La réalité sait se rappeler au souvenir de ceux qui l'ignorent. Nestlé a annoncé il y a peu la suppression de 15 % de ses effectifs dans 21 pays d'Afrique.
Cette décision s’explique par l’optimisme excessif de la compagnie, qui pensait que « l’Afrique serait la prochaine Asie », avant de réaliser que « la classe moyenne dans la région est extrêmement faible et progresse peu ».
L’annonce de Nestlé remet à l’ordre du jour le débat sur la taille de la classe moyenne africaine et, en filigrane, interroge la pertinence de l’afro-optimisme ambiant.
Les articles se multiplient et les experts se déchirent. Les uns dégainent leurs statistiques et expliquent que la classe moyenne est réelle. Les autres leur répondent avec d’autres statistiques qui contredisent les premières.
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Le recours aux chiffres est pratique car il donne une apparence d’objectivité à un débat essentiellement idéologique. Avant la crise financière de 2007, le consensus était que les pays africains avaient des difficultés, mais aussi un potentiel important. Ce potentiel entretenait un optimisme légitime mais prudent. C’était l’afro-optimisme 1.0.
L’afro-optimisme 1.0 est mort, vive l’optimisme 2.0 !
La crise de 2007 a mis à mal ce consensus. Les économies occidentales et asiatiques étaient en panne, les investisseurs internationaux en quête de « relais de croissance ». Tout d’un coup les pays du continent devenaient attractifs. La réécriture du script s’imposait. C’était l’avènement de l’afro-optimisme 2.0.
L’afro-optimisme 1.0 était un état d’esprit. L’afro-optimisme 2.0 est une doctrine. Celle-ci énonce que la réalité peut être créée. L’afro-optimiste 1.0 voyait le verre à moitié plein. L’afro-optimiste 2.0 décide que le verre est plein.
Avec le temps, cet état d’esprit est devenu un produit commercial. »
Avec le temps, l’afro-optimisme 2.0 est devenu un produit commercial. Ses fournisseurs ? Des institutions internationales, des médias influents, des groupes d’intérêts divers.
Ses clients ? Les couches éduquées d’une diaspora désireuse de voir le continent émerger, des multinationales assoiffées de croissance et des dirigeants africains heureux de se prévaloir de progrès parfois fictifs.
Une doctrine qui recouvre une dimension sociologique
Sur le continent, le concept a une dimension sociologique. La jeunesse privilégiée est souvent afro-optimiste, tandis que la jeunesse désœuvrée est plutôt « afro-indifférente ». Peu de pays ont bâti des systèmes méritocratiques. La jeunesse privilégiée a parfois bénéficié de la corruption de systèmes dysfonctionnels. En ce sens, son afro-optimisme témoigne d’une forme d’aveuglement.
Mes camarades africains et moi étions afro-optimistes (tendance 2.0) à l’époque de nos études. Nous étions afro-optimistes comme les jeunes de notre âge étaient communistes dans les années 1950. C’était là qu’il fallait se situer. Le doute nous était inconnu. La vulgate afro-optimiste dominait. Les rapports que nous consultions, les journaux que nous lisions, les intellectuels que nous respections, les émissions que nous suivions étaient unanimes : l’heure de l’Afrique est arrivée.
Le contact avec la réalité avait un effet limité sur nous. Au cours de mes séjours africains, j’ignorais ce qui me déplaisait et m’attardais sur ce qui m’arrangeait. Je tirais des conclusions hâtives. Telle marque internationale ouvrait-elle une petite boutique en plein cœur de la ville que j’y voyais la confirmation de l’existence de cette fameuse classe moyenne. Peu importait que les files d’attente à la caisse fussent inconnues.
L’afro-optimisme 2.0 est le signe d’un triomphe d’une culture de la facilité. C’est peut-être le plus grave. »
Limites de l’afro-optimisme 2.0
Dans sa version 1.0, l’afro-optimisme tenait sur ses deux jambes : la lucidité d’un côté, l’espoir (justifié) de l’autre. Il reconnaissait que les solutions à des problèmes profonds étaient nécessairement difficiles : bâtir des institutions, forger des identités nationales, créer des sociétés civiles actives.
L’afro-optimisme 2.0 est unijambiste : il repose sur des statistiques intéressées. À des défis complexes, il propose des recettes simples. À des institutions locales fortes, il préfère des organisations supranationales.
À la construction de cultures nationales, il oppose le pluralisme des identités. À la nécessaire implication citoyenne dans les affaires publiques, il substitue le militantisme numérique. L’afro-optimisme 2.0 est le signe du triomphe d’une culture de la facilité. C’est peut-être le plus grave.