«L'armée n'a plus les moyens de défendre le Cameroun», proclamait, il y a un peu plus de deux ans, le spécialiste des questions de défense, Victorin Hameni Bieleu.
Cet ancien enseignant de l'École militaire interarmées de Yaoundé soutenait que «La base navale de Douala n'existe plus, elle est devenue un cimetière de bâtiments de la marine ! Selon WikiLeaks, le président Biya a accusé l'ancien chef d'état-major de la marine [le vice-amiral Guillaume Ngouah-Ngally] de l'avoir laissée dépérir. Les autres corps ne sont pas mieux lotis, comme en atteste l'état de délabrement du matériel de l'armée de terre à Yaoundé.»
Pourtant, depuis un peu plus d'un an, cette armée empêche Boko Haram de s'installer au Cameroun. Ce que n'a pas pu faire l'armée du Nigéria, dont le pays est souvent présenté comme une puissance militaire en Afrique subsaharienne. Le Cameroun fait même plus. Même si, pour des raisons diplomatiques, ses dirigeants ne crient pas sur tous les toits, les forces de défenses camerounaises aident en effet le Nigéria dans son opération de reconquête des localités occupées par la secte terroriste, par le pilonnage des positions ennemies en territoire nigérian.
En fait, même si le jugement d'Hameni Bieleu, homme politique par ailleurs (il est le président de l'Union des forces démocratiques du Cameroun), a pu paraître sévère, il faut reconnaître que l'entrée en guerre du Cameroun contre Boko Haram a poussé le pays à accélérer la réforme de l'armée engagée depuis 2001, à travers l'augmentation de ses capacités logistiques. En même temps, on a noté un effort, plus que par le passé, dans la lutte contre la mal gouvernance. Entre 2014 et 2015, plusieurs chefs militaires ont en effet perdu leurs postes pour s'être rendus coupables de malversations. Les effets positifs de la lutte contre Boko Haram sur l'armée camerounaise, c'est la trame de cette enquête.
Un mal pour un bien, finalement... «Avec la guerre contre Boko Haram, notre puissance de feu est passée du simple au triple» renseigne une source sur le théâtre des opérations à la frontière entre le Cameroun et le Nigéria. Selon la même source, le pays compterait aujourd'hui au moins 80 chars d'assaut de différents types. Ajouter à cela plusieurs centaines de véhicules blindés, indique une source à la Direction des matériels militaires interarmées. Sur le terrain des opérations, plusieurs modèles baptisés aux noms de certaines localités frontalières (Makari, Banyo, Darak Waza, Fotokol, Kolofata, ... ) sont d'ailleurs en activité.
Une évolution par rapport à la situation que décrivait fin septembre 2013 l'hebdomadaire Jeune Afrique: «Certes, la plupart des équipements de l'armée de terre (une cinquantaine de blindés à roues AML-90 de fabrication française, une vingtaine de transporteurs de troupes V-150 et une dizaine de blindés légers RAM) gardent une certaine valeur, malgré leur âge avancé. (... ) Mais leur disponibilité opérationnelle, tout comme celle d'une partie des pièces d'artillerie, est globalement médiocre : manque de pièces de rechange, d'entretien... »
Ce dispositif a été renforcé par 120 véhicules tactiques offerts par la République fédérale d'Allemagne le 19 novembre de 2014 pour soutenir le pays dans la lutte contre la secte islamiste. Il s'agit de soixante jeeps Wolf et de soixante camions «Unimog» de marque Mercédès, dont certains sont armés de quadri tubes de 14,5 mm. Selon le colonel Jean Jacques Fouda, directeur des matériels militaires interarmées, il s'agit des véhicules qui ont fait leurs preuves sur des théâtres d'opérations militaires comme l'Afghanistan.
Les éléments du Régiment d'artillerie sol-sol (Rass), dépêchés de leur base de Nkongsamba pour l'Extrême-Nord, ne tarissent pas d'éloges sur la puissance de feu de ces tubes. Et l'Allemagne n'a d'ailleurs pas dit son dernier mot: «Je souhaite maintenant pouvoir rencontrer le nouveau ministre de la défense pour explorer avec lui d'autres idées que nous avons pour un soutien du Cameroun pas seulement dans la lutte contre Boko Haram, mais pour soutenir également son rôle de fournisseur de troupes pour les organismes adaptés des Nations unies engagés dans les opérations de maintien de la paix dans la zone», a indiqué Holger Mahnicke, l'ambassadeur d'Allemagne au Cameroun, à l'occasion de la célébration des 25 ans d'unité de son pays.
