Opinions of Monday, 6 August 2018

Auteur: Thierry AMOUGOU

Ambazonie: et si c'était l’Eglise catholique le problème?

La crise anglophone dure et continue de faire des victimes. La crise anglophone dure et continue de faire des victimes.

Que fait chaque fois l’Église catholique en cas de chiisme, d’hérésie ou de dissémination de l’apostasie dans ses rangs ? Eh bien, elle sanctionne fortement via une excommunication les « brebis égarées ou galeuses ». La psychologie du pouvoir d’État et de l’État est celle-là.

Dans des eaux tumultueuses depuis plusieurs mois, le Cameroun a besoin de toutes les bonnes volontés pouvant concourir à y retrouver le cap d’une bonne espérance. Espérance ! Quel autre mot peut autant évoquer le passage du monde vécu au monde idéal ? Quel autre mot peut autant justifier l’initiative d’un prélat et d’autres religieux dans la crise camerounaise ? Hérauts de l’espérance, les Hommes et les travailleurs de Dieu ont toute leur place dans la recherche des solutions de sortie de crise. Cela, non seulement parce que Christian Tumi et ses compagnons sont des autorités éthiques et morales, mais aussi parce que le religieux, malgré ce qu’en pensent plusieurs, est éminemment politique. En proposant un modèle d’Homme et un style de vie dans la cité, toutes les religions sont des projets politiques malgré une laïcité qui, au fond, ne fait que révéler comment « les affaires de Dieu » continuent à influencer et à structurer « les affaires des hommes ». Temporel et spirituel participent donc tous du politique même si leurs discours et leurs méthodes peuvent différer.

« Conférence générale des Anglophones » : bases d’un new Deal ou miroir aux alouettes ? est la question à laquelle nous allons tenter de répondre. Nous nous y attelons en faisant une critique de ce que proposent le cardinal Christian Tumi et ses inspirateurs. Notre thèse consiste à affirmer que les termes de la conférence qu’ils convoquent sont maladroitement posés et ne peuvent, pour cela, contribuer à sortir le pays de ce qu’il est convenu d’appeler la crise anglophone. Les points traités ci-dessous vont l’étayer. Nous terminons ce texte par une précision de notre point de vue comme réponse à la question que faire ?

« Conférence de tous les Anglophones ». Qui est Anglophone et qui ne l’est pas ?

Commençons par une première conjecture pour poser le débat. Un Bamiléké dont les parents sont originaires de la ville de Bafoussam mais né en 1980 dans la ville de Bamenda où il vit, s’exprime en anglais et travaille depuis toujours est-il un Anglophone ? Si oui, alors c’est la langue parlée et la localisation géographique (lieu de vie) qui font l’Anglophone au Cameroun et font de ce Bamiléké un membre à part entière de la communauté anglophone. Si non, alors ce n’est pas la langue parlée et le lieu de vie qui font d’un Camerounais un Anglophone mais plutôt le fait historique d’avoir une ascendance ethnique dans les territoires camerounais jadis colonisés par les Britanniques.

Introduisons une deuxième conjecture. Un Bakwéri né en 1980 dans la ville d’Ébolowa où il vit et travaille en s’exprimant excellemment en français est-il anglophone ? Si oui alors la langue parlée et la localisation géographique où il fait sa vie réelle comptent moins que le rapport historique, politique et culturel atavique que lui imputent ses grands-parents qui auraient vécu sous colonisation britannique.

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Sans aller plus loin, nous pouvons constater que les critères de qualification d’un Camerounais d’anglophone ne peuvent être sans équivoques. Ils sont à géométrie variable et cela rend difficile de savoir avec précision qui sont ceux précisément convoqués dans une conférence dite « Conférences de tous les Anglophones ». Sur base de quels critères Christian Tumi et ses inspirateurs vont-ils discriminer les Camerounais anglophones des Camerounais non anglophones ? Est-ce à partir de la langue parlée et du lieu de vie au Cameroun ? Si oui, alors des Camerounais vivant à Bamenda et s’exprimant en anglais mais dont la base ethnique se trouve dans un territoire camerounais historiquement colonisé par la France doivent être conviés à cette conférence. Est-ce le temps passé dans la zone dite anglophone ? Si oui, le Bakwéri né à Ébolowa en 1980 ne sera pas convié à la « conférence de tous les Anglophones » car il n’y a jamais vécu. Est-ce le lien politique et culturel atavique avec les territoires camerounais sous colonisation britannique ? Si oui, le Bamiléké dont je vous parle ne fait pas partie de la communauté anglophone alors qu’il y vit quand le Bakwéri né à Ébolowa en 1980 en fait partie alors qu’il n’y a jamais vécu.

