Opinions of Sunday, 23 July 2023

Auteur: Patrice Nganang

Affaire Marzouka Oummou Hani : les grosses révélations de Patrice Nganang

Patrice Nganang intervient sur l’affaire Marzouka Oummou Hani Patrice Nganang intervient sur l’affaire Marzouka Oummou Hani

DJAILI AMADOU AMAL ET SA FILLE MARZOUKA OUMMOU HANI

Par Patrice Nganang

‘Mon Père ou mon destin’, premier livre d’une autrice nordiste, peuhle, de dix-sept ans, secoue la baraque au Cameroun, pays qui respecte les lettres, et celle-ci fait la Grande Une de ‘Le Jour’. Sans un peu d’humour, la vie ne vaudra même pas la peine d’être vécue. L’être humain a cette capacité de rire, et cela me caractérise pour qui me connait. L’humour permet de créer la distance, de voir la légèreté de situation banales, et bof, de passer dessus. Quand Paul Chouta m’a envoyé des détails sur l’affaire Marzouka Oummou Hani, et sur le procès en réalisme que lui fait subir le chef du village Idool, ma réaction a été immédiate : ‘voilà une émule de Djaili Amadou Amal !’ Je dois avouer que la première à être surprise par cette réaction, et peut-être la seule, c’est Djaili Amadou Amal elle-même. Et c’est dans de telles situations que je ris d’habitude, car c’est et c’était si évident que, même sans avoir lu le livre, tout Camerounais dirait, ‘Voilà une fille de Djaili Amadou Amal !’ Je n’avais pas encore lu le livre de la jeune écrivaine. Je viens d’achever de le lire, car il est bref, or c’est justement ce que je disais : voilà une émule de Djaili Amadou Amal. En fait c’est mieux qu’une émule, c’est une fan, et une d’ailleurs, qui montre de la gratitude à son idole, ce qui est rare au pays, idole qu’elle introduit dans le livre, et de qui elle dit avoir financé les études de son héroïne, la jeune peuhle Astadicko – ce que Djaili Ahmadou Amal fait du reste pour les jeunes filles du Septentrion -, que son parcours tragico-amoureux mènera en Egypte dont d’ailleurs Amal est aussi originaire.

L’héroïne ayant bénéficié ainsi d’un soutien financier de l’écrivaine, de la Amal fictive donc, rêve de devenir écrivaine comme cette dernière, écrit un roman sur sa communauté, celle de Idool, qu’elle nomme d’ailleurs comme Djaili Amadou Amal nomme Maroua dans tous ses romans, et s’est fait célébrer par Maroua – mais ici, la communauté de Idool prend ombrage à cette nomination, et là où Amal récolta des médailles, Hani recoit plutôt les foudres du chef de Idool, qui veut d’elle pas moins de 150,000,000Fcfa pour avoir nommé son village dans un roman. Merde, sait-il que nommer un village dans un roman, en fait une fiction ? Pourquoi Hani recoit-elle donc le couroux quand Amal recoit des médailles, y compris un doctorat en Sorbonne, pour exactement les mêmes faits d’écriture ? C’est que, comme tout disciple, Hani est plus virulente que Amal – elle est plus jeune. Et puis, a-t-elle besoin d’enfoncer des portes déjà ouvertes par Amal ? Non, elle va plus loin : elle accuse le chef de Idool d’adultère, en rappelant le prix qu’encourt l’adultère dans la loi islamique. C’est peut-être ce qui a enragé le chef, mais bon Dieu, ce n’est qu’un roman ! Quand on perd la capacité de rire, je disais, on cesse d’être un chef, mais devient une brute. Pour revenir sur le parallélisme avec Amal, l’héroïne du roman s’en va à Ngaoundéré, et c’est là où les chemins se séparent, car elle continue plutôt vers Yaoundé – et pas vers Douala comme les héroïnes d’Amal, qui vit d’ailleurs à Douala. Destins parallèles d’écrivaines, dont l’une inspire clairement l’autre.

C’est difficile de se voir en version plus jeune : tout auteur, et encore plus quand ce sont des femmes, rejette cette version plus jeune de soi, car les femmes sont coquettes. Calixte Beyala n’est l’amie, ni de Amal, ni surtout de Fatou Diome en qui elle retrouve sans doute tous ses maniérismes. C’est comme une femme qui se voit dans le miroir : peu de femmes sont heureuses de leur figure ainsi miroitée. Je vois cela apparaitre dans la réaction de Djaili Amadou Amal dans son texte sur l’affaire Markouza Oummou Hani. Marzouka ne respecte pas les canons du roman ? Marzouka devrait être plus exigente dans l’écriture ? Marzouka devrait réécrire son livre pourtant publié ? Absolument inutile de réécrire ce roman qui, dans la forme, dans ses faiblesses, et dans ses promesses, a le niveau exact du premier roman de Djaili Amadou Amal que j’ai lu, ‘Walaandé: L’art de préparer un mari’, publié en 2010, chez mon ami François Nkeme, chez Ifrikiya. Même parcours éditorial aussi, édition avec fautes ici et là, si on veut en parler. Mais c’est un premier roman ! Les Camerounais, meilleurs critiques, ont déjà répondu à cette affaire de demande de réécriture, en distribuant le livre tel que publié dans les groupes WhatsApp, en pdf. Il est donc désormais inutile de le réécrire, car il est déjà sorti, et lu, et disponible. Je l’ai lu en pdf. Aux États-unis. Ce que je souhaite, à côté de voir la plainte farfelue du chef d’Idool rejetée, c’est ceci : que nous ayons une scène littéraire où les ainés accueillent les jeunes avec bienveillance, où les ainés servent aux jeunes de mentor – à dix-sept ans, Marzouka Oummou Hani, qui a l’âge de la fille d’Amal sinon moins, en a besoin. Elle a du talent. L’avenir littéraire se fabrique, et elle l’a devant elle.

Concierge de la république