Opinions of Wednesday, 29 December 2021

Auteur: Jean Pierre Békolo

Au Cameroun, 'si le football ne sert à rien, à quoi sert donc le cinéma ?'

Jean Pierre Békolo Jean Pierre Békolo

Dans une nouvelle tribune publiée il y a quelques heures, le cinéastes camerounais Jean-Pierre Békolo questionne les valeurs de la société camerounaise qui, de plus en plus, perd ses repères et se perd, même devant des questions essentielles de la société. Une question centrale a été posée dans la tribune de M. Békolo que la rédaction de CamerounWeb vous propose : « Si le football ne sert à rien, à quoi sert donc le cinéma », au Cameroun ?

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"C’est la question qui m’a été posée. Quand une femme dit à un homme je t’aime et l’homme répond je t’aime, ils ne parlent pas de la même chose. Donc quand vous dites cinéma et je dis cinéma nous ne parlons pas de la même chose.

Il est important de rappeler que toute image en mouvement n’est pas cinéma comme tout texte n’est pas littérature. Partons de la définition la plus simple du cinéma, celle qui consiste à «raconter des histoires avec des images et du son». Et regardons notre Afrique, l’Afrique de nos ancêtres, pourquoi ont-ils toujours tenus nous raconter des histoires ? Pourquoi nos vieux passent-ils leur temps à nous raconter des histoires ? Les histoires en plus d’être la mémoire d’un peuple, structurent les sociétés, les histoires structurent les hommes, Les contes qu’on raconte aux enfants leur donnent des valeurs, les notions du bien et du mal, leur apprend l’histoire de leurs origines et leur donne une identité.


Aujourd’hui c’est par le cinéma que les nations modernes comme l’Amérique racontent aux autres et à eux-mêmes leur histoire. Pour ceux qui ont le sentiment que la société camerounaise a basculé à un certain moment, que contrairement à une époque il y avait une place pour le mérite et l’excellence, je leur dis que en effet la société camerounaise a basculé avec l’arrivée non pas de la télévision dans les années 90 mais plutôt l’arrivée du Prof Gervais Mendo Ze comme Directeur Général à la télévision nationale. Les histoires qu’on s’est mis à raconter aux camerounais à la télévision leur disaient désormais tout le contraire de ce qu’on avait connu jusque-là. On se souvient avoir vu à la télévision le premier ministre recevoir un Feyman!

Aujourd’hui beaucoup pensent que la société camerounaise est malade, et le seul hôpital collectif qui existe est le cinéma et par extrapolation la télévision. Montre-moi ta télévision et je te dirai qui tu es. Si notre société est malade, le cinéma peut la guérir. Nos ancêtres le savaient et s’ils nous ont laissé les histoires comme arme pour mieux combattre nos ennemis. Mais seulement quel usage faisons-nous de cet héritage ?

Nous avons été incapables de s’inscrire dans la continuité de cette riche culture ancestrale et proposer au monde une autre manière de faire la télévision, quand nous ne l’avons pas transformé en boite à singeries, nous en avons fait un tam-tam pour le président. Regardez nos écrans et les écrans des chaînes étrangères montrant les africains, nous sommes loin de représenter cette culture complexe des vieux qui nous parlent en métaphores et en allégories. Pourtant mon professeur de philosophie de terminale nous a appris que son grand père n’avait rien à envier à Hegel.

Pour conclure, ce sont les histoires que nous nous sommes racontés depuis les années 90 qui ont produit les travers de cette société camerounaise que nous critiquons aujourd’hui et il n’y a que le cinéma pour nous guérir. Voilà en quoi le cinéma… une certaine idée du cinéma peut être utile à la société et c’est celle-là que je défends. Donc avec le football il n’y a pas match".