Outre cette absence de critères sans équivoques pour dire qui est Anglophone et qui ne l’est pas au Cameroun, convoquer une « conférence de tous les Anglophones » est aussi à la fois une façon d’entériner la séparation de fait du peuple Camerounais entre Francophones et Anglophones, et un renforcement de la perte de sens de ce que signifie un Anglophone. Cela peut paraître paradoxal, mais la désignation « les Anglophones » ne signifie rien du tout lorsqu’elle est détachée de la dyade linguistico-civilisationnelle Anglophones/Francophones. Il s’ensuit que si Christian Tumi et ses inspirateurs choisissent la langue comme critère de définition de la communauté anglophone, c’est « Francophones » qui donne son sens à « Anglophones » et c’est « Anglophones » qui donne son sens à « Francophones » au Cameroun. On ne peut donc tenir une conférence uniquement avec une seule partie de la dyade sans courir le risque de perdre le sens politique et civilisationnel profond de celle-ci. Sans jeter l’anathème sur ceux qui prennent les initiatives de sortie de crise, il est cependant important de signaler, compte-tenu de notre raisonnement, qu’au Cameroun, une certaine indétermination peut frapper les critères de sélection de qui est « Anglophone » et de qui ne l’est pas. « Anglophones » et « Francophones » peuvent même, lorsqu’ils ne sont pas confondus, être des identités tantôt fixes, tantôt flottantes, tantôt dans une voie d’entremêlement inextricable. Dans ces conditions, dire qu’on organise une conférence non de tous les « Anglophones » mais des leaders d’opinions anglophones peut avoir un peu plus de sens. On évitera ainsi que ce que pensent et veulent ces leaders d’opinions ne prennent en otage ce que pense et ce que serait un Camerounais dit « anglophone ».

Tout dialogue dit inclusif est obligatoirement excluant

Il est comme cela des slogans, des mots ou des termes qui s’imposent comme la doxa du moment et peuvent fourvoyer tout un pays. « Un dialogue national inclusif » est de ceux-là. C’est un slogan qui sonne bien, fait bienveillant et évoque la justice sociopolitique alors qu’il ne signifie pas grand-chose. À y regarder de près, il sonne même creux. Il est vaporeux. Il ne signifie pas ce qu’on pense qu’il signifie et ne possède pas les vertus de justice sociale et politique qu’on lui attribue en le mettant à toutes les sauces comme clé principale de sortie de crise. Pourquoi cela ?

Parce que le Cameroun fait face à un conflit politique enrobé de dimension culturelle et civilisationnelle. Et qui dit un conflit de cet acabit, dit automatiquement une gradation des positions des acteurs dans les deux camps. Pour faire simple, disons que côté État du Cameroun, on trouve inévitablement des ultra-modérés, des modérés, des radicaux et des ultra-radicaux. Mêmement du côté des insurgés. Et cela, par rapport à l’État unitaire, l’État décentralisé, l’État fédéral ou quasiment un autre État indépendant issu du démembrement du Cameroun actuel. Il est évident, au vue de ce tableau minimaliste, qu’un dialogue dit inclusif est automatiquement excluant en ce sens que, dans une hypothèse optimiste, les ultra-radicaux des deux camps vont eux-mêmes s’exclurent du débat et ne prendront pas part au dialogue qui, ainsi, devient fatalement excluant. L’inclusion qui rend ce slogan séduisant aux yeux de l’opinion publique a donc une fonction politique purement formelle car le dialogue réel se fait toujours en excluant des radicaux et des ultra-radicaux qui ne veulent pas dialoguer. Une stratégie efficace et réaliste, pacque sans illusions, revient donc à savoir qu’il faudra automatiquement exclure radicaux et ultra radicaux d’un dialogue national afin que celui-ci soit possible. Ceux qui parlent d’un « dialogue national inclusif » en vendant l’illusion qu’on intégrera tout le monde, pensent pouvoir faire d’omelettes sans casser les œufs. C’est impossible au risque de ne pouvoir déguster l’omelette qui n’existerait pas autrement.

