Venues des régions septentrionales du Cameroun, ces femmes bravent les obstacles de la vie à longueurs de journées pour joindre les deux bouts. Leurs activités principales consistent à vendre les arachides grillées salées et sucrés, ainsi que du maïs grillé dans les grands carrefours. Une activité qui n’est pas du tout facile. Votre rédaction a fait une incursion dans ce secteur d’activité.
Yaoundé, carrefour dit Intendance ce 27 février 2024. Il est 9h. Le soleil est déjà brûlant en cette matinée et l’ambiance assez calme. Ce n’est pas encore le vacarme habituel. Certains commerçants sont déjà d’attaque, tandis que d’autres à peine arrivés, installent leurs marchandises. Les véhicules circulent sans encombre sur les routes dégagées. Au rez-de-chaussée de l’immeuble qui prête son nom au coin, Amina, une femme nordiste qui exerce dans le métier de la vente d’arachide depuis cinq ans, est assise sur une petite natte posée à même le sol devant sa marchandise installée dans un plateau également posé au sol. La commerçante tente d’accrocher les passants. «Demandez. Mes caramels sont bien croustillants», lance-t-elle aux passants.
Ce matin comme depuis le début de la saison sèche, cette vendeuse a de la peine à écouler sa marchandise. «Généralement, la saison sèche ne favorise pas ce marché. C’est à partir du mois de mars que ça passe», confie Zilpha Noudi, une autre vendeuse venue du Septentrion aussi. Ses quatorze ans d’activité font de cette ressortissante de l’Extrême-Nord une, sinon la doyenne d’ici. «Quand c’est la période, je peux vendre même 10 bouteilles d’arachide et de caramel par jour.
Mais en ce moment, vendre une bouteille, c’est de la chance. J’ai fait ces arachides depuis vendredi. Aujourd’hui c’est mardi, je n’ai même pas encore vendu une bouteille. C’est pourquoi, je mets l’accent sur les paquets», explique-t-elle. Ici, il est possible de s’approprier le produit en fonction de son budget et de la qualité de l’arachide. La qualité est fonction de l’origine de ma matière première : soit l’arachide dite Garoua, soit celle «du village», venue de l’Ouest ou de l’Est du pays. Les arachides de Garoua sucrées (encore appelés caramels) comme salées, sont emballées dans des plastiques en paquets de 50F, 100F, 200F. Le mélange de maïs et d’arachides grillés est également conditionné en paquets de 50 Fcfa. Les arachides grillées/salées embouteillées sont vendues à 1250F, 1500F, 2000F, 2500 francs, selon la contenance de la bouteille et la qualité de l’arachide.
«Quand c’est l’arachide du village, je vends la bouteille d’un litre et demi à 2500 francs et la bouteille cassable (70 à 75 centilitres, Ndlr) à 1500 francs. Quand c’est pour Garoua, je vends la bouteille d’un litre et demi à 2000 francs et la bouteille cassable à 1250 francs», renseigne Amina. Des prix qui ne leur permettent toujours pas d’avoir le bénéfice souhaité, vu le prix d’achat et le travail que cela implique. Un seau de 5 litres d’arachide de Garoua coûte entre 3000 et 4000 Fcfa, contrairement à 1800F ou 2000 Fcfa, il y a quelques années. Celui du «village» coûte désormais entre 6000F et 6500 Fcfa. «Un seau d’arachide donne environ trois bouteilles d’un litre et demi. Avec tout ce travail, je gagne seulement 1000 francs de bénéfice par sceau d’arachide du village. Pour Garoua il n’est pas facile de déterminer parce que je l’utilise pour emballer les paquets de 50 francs et aussi avec le maïs. Il y a également le fait qu’on nous vend des arachides dans de fausses mesurettes. Les vendeuses diminuent les seaux pour avoir plus de bénéfice et ça réduit nos bénéfices à nous», renseigne Hedda qui, comme la majorité des vendeuses, s’approvisionne dans les marchés de la capitale.
La jeune femme originaire de Matale dans la région de l’Extrême-Nord qui a pour emplacement Tradex Bastos, précise qu’avec le coût de vie de plus en plus élevé, il devient difficile de s’en sortir dans cette activité. «Avant, on gagnait plus. Mais vu que les prix des choses ne font qu’augmenter, c’est de plus en plus difficile», se plaint-elle. Dans cette activité commerciale comme dans plusieurs autres, il est important de fidéliser sa clientèle. C’est ce que font ces femmes à longueurs de journées. «Mes clients connaissent déjà le goût de mes arachides. J’ai une façon spéciale de les faire. Quand je m’absente, à mon retour on me demande où j’étais. J’ai déjà mes clients fidèles, ils passent la commande je pars juste livrer», renseigne Zilpha Noudi. Ce n’est pas toujours aussi facile pour toutes. Myriam, originaire de Maroua, a bien compris qu’il ne fallait pas se concentrer uniquement sur cette activité. «Je vends trois fois par semaine. Le reste des jours, je suis femme de ménage. Cela me permet d’avoir plus de revenus et aussi de prendre soin de mes enfants», confie cette de sept enfants.
