Opinions of Thursday, 12 April 2018

Auteur: AFP

Au Cameroun, des mines d’or abandonnées devenues 'lacs de la mort'

Une centaine de trous remplis d’eau parsèment les alentours du village A Longa Mali Une centaine de trous remplis d’eau parsèment les alentours du village A Longa Mali

A Longa Mali, petit village de l’Est du Cameroun, une centaine de trous remplis d’eau parsèment les alentours du village, d’anciennes mines d’or abandonnées devenues des « lacs de la mort » et qui ont entraîné une « catastrophe écologique ».

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« Ce sont des +lacs de la mort+ créés par des exploitants miniers. Il y a eu au moins quatre cas de noyade », se désole Eugène Phausard, chargé de communication de la mairie de Bétaré Oya, la localité voisine.

« Les enfants viennent régulièrement se baigner là », ignorant pour la plupart les risques de noyade encourus, explique-t-il, alors que certains trous font plus de 30 mètres de profondeur.

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En 2017, au moins 47 personnes sont mortes dans cette région sur ces sites miniers laissés à l’abandon, selon l’ONG Forêts et développement rural (Foder). En mars, deux autres victimes ont été enregistrées.

L’absence de réhabilitation de ces sites « est très préoccupante » car ils « sont devenus des tombeaux ouverts », affirme l’abbé Patrice Baktala, curé de la paroisse de Bétaré Oya.

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L’abandon de ces mines « fait partie des problématiques majeures auxquelles nous sommes confrontés », admet Gabriel Yadji, responsable régional du ministère des Mines dans l’est du Cameroun.

D’après lui, l’exploitation minière s’est faite « en violation de la réglementation », mais les autorités ont engagé des « actions de police » pour que les exploitants agissent.

« Il y a des offres de services pour aider le gouvernement à réhabiliter » ces anciennes mines, assure-t-il, précisant que des études sont toutefois nécessaires pour déterminer ce qui doit être fait.

La commune de Betaré Oya, environ 80.000 habitants, a accueilli par le passé de nombreux exploitants miniers chinois, coréens, canadiens, américains, sud-africains, venus chercher de l’or.

Entre 2011 et 2014, au plus fort de l’activité minière, plus de 100 compagnies minières y étaient présentes, la plupart chinoises.

– « Vivre avec le risque » –

A « Kaye » (cailloux en langue Bororo), un site minier de Bétaré Oya, des montagnes de terre et de gravats de pierres dominent le paysage.

Bébés sur le dos, des femmes remuent la terre à l’aide d’une houe ou d’une pelle dans l’espoir de trouver de l’or. Un jeune creuse avec une pioche au fond d’un trou dans le même but.

« Ce site a été ouvert par des Chinois. Le vrai produit (l’or) est en bas, mais l’extraction a été provisoirement arrêtée parce qu’il faut une machine plus adaptée », explique un gendarme en civil.

A moto, ce militaire recruté par une compagnie chinoise sillonne régulièrement des chantiers comme celui-ci pour disperser les chercheurs d’or, qui reviennent généralement dès qu’il est parti.


« Ils sont inconscients du risque d’accident qui est réel. S’il y a des accidents, ils diront que (les responsables) sont les Chinois », affirme-t-il. « Même quand un trou a tué, ils reviennent le lendemain », insiste-t-il.

Fin décembre, neuf personnes âgées de 18 à 32 ans, dont des femmes, ont été tuées suite à un éboulement de terrain survenu alors qu’elles cherchaient de l’or dans un trou à Ngoé Ngoé, un autre village de la région.

A la suite de ce drame, le site a commencé à être refermé, mais les travaux n’ont pas été achevés.

– « Plus d’espaces cultivables » –

Outre les risques mortels, l’exploitation de l’or a modifié la faune locale: dans la zone de Betaré Oya, une cassure se devine entre la forêt et la savane.

« C’est une catastrophe écologique », s’offusque Justin Chekoua, responsable du projet mines au Foder.

Selon lui, le sol est « dégradé », la forêt « déforestée », le réseau hydrographique « déstructuré ». « On faisait beaucoup de pêche dans les zones d’exploitation minière, mais il n’y a plus de poisson (à cause) de la sédimentation des cours d’eau », ajoute-t-il.

Les grandes plantations de tubercules de manioc et de banane plantain qui existaient autrefois dans la ville ont disparu, selon M. Phausard.

« Il n’y a plus d’espaces cultivables », renchérit Michel Pilo, chef du village de Mali. « Les tomates et légumes consommés ici viennent de loin. Les zones où elles étaient cultivées ont été rasées pour l’exploitation minière », précise-t-il.

« Aucune oeuvre sociale n’a été réalisée par les compagnies qui exploitent le sous-sol. Ces sociétés n’ont construit aucune école, aucun centre de santé, même pas de routes. Elles nous ont seulement exploités », accuse M. Pilo.

La commune de Bétaré Oya aurait dû percevoir plus de 850 millions de FCFA (1,3 million d’euros) de redevance minière depuis 2014.

Elle n’a rien reçu à ce jour, selon M. Phausard.

Officiellement, 285 kilos d’or brut ont été produits dans l’est du Cameroun en 2017 par les compagnies agréées.