L’oubli d’un principe de réalité : « l’État fait la guerre et la guerre fait l’État »

L’Afrique, et le Cameroun avec, ont hérité d’une conception occidentale de l’État. C’est dommage sur de nombreux points mais c’est encore ainsi. Dès lors, lorsque nous parlons de principe de réalité, nous avons deux choses. D’abord, la psychologie de ce qu’est un État, puis les conditions actuelles.

Concernant l’État, Tumi et ses compagnons doivent savoir qu’un État a une psychologie du pouvoir identique à celle de l’Église catholique à laquelle il doit beaucoup dans sa forme actuelle à travers le monde. Que fait chaque fois l’Église catholique en cas de chiisme, d’hérésie ou de dissémination de l’apostasie dans ses rangs ? Eh bien, elle sanctionne fortement via une excommunication les « brebis égarées ou galeuses ». C’est parce que la doctrine et le dogme doivent rester indivisibles et le pouvoir hiérarchique sans failles que l’Église catholique est aussi intransigeante en faisant savoir aux auteurs de chiismes que hors de l’Église il n’y a point de salut. Cela dit, autant l’Église catholique excommunie ceux qui combattent sa logique, autant l’État, partout au monde, combat à mort tous ceux qui contestent le fait qu’il soit l’État. C’est le cas de la Chine avec les Tibétains, de l’Espagne et de la Catalogne, de la France avec la Corse, bref, partout où des identités s’affirment et veulent construire leur destin en dehors de l’État auquel elles appartenaient jusque-là. La psychologie du pouvoir d’État et de l’État est celle-là. C’est « le plus froid des monstres froids » comme le dit le philosophe Friedrich Nietzsche.

Dans ce principe de réalité, il faut ajouter que l’État camerounais est en ce moment encore un État unitaire et que c’est à partir de cette situation-là qu’il faut construire les termes du débat national. Cela implique d’éviter de mettre cet État au même niveau politique que ceux qui s’insurgent contre lui. Cela reviendrait à dire que celui qui s’autoproclame Pape de l’Église catholique et combat Rome et sa nomenclature du pouvoir, est équivalent au Pape légitime en place à Rome. C’est pourtant cette erreur que font Tumi et ses inspirateurs lorsqu’ils posent comme préalable, un cessez le feu à la fois à l’armée camerounaise et aux milices armées des scissionnistes. En le faisant, ils nient le monopole de la violence légitime de l’État camerounais.

Dans la mesure où l’armée camerounaise n’a pris les armes contre personne et qu’elle est dans son rôle de sécurisation du territoire, des personnes et des biens, c’est à ceux qui ont pris les armes contre l’armée camerounaise de les déposer s’ils veulent aller au dialogue. Il en est de même du préalable qu’est la libération des insurgés incarcérés.

L’État camerounais, dans un souci d’apaisement peut les libérer en prenant une décision souveraine. Mais, il ne peut le faire comme condition posée par les sécessionnistes pour participer au dialogue car il ne peut pas obéir à cette demande sans, non seulement perdre sa capacité à sanctionner et à faire respecter la loi par tous, mais aussi à décourager tous ceux qui nourrissent des velléités sécessionnistes ailleurs au Cameroun. C’est cela qui fondent les arguments de Tshiroma car tout État, comme l’Église catholique, ne badine pas avec sa souveraineté. Il en est jaloux et ne la partage pas sauf avec qui peut le mettre à genoux.

Ceci ne veut en aucun cas dire qu’on refuse la proposition de dialogue, mais tout simplement que, connaissant la logique d’un État, c’est uniquement si les organisateurs de la conférence et les insurgés reconnaissent la légalité de l’État unitaire actuel qu’un dialogue productif pourra avoir lieu. Il ne faut pas oublier qu’un État qui fait la guerre est dans une de ses fonctions normales. Qu’il risque plus de se renforcer comme État que d’éclater car l’État vient de la guerre et se construit par la guerre. C’est cela le sens de la célèbre formule du politologue Charles Tilly : « L’État fait la guerre et la guerre fait l’État ».

