L'affaire liée à l'assassinat de Martinez Zogo alimente autant de rumeurs que d'informations dans l'espace public. Dans la nuit du 2 au 3 février 2023, bien de lanceurs d'alertes et de cyberactivistes ont diffusé la rumeur liée à l'arrestation du promoteur du groupe l'Anecdote et à sa mise en garde à vue dans les geôles du Secrétariat d'État à la défense (Sed). Plusieurs internautes ont accordé du crédit à cette rumeur au point de la propager comme une traînée de poudre. Mais le lendemain, il était avéré que c'était une fausse information. Même si le 6 février 2023, ce qui était appréhendé comme une rumeur au départ s'est, finalement, vérifié et confirmé tant Jean Pierre Amougou Belinga a été arrêté et conduit au Sed, où il vient de passer sa deuxième nuit. Alors, comme qui dirait, la rumeur est-elle une vérité anticipée ou précipitée ?
La rumeur n'a ni raison, ni substance, ni intention propre. Surgie de la trame continue et changeante des liens sociaux, la rumeur n'existe que par nos échanges de paroles et le crédit que nous leur accordons. Récit du temps qui passe, la révélation qu'elle porte est faite de nos représentations, de nos préoccupations, de nos aspirations et des événements qui jaillissent dans l'environnement social. Si des nouvelles extravagantes circulent sous la forme de rumeurs, c'est que individuellement et collectivement, certains trouvent à ces récits informels une valeur d'échange. Constituée de préjugés, de prénotions, de stéréotypes et des imaginaires communs, la rumeur conforte le sentiment d'entre-soi. Dire une rumeur dans une conversation où dans une discussion, c'est profiter d'un moment de connivence fondé sur un implicite partagé, par exemple, sur la gabegie des gestionnaires de crédits publics, la corruption des politiques, le ras-le-bol des catégories sociales vulnérables, ainsi que sur la surenchère de la vie.
L'enjeu de la diffusion de la rumeur, en pareille circonstance, consiste à creuser davantage et à faire vibrer ce moment de complicité, de socialité, de sociabilité et d'interactivité. C'est à cet usage que servent, par exemple, les rumeurs sur l'arrestation des gros bonnets de la République ayant dilapidé la fortune publique. Souvenez-vous, par le passé, des rumeurs ayant colonisé le champ social, lesquelles ont porté sur l'interpellation de Marafa Hamidou Yaya, Inoni Ephraim, Jean Marie Atangana Mebara, Polycarpe Abah Abah, Urbain Olanguena Awono, Yves Michel Fotso, Edgar Alain Mebe Ngo'o, feu Gervais Mendo Ze, etc. Au départ, tout est construit autour d'une annonce explosive sur l'arrestation de tel ou de tel autre. Pas toujours vérifiée, cette annonce fabriquée se mue, la plupart des cas, en information avérée. L'on dirait un ballon d'essai lancé au sein de l'opinion publique pour tester le bas-peuple. Puis, quelques jours après, ce qui était rumeur se vérifie sans coup férir. Après l'annonce de la rumeur sur l'arrestation du patron du groupe l'anecdote, 72 heures après, cette rumeur s'est transformée en information crédible. Il en est de même d'un journal de la place, qui a annoncé, à sa grande Une le 18 janvier 2023, l'assassinat de Martinez Zogo. Dans la titraille, le patron dudit journal a relayé que le corps du chef de chaîne de Amplitude Fm "aurait été mutilé". Cette nouvelle du quotidien "Info Matin" s'est confirmée quatre jours après, soit le dimanche, 22 janvier 2023.
Révélation souvent sensationnelle, la rumeur est aussi une opinion par défaut. Diffuser une rumeur peut être une bonne manière de donner le change quand on n'a rien dire sur un sujet et ne pas perdre la face. La rumeur n'est donc pas exclusivement l'épihenomène de ces grands tourbillons que sont les émeutes, les attentats meurtriers ou les Krach boursiers. Notre quotidien fourmille donc de ces nouvelles où le réel côtoie l'imaginaire. Les attentats du 11 septembre aux États-Unis d'Amérique, le tsunami en Asie ou, plus près de nous, la catastrophe ferroviaire d'Eseka dans le département du Nyong et Kellé, région du Centre démontrent que les événements qui pénètrent dans l'espace public et médiatique sont, très souvent, pour ne pas dire immanquablement, escortés par leur cortège de rumeurs.
Contre-versions des versions officielles, ces rumeurs flottent dans l'opinion publique nationale et internationale, surnagent au conditionnel dans les mass médias et inondent les techno médias, dont les médias sociaux sont le véhicule. Du point de vue sociologique, ce que le langage commun nomme "rumeur" est la diffusion d'une information illégitime au regard des discours conventionnels et des canaux de contrôle de l'information. De facto, les acteurs sociaux, qui veulent échanger des rumeurs, recourent au registre de la connivence et du secret. Voici quelques formules usitées : "puisqu'on est entre nous, je peux vous raconter que...". Les colporteurs de rumeurs font aussi appel à la force anonyme du nombre("Toute la ville sait que...). La rumeur ne pouvant être énoncée publiquement sans des préventions d'usage, le diffuseur emprunte donc les formes d'énonciations propres aux informations clandestines: référence à l'indéfini ("On raconte que...), à l'impersonnel (Il se dit que...") et à l'usage du conditionnel ("Il y aurait, vraisemblablement, un remaniement ministériel le vendredi, 10 février 2023" ou encore "il y aurait eu une reconstitution des faits hier(mardi, 7 février 2023) à l'immeuble Ekang").
Lorsque le propagateur des rumeurs exprime le vœu de marquer une certaine distance avec le récit parce que très peu crédible ou scabreux, il le présente comme une "rumeur", comme des "on dit" ou encore comme des "racontars". Si au contraire, il se l'approprie pleinement et veut lui donner tout crédit, il dit le tenir d'une source très bien informée ou encore il adopte la formule du genre "Je suis en mesure de vous dire, à 23h et 10mn, qu'il est au Sed". Quel que soit l'habillage que choisit l'énonciateur, la rumeur est repérable, voire identifiable par le recours au registre de l'indiscrétion ou de la révélation.
Serge Aimé Bikoi