de l’acteur au théâtre. Martin Ambara s’en sort avec une justesse envieuse. Sa distribution opère un enjeu d’équilibre émouvant.

Même si la proportion de temps pour les comédiens étrangers l’emporte sur ceux des locaux. Le théâtre est aussi cette prétention. Une mention aux comédiens qui nous font oublier le temps. Ils jouent en rythmant la poétique de leur personnage, non sans larguer les grosses pointes d’humour qui arrosent le texte.

Le spectacle sera en tournée dans les Instituts français du Cameroun (Ifc) en décembre, avec des interventions dans les écoles. Le public qui a vécu la création et ses représentations à Othni du 25 juin au 1er août dernier garde le cap, en attendant (encore) Godot…