La mise de côté de ce principe de réalité semble trahir le caractère partisan de plusieurs initiatives officiellement de paix. Il apparait ainsi que plusieurs de nos compatriotes, soit soutiennent en filigrane les sécessionnistes parce ceux-ci servent leur lutte politique contre Biya, soit pensent que les sécessionnistes vont réussir ce qu’ils n’ont pas réussi en tant qu’hommes politiques ou prélat, c´est-à-dire, faire tomber le Renouveau National. D’autres compatriotes oublient, comme nous l’enseigne Ernst Kantorovicz, que « des deux corps du roi », si on combat celui que représente Biya comme homme politique, alors il faut veiller à préserver son corps immortel, soit le Cameroun et son peuple. Un hérétique ne peut discuter avec le Pape et Rome que s’il les reconnait d’abord comme autorités légales de l’Église catholique et non en les niant comme telles. C’est cela le principe de réalité dont le respect donne lieu à la discussion en connaissance de cause. Nous ne devons pas confondre le corps mortel de l’État, c´est-à-dire Paul Biya dans les conditions actuelles, et son corps immortel, c´est-à-dire le peuple camerounais.

Que faire dans ces conditions ?

Notre entendement de la crise anglophone a déjà été explicité dans de nombreux textes. Le problème anglophone, très ancien, a été traité comme un appendice par la classe politique camerounaise depuis 1960. Ahidjo et Biya ont pensé l’éteindre via la technique du débauchage et de la promotion clientéliste d’une élite anglophone nommée à des postes prestigieux à la tête de l’État. Cette élite anglophone était la tête de pont politique devant jouer le rôle d’adoucissant ou d’anesthésiant auprès des populations du Sud-ouest et du Nord-ouest dont elle devait calmer la colère. Ce bricolage doublé de sparadrap politiques montrent actuellement ses limites, non seulement parce que le régime Biya n’a pas amélioré les conditions de vie de tous les Camerounais, mais aussi parce que l’état du pays est si socialement entamé que des conflits anciens et/ ou opportunistes le font basculer rapidement dans la violence. La crise anglophone est donc à la fois une crise du pouvoir centralisé et une crise du régime en place désormais au crépuscule de sa force.

Puisque nous pensons en sursis l’État unitaire non négociable, et que les conditions actuelles sont encore celles de l’État unitaire, aller de l’État unitaire vers un État unitaire décentralisé puis, plus tard, de celui-ci vers un État fédéral, semble un programme politique plausible à moyen et long terme. Le Cameroun doit ouvrir le chantier d’une réorganisation du pouvoir politique de façon à accorder plus d’autonomies aux régions. Et qui parle de pouvoir parle d’État et de sa forme.

Nous proposons que cela se fasse par une décentralisation revêtant trois caractéristiques. 1/ Une décentralisation démocratique afin de ne pas passer de la dictature de Yaoundé à celle des potentats régionaux et locaux. 2/ Une décentralisation solidaire afin d’organiser la solidarité économique entre différentes régions du Cameroun et éviter une politique d’électrons libres. 3/ Une décentralisation concurrentielle afin d’encourager une émulation permettant à chaque région de développer son potentiel suivant ses singularités ou par imitations réciproques.

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En évitant les erreurs mises en évidence dans ce texte, le travail à faire en ce moment est un travail politique à l’aune de l’idéal démocratique. La démocratie est une religion des peuples dont le prophète est la majorité. Cette leçon d’Alexis de Tocqueville nous exhorte, non à encourager les sécessionnistes ou à la soutenir en sous-mains, mais à travailler politiquement afin de mettre en minorité les radicaux et ultra radicaux des deux camps de telle façon qu’émerge une majorité politique constituée de modérés et d’ultra-modérés des deux camps. C’est dans ces conditions que le dialogue national est possible car on aura travaillé à exclure ceux qui ne veulent pas discuter en les rendant minoritaires.

Une autre chose à faire et dont nous vous parlerons dans un prochain texte est de mobiliser la pensée camerounaise dans la recherche de solutions de sortie du conflit. Des penseurs comme Fabien Éboussi Boulaga, Engelbert Mveng, Jean-Marc Éla et Achille Mbembe sont d’un grand apport, pour qui veut bien les lire attentivement, dans la confection de solutions adaptées aux réalités africaines et panafricaines. Nous devons aussi nous appuyer sur ces penseurs camerounais pour monter une politique camerounaise de la consolidation de la nation, de la réforme de l’État et de la réparation des mémoires.