Dans cette série consacrée à l’impression de gâchis qu’entretient le Cameroun avec ses icônes, intéressons nous à ses repères culturels. Si l’on observe le trajet de nos musiciens par exemple, on peut reconnaître qu’ils ont bien travaillé. Mais à l’heure d’être quelque peu honorés, ils peinent à trouver un quelconque réconfort auprès de leur Etat. Quelques grands noms nous sont quand même restés sous la vulve.
Richard Bona, pour une histoire de passeport
Il y a cinq ans, lors d’un séjour à Londres, dans un restaurant classe, je remarquais inconsciemment que la musique de fond m’était familière. Eh oui, je ne rêvais pas ! Il s’agissait bien du titre « Suninga » . J’ai tout de suite eu davantage d’appétit. Que dire, je me croyais soudainement plus respecté et mieux à l’aise entre les 90% de « whites » que contenait le restaurant. On est donc d’accord que le gars est célèbre. Et c’est notre pays qui en sort ovationné. Pourtant, la posture de ce grand frère quant à la question de « son passeport » m’a quand même interloqué. Lorsqu’on considère le personnage public Richard Bona, et non pas sa personne (que je ne connais guerre), l’on est en droit de s’attendre à une hauteur au moins égale à celle de la musique qui le révèle.
J’ai suivi sur le net l’épisode du « je ne suis plus Camerounais, donc ne m’appelez plus dans vos choses ». Je n’ai rien dit. Ensuite, il y a eu l’épisode du « je suis déjà décoré dans mon cœur, je ne veux pas de votre médaille ». J’espère me tromper, mais j’ai eu l’impression que notre grand bassiste militait pour la reconnaissance de la double nationalité. Ou alors, dénonçait l’hypocrisie qui en est faite avec d’autres personnalités du Cameroun. Un ami diplomate m’expliquait que chaque pays modélise son code de nationalité en fonction de ses intérêts internes et externes, ainsi que des enjeux historiques, actuels et futurs. Ils portent sur l’économico-securitaro-démographique, ou même sur la sociopolitique. Et moi de déduire de ce langage complexe que cette question était compliquée d’une part, mais surtout que chaque pays avait sa spécificité. On n’adopte pas la double nationalité tout simplement parce qu’un pays voisin l’a adopté. Ou encore parce des icônes l’ont revendiquée.
S’il est vrai qu’il y a des exceptions à ce principe d’unicité, je me demande pourquoi le Cameroun n’a-t-il pas depuis longtemps classé Mr Bona dans le régime de ces exceptions comme il l’a fait pour ses footballeurs nés français ou pour ses ministres ? Richard Bona n’en méritait il pas autant ? Tout compte fait, la relation Cameroun / Bona est faite d’amour, de calcul, mais aussi de piège et de dénigrement. L’optimum n’est donc pas atteint. Voilà ma tristesse.
Prince Eyango, pour une histoire de passeport
Comme le virus ne laisse personne, on n’est pas loin d’oublier la séquence humiliante que le Cameroun et Prince Eyango ont servie aux Camerounais du monde entier. Dans une élection bénie par « la tolérance administrative », le Montagnard s’est retrouvé immédiatement anesthésié par la même Ministre qui avait une semaine auparavant validé son élection comme président de la CMC. Peut être n’avait il pas respecté un deal, je n’en sais rien. Mais j’ai eu plus pitié de lui qu’autre chose. « Grand frère, tu allais faire quoi là bas ? ». Je m’en fou pas mal de savoir si son passeport n’est pas vert foncé, mais tous les Camerounais savent très bien qu’il s’agit d’une grosse hypocrisie, donc d’une grossière manigance. Ce qui me choque, c’est le résultat.
L’un des chanteurs à succès de tous les temps du Cameroun était ainsi humilié. L’appareil judiciaire qui avait délivré je ne sais quoi à qui s’est trouvé humilié. Des personnalités qui avaient validé tout ce processus légalement faux (dont la Ministre) se sont trouvées alors rabaissées. Dans l’ensemble, on était tous des loosers. Voilà comment les enfants d’un même drapeau s’auto dévorent. Il a fallu que les élites du Moungo natal du chanteur écrivent au Chef de l’Etat pour demander que s’arrête cette humiliation. On suppose que ce sont ces mêmes élites qui vont demander au Chef de l’Etat de se représenter en 2018. Là, on aura fait la boucle.
Longue Longue, pour une histoire de passeport
Il est resté dans le cœur des Camerounais récalcitrants comme le symbole des chansons à texte, à valeur, à dignité. Sur « Ayo Africa », tous les Africains francophones dansaient d’un pieds et driblaient le colon de l’autre. Puis, il s’est battu pour entrer dans la maison du loup. Et le loup ne l’a point loupé. Pourquoi une si belle trajectoire a dû se débrider toujours pour une histoire de papier ? Au point de devenir la risée des Camerounais dans les rues de Douala ou sur les plateaux télé ? Malgré qu’il a prononcé ses regrets pour ce raté de parcours, cette tâche porte atteinte non seulement à lui, mais bien évidemment à l’image du Cameroun.