D’autres par contre la pratiquent occasionnellement. «Je fais ce travail quand je n’ai rien d’autre à faire. Généralement, je suis femme de ménage. Quand je trouve du travail, je laisse d’abord les arachides», fait savoir Aïssatou. TRACASSERIES POLICIÈRES Tout ne roule pas toujours à merveille. En plus des énormes efforts qu’il faut fournir pour apprêter la marchandise, il faut également livrer une bataille pour l’écouler. Généralement, assises dans les grands carrefours de Yaoundé, ces vendeuses elles accourent toutes, chacune avec un échantillon de son produit lorsqu’un client s’approche à pied ou à bord d’un véhicule, vantant leurs produits chacune à sa manière. Ce dernier aura alors l’embarras du choix, mais devra quand même se décider. Au-delà des difficultés quotidiennes que ces femmes affrontent pour écouler leurs marchandises, il y a les agents de la police municipale vulgairement rebaptisée «Awara» qui, au quotidien, sont à leurs trousses. «Quand tu restes sur place les clients te connaissent et c’est plus facile de vendre. Mais «Awara» ne nous laisse pas. Ils ont déjà pris ma marchandise deux fois.
A chaque fois, je reste d’abord à la maison, le temps d’épargner et avoir le capital», se plaint une vendeuse. Cette autre dame, la quarantaine sonnée, a tenu son comptoir à la Poste centrale, pendant plus de six mois avant de le quitter à cause des multiples passages des agents de la municipalité. Aujourd’hui, celle-ci opte pour la vente ambulante. Tout comme cette dernière, Djaïli ne sait plus combien de fois sa marchandise a été emportée. Ce qui lui a fait multiplier des dépenses, tant il lui a fallu de longues négociations pour récupérer ses biens. «Je ne sors plus avec beaucoup de marchandise à cause de «Awara». Je prends la quantité que je peux porter et fuir s’ils arrivent», s’amuse-t-elle à raconter. Dans cette activité, les femmes Nordistes ont de la concurrence menée par les Centrafricaines.
C’est au Rondpoint Nlongkak que ces dernières ont érigé leur camp depuis plus de dix ans. Et subissent au quotidien la même persécution. Avec un brin de discrimination : «Ils nous chassent, ils disent qu’on rentre chez nous. D’après ce qu’ils disent, le maire a donné pour ordre de nous arrêter et de nous amener au Lac central (Gendarmerie nationale) si jamais nous vendons encore dans ce carrefour», dénonce l’une d’elles. Et une autre d’enchainer : «avant, ils passaient en voiture mais aujourd’hui ils sont même à pied et ils sont plus nombreux. Ils passent toute la journée à nous surveiller jusqu’à 19h, parfois jusqu’à 20h. Et, pour vendre un peu, nous sommes obligées de rester debout. Quand nous sommes fatiguées, on part s’asseoir pour se reposer un peu». Du coup, «on n’arrive plus à vendre. On a perdu beaucoup de clients. Quand les clients ne nous voient pas où on a l’habitude d’être, ils se disent que nous avons cessé l’activité ou avons changé d’emplacement. Peu, sont ceux qui savent ce qui se passe», poursuit la première. Or «c’est la seule activité que nous exerçons.
On ne sait pas comment on va prendre soin de nos familles et nous nourrir si on nous empêche de vendre», se lamente l’autre. AGRESSIONS Ces femmes qui vendent parfois jusque tard dans la nuit sont souvent exposées aux agressions. Raison pour laquelle la plupart d’entre elles a décidé d’arrêter le travail entre 17h et 18h. «Je rentre à 18h mais ça peut arriver que je rentre à 20h-21h. On agresse beaucoup ici même quand il y a des gens. Généralement ce sont les enfants du quartier qui agressent mais puisque je suis du quartier, ils ne peuvent rien me faire parce qu’ils me connaissent. Toutefois, on ne dit jamais ‘’jamais’’. Il y a des jours de malchance mais je n’ai pas encore été victime», se réjouit une vendeuse à Tradex Bastos. «En vendant dans la nuit, on est exposé à plusieurs risques. En plus des agressions, il y a des faux billets. Puisque c’est la nuit, on ne voit pas bien et quand on encaisse un faux billet, c’est beaucoup de pertes. Je préfère me contenter du peu que Dieu me donne en journée.
A 17h je rentre chez moi», ajoute une autre. Certaines de ces vendeuses sortent avec leurs enfants à bas âge pour chercher de quoi subvenir à leurs besoins. Cette vendeuse ambulante rencontrée non loin du marché Central dit ne pas avoir de choix. «Il n’y a personne pour rester avec l’enfant à la maison. Quand je marche, arrivée où je suis fatiguée, je m’assieds, je me repose un peu. Si l’enfant pleure je m’arrête je lui donne le sein et de l’eau avant de continuer», indique la mère d’une petite fille de 5 mois qu’elle a dû attacher sur son dos. Tout comme elle, Aïssa travaille avec ses enfants. «Le matin je pars déposer les enfants à l’école et je viens au travail avec leur repas. Quand ils sortent des classes, ils viennent me retrouver ici, ils mangent, ils m’aident à vendre et à 17h on rentre ensemble», explique la mère de deux garçons âgés de 4 et 6 ans. Malgré ces difficultés auxquelles font face ces femmes, elles ne sont pas pour autant découragées. Car pour la plupart d’entre elles, c’est l’activité qui leur permet de subvenir à leurs besoins les plus élémentaires.