Opinions of Sunday, 12 February 2017

Auteur: Bounya Lottin

Après Shanda Tonme, qui d’autre a compris Yves-Michel Fotso ?

Yves-Michel Fotso, ancien directeur général de l’ex-Camair Yves-Michel Fotso, ancien directeur général de l’ex-Camair

La saison est riche de plaidoyers en faveur de l’ex-administrateur directeur général de la Cameroon Airlines. On ne fait l’économie d’aucun argument. Mais ces avocats défenseurs d’une cause perdue risquent bien d’être les seuls à avoir compris le fils du milliardaire.

Shanda Tomne est un bon rhéteur, surtout lorsqu’il s’impose de voler au secours de la tribu. Il vient de publier chez l’Harmattan un autre chef-d’œuvre dont le titre résume tout : « J’ai compris Yves-Michel Fotso ». Dans son enthousiasme à vouloir rallier les Camerounais à sa religion, il verse dans le prosélytisme. Ce sera, assure-t-il, « un testament pour la postérité ». C’est bien joué, même les enfants de nos petits-enfants sont déjà convaincus : Yves-Michel Fotso, le seul Camerounais à avoir écopé d’une double condamnation à vie dans le cadre de l’Opération Epervier. On a saucissonné les affaires pour parvenir à un tel exploit ? Facile à dire lorsqu’on connaît un peu le dossier.

Il y a quelques semaines, sur un plateau des grands débats à la télé, on a pu voir que le fils Fotso s’était gagné de nouveaux avocats dont les moindres ne sont pas Célestin Djamen ou le journaliste Edmond Kamguia Komtchou. Mais question : où étaient-ils passés quand la Cour suprême condamnait Yves-Michel à d’aussi lourdes peines ? C’est à ce moment-là qu’il fallait étaler ses talents d’avocats défenseurs, et pas après, lorsque la sentence est déjà tombée et qu’il n’y a plus d’autres recours après la Cour suprême. Paul Biya seul a encore le droit de le gracier. Mais notre Michel n’est pas encore citoyen français comme Lydienne Eyoum ou Thierry Atangana. De surcroît, l’idée d’une grâce présidentielle en sa faveur entraînerait de facto l’élargissement d’un autre prisonnier, Marafa Hamidou Yaya. Ce dernier est resté droit dans ses bottes et ne veut pas entendre parler d’une grâce de Paul Biya au sujet d’une complicité intellectuelle pour laquelle il a été condamné. On est en plein dans une antinomie de la raison judiciaire.

Nous, on n’a encore rien compris

Dans le camp à côté, on peine encore à comprendre deux ou dix choses sur Yves-Michel Fotso. Un : comment un fils de milliardaire, qui affirmait lui-même être né avec une cuillère en or dans la bouche, s’est-il embarqué dans la galère de la Cameroon Airlines ? On a vite disqualifié la question : on venait de trouver l’oiseau rare qui allait appliquer les bonnes recettes de la gestion dans le privé à une entreprise d’Etat. On a dit recettes de bonne gestion ? On sait aujourd’hui que ces belles recettes n’ont pas seulement ruiné la compagnie nationale de transport aérien, elles l’ont enterrée. Tellement bien enterré que même des années après, Camair-Co ne parvient pas à renaître des cendres, malgré des plans de relance signés Boeing Consulting et qui vont devoir dormir quelque temps encore dans les tiroirs.

Deuxième question : notre Michel Fotso était, nous assurait-on, un surdoué. Avant de le proclamer lui-même, son milliardaire de paternel aurait dû le savoir avant tout le monde. Il n’est pas donné à tout le monde d’être le père d’un tel génie qui aligne les MBA. Pourquoi ne lui a-t-il pas confié la moindre entreprise du groupe familial, Pilcam, Unalor, ou Fermencam, pour qu’il fasse la preuve de ses grands talents de diplômé des universités de Harvard ?

Deux journalistes s’étripent comme deux trouffions égrillards, le premier défendant la bonne cause de la tribu, celle de Fotso, le second jouant à mitrailler le corbillard. Tous les deux des dindons de la farce. On est d’accord, on ne tire pas sur les corbillards. Mais on a mis tout ce temps à comprendre qu’un avion de type BBJ 2 ne coûte pas 31 millions de dollars. Il en coûte deux fois plus au moins. Pendant tout le procès Fotso-Marafa, des surdoués à Yaoundé ont approximé les 31 millions de dollars à 24 milliards de CFA.

En clair, Paul Biya, président du Cameroun, n’a jamais voulu acheter un avion. S’il avait voulu en acheter un, il aurait fait débloquer l’argent qu’il fallait, Banque mondiale, FMI, ajustements structurels ou pas. Il reste un aphorisme : on ne remet pas cent francs à un enfant pour aller acheter une baguette de pain qui coûte 150 francs CFA. Il pourrait ramener une moitié de pain, le Cameroun n’est pas le seul pays au monde où on peut s’acheter des morceaux de pain, même dans un pays comme la France, on peut s’acheter la moitié d’une baguette à la boulangerie. Les financiers ont trouvé l’astuce des « financial leases », les locations ventes, et l’avionneur vend certes des pièces détachées à travers le monde auprès de concessionnaires agréés, mais Boeing ou Airbus ne vendent pas des avions en morceaux.

L’argent n’est jamais parvenu à Boeing

Par ailleurs, toutes les contorsions autour de l’ingénierie financière montée par Fotso avec GIA et AVIPRO ne nous mènent nulle part. Tout ce dommage pour le moins difficultueux permet de comprendre une réalité que les Camerounais se refusent d’admettre : les 31 milliards de dollars décaissés par Michel Meva’a M’Eboutou ne sont jamais arrivés à Boeing. L’argent s’est perdu en chemin, dans une fracassante faillite dans l’Etat de l’Oregon. Me Akere Muna, l’ex-bâtonnier en a, dit-il, ramené un avion et un peu d’argent. L’avion, un Boeing 767, est resté abandonné à l’ancien aéroport à Douala, des malins ont joué à le désosser pendant qu’il rouillait tranquillement en plein air, sous les intempéries. L’argent, 875 mille dollars, le grand avocat l’a empoché en guise d’honoraires.

Troisième question à piège. Victor Fotso, son père est présenté comme le plus grand industriel camerounais. Peut-être bien. Mais à tout bien prendre, le chiffre d’affaires consolidé de toutes les entreprises de son groupe n’équivaut pas le chiffre d’affaires de la Cameroon Airlines. D’où vient-il donc que ces entreprises aient pu voler au secours de la compagnie aérienne en lui prêtant de l’argent pour boucler ses fins de mois. Là aussi, on peine à comprendre. Mais Shanda Tomne a compris. Il a peut-être aussi compris Jean-Vincent Tchienehom qui en est à pousser des cris d’orfraie et supplier que l’Etat vole au secours d’un groupe en difficultés.