Drones
Toujours dans le cadre de la lutte contre Boko Haram, la Russie s'est engagée à fournir au Cameroun «quelques armements et systèmes les plus sophistiqués de dernière génération», selon le propos de son ambassadeur au Cameroun. A en croire Nikolay Ratsiborinskiy, cette livraison devrait comprendre des pièces d'artillerie, y compris l'artillerie de missiles, du matériel de protection aérienne, un système anti-aérien de missiles et de canons, des camions blindés entre autres équipements et armements. Selon nos informations, six (6) MI-24, hélicoptères de combat russe, devraient être réceptionnés ce 12 octobre. Deux de ces engins devraient être mis à la disposition de l'opération Alpha qui traque Boko Haram dans l'Extrême-Nord. Ils viendront s'ajouter aux Mi-17 déjà engagés dans cette guerre. Ces MI-17 font partie du lot acquis en 2013 auprès de Rosoboron export, l'agence d'exportation d'armement russe.
Face à un ennemi pouvant facilement se confondre à la population, le pays a aussi dû améliorer ses moyens de collecte du renseignement. La DGRE (Direction générale de la recherche extérieure) et le Bir (Bataillon d'intervention rapide) se sont dotés de moyens de surveillance dernier cri. On parle de drones d'observation, de senseurs et de matériels d'écoute ou d'interception des communications.
Dans la dernière livraison des avis de marchés du Pentagone, on apprend que le Cameroun est en train d'acquérir un système d'aéronef sans pilote de type Scan Eagle d'une valeur de 9 millions 396 mille 512 dollars US soit près de 47 milliards de francs CFA. Le dispositif qui est accompagné de station de contrôle au sol, de systèmes d'exploitation de la vidéo et de l'équipement de soutien sera installé à Douala et devrait être fonctionnel en septembre 2016.
Interarmisation»
Poussé par la menace terroriste, le Cameroun est aussi contraint d'accélérer la réforme de l'armée engagée depuis 2001. Il a procédé à un certain rajeunissement de la hiérarchie militaire en nommant cinq (5) nouveaux généraux de brigade de moins de 60 ans, dont quatre sont impliqués dans la lutte contre Boko Haram.
Jacob Kodji, 53 ans, est le commandant de la 4e Région militaire interarmées (RMIA 4), où se trouve l'épicentre de la menace. Fréderik Djonkep, 55 ans, est le commandant de la 3e Région militaire interarmées (RMIA 3), deuxième ceinture de sécurité après la RMIA 4. Valère Nka, 59 ans, est l'adjoint au commandant de la Force multinationale mixte (FMM) de lutte contre Boko Haram de la Commission du Bassin du lac Tchad. Bouba Dobekreo, 57 ans, est le commandant du premier secteur de la FMM basée à Mora.
Le pays a aussi réorganisé le maillage territorial de ses forces en créant la 4e Région militaire interarmées et il a consacré l'«interarmisation». Les secteurs militaires terrestres ont changé de dénomination et sont devenus des secteurs militaires, qui sont des subdivisions des RMIA. Ainsi, toutes les composantes des armées se reconnaissent désormais dans les secteurs militaires.
Cela se voit d'ailleurs sur le terrain. Au poste de combat fortifié de Kolofata, par exemple, on y retrouve le BIR (Bataillon d'intervention rapide), le Bataillon blindé de reconnaissance (BBR), le Régiment d'artillerie sol-sol (RASS), la gendarmerie nationale, la DGRE avec une mission unique la sécurisation du territoire et des populations.
Sanctions
Avec la guerre contre Boko Haram, on a par ailleurs découvert qu'il était possible de faire preuve de diligence dans la prise de sanction, qu'elles soient positives ou négatives. Le chef de l'Etat camerounais a ainsi signé, alors que la guerre est encore en court, des décrets portant attribution de la médaille de la vaillance à plusieurs centaines de soldats de rang et officiers qui se sont particulièrement illustrés dans la lutte contre le groupe terroriste. De même qu'il a relevé de leurs fonctions entre 2014 et 2015 une dizaine d'officiers supérieurs convaincus ou soupçonnés d'incompétence, voire de mauvaise gestion.