Or cette image était plus que brillante lorsque Longué Longué faisait son « Mickael Power » en Afrique du Sud. Si le Cameroun avait une politique artistique visant à mettre les artistes à l’aise, ceux-ci auraient une assurance quant à leur métier, et aux ressources que celui-ci leurs génère. En les exposant à la dureté de la vie, ils s’encombrent des mauvaises relations, de peurs, d’incertitudes, et de choix qui ne leurs sont pas toujours profitables. Voilà le bon exemple.
Le Foufou Club, pour une histoire de passeport
Disons-nous les vérités clairement. Les mélomanes parisiens de la belle musique Camerounaise ne peuvent pas rater ce lieu devenu mythique où s’interprètent de temps à autre les anciens succès du Cameroun. Régulièrement, ce sont les vrais musiciens, nos anciennes gloires qui miment leurs propres chansons, pour le sourire des consommateurs de ce maquis. Je suis autant content de déguster ces anciens makossa sur internet, mais par après, celà ne me fait plus du tout rire. Car j’ai toujours une boule sous la gorge en me demandant : « Que faites vous là ? ».
Le Cameroun a ainsi décidé qu’aucun artiste reconnu d’hier ne pouvait s’épanouir normalement et de façon respectable s’il ne s’envole pas pour Paris. Aucun dispositif musical sérieux de gestion de leurs droits, de leur sécurité sociale, de leur retraire, de leur formation, de leur perfectionnement, de leur prestation, rien de structuré n’a été mis sur pieds au Cameroun. Résultat des courses, ils s’entassent au Foufou Club pour diminuer leurs douleurs. J’aurai souhaité que ce même Foufou Club soit à Douala. Et que de temps à autre, ces mêmes musiciens valeureux y viennent redonner du plaisir aux mélomanes. Mais, comme ça ne laisse personne, même eux n’ont pas pu échapper au virus.
Au moins à Paris, ils pourront se soigner à peu près normalement. Au moins à Paris, ils auront l’apparence externe d’exister. Là bas, il y aura toujours une Maison Culturelle pour leur servir d’espace de travail. Là bas, leurs droits d’auteur seront virés sur leurs comptes bancaires et la lettre d’accompagnement suivra dans la boîte à lettre. Là bas, personne ne crierait sur eux et ils n’auraient à se bagarrer avec personne. Là bas, ils ont le sentiment qu’ils existent comme Artiste, sans avoir à militer dans aucun parti politique ou à lécher l’orteil d’aucune personnalité du « ngomna ». Voilà comment leur pays, le Cameroun a envisagé leurs fins. Quel gâchis !
Les musiciens au Cameroun
Qu’on se dise les choses clairement. La musique à mœurs légère fait carton au Cameroun. Il suffit juste de trouver une bonne inspiration et avec des mots calculés, votre single va cartonner. Pas seulement dans les milieux populaires, mais même les ministres vont l’encourager : » Mr le Préfet de Bafoussam, pourquoi bloquez vous l’inspiration des enfants ? S’ils veulent coller leurs sœurs, tantes et cousines, laissez les ! » .Je ne suis pas là pour juger ou porter atteinte à qui que ce soit. Mais, n’oublions pas que la Culture dessine qui l’on est, quelle type de société on prétend forger. Pour que nos artistes nous représentent avec une grande responsabilité, le Cameroun doit aussi leur montrer une grande responsabilité. On en voit qui doivent encore passer à la télé pour exposer leur maladie et déclencher ainsi le mouvement de solidarité pour leur assistance. Comment ne pas dans tels circonstances préférer Paris à tout prix ?
En conclusion, le Cameroun regorge des musiciens talentueux. C’était le cas hier, c’est le cas aujourd’hui. Ceux-ci font aussi partie de l’exposition culturelle de notre pays, y compris à l’international. Ça au moins, nous pouvons l’offrir à l’humanité. Mais, des problèmes futiles viennent trop souvent dénaturer cette relation mutuellement bénéfique. Ce qui entache et continue d’entacher l’image de nos artistes et musiciens, notamment ceux de l’ancienne génération qui pour la plupart subissent les douleurs de la vie. Si l’Etat n’a pas travailler l’ancienne génération, à quoi cela servirait il se travailler la nouvelle ? Qui a inspiré qui ? Vivement que ces hommes et femmes de l’esprit retrouvent une relation optimale avec leur pays. Enfin, s’ils s’y reconnaissent encore.