Des détonations, au Tchad, au Cameroun et au Nigéria, des morts, nous préférons dire plusieurs, car un seul mort vaut 100 morts et la fin de semaine a été particulièrement sanglante à Mora dans l’Extrême Nord du Cameroun et au Tchad… Les médias ont été lents à réagir, comme hypnotisés par ces déflagrations qui projettent des corps déchiquetés à des dizaines de mètres dans une odeur de brûlé et de viande boucanée.
Cette fois, il n’y a pas un policier à hisser au rang de héros national, un qui aura au sacrifice de sa vie permis au ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement de dire « le pire a été évité, le peuple camerounais veille, avec comme pilote le Président Paul Biya ».
Oui, cette fois, tout es passé sous silence, la patrie n’est pas déclarée en « danger », l’émotion collective ne monte pas des chaumières pour converger vers le Boulevard du 20 mai portée par Polycarpe Essomba, Thierry Ngogang, Raoul alias Rawul Minlo, Parfait Siki et les autres dans un collectif baptisé « Unis pour le Cameroun ».
Le pays semble avoir oublié que ne gagne véritablement un combat que celui qui est déterminé et non celui qui joue au bouffon de service malgré toute la logistique mise à sa disposition.
Aujourd’hui, ni le peuple, ni le gouvernement, ni le parti au pouvoir tout en ignorant son devoir, n’expriment son « effroi », les amis d’un jour n’expriment pas eux aussi leur « inquiétude » face à cette folie meurtrière qui monte chaque jour un peu plus, dans les campagnes comme dans les villes. Ce n’est pas seulement la violence de Boko Al Haram.
C’est aussi celle qui couve entre l’Etat, les gouvernants et les administrés. Comment expliquer qu’après un parcours de haute facture des Lionnes Indomptables du basketball au dernier afrobasket ces filles soient prostituées sans primes à l’hôtel Mont Febe dans l’indifférence de la Fédération et du ministre en charge du sport ?
Comment expliquer qu’il soit demandé à des joueuses ayant fait un travail de rentrer chez elles sans leur salaire ? Comment expliquer qu’elles en soient réduites à demander un crédit de téléphone à des amis à l’extérieur pour pouvoir continuer à survivre à l’Hôtel Mont Febe où elles ne sont plus que des pestiférées ? Ce sont des kamikazes potentielles...
Au sein de la police, ce n’est pas sur les effectifs et leur déploiement sur le terrain qu’on se bat dans l’Extrême-Nord, mais bien sur les primes, car pendant que d’autres se battent et meurent, une minorité se partage le butin ! Ce qui est vrai au sein de la police l’est encore plus dans l’armée, dans la magistrature, chez les enseignants, etc.
La responsabilité du gouvernement est immense. Le gouvernement a beau dire être au travail, il a beau contester les accusations qui fusent de toute part, il est le plus grand pourvoyeur du groupe qui se retourne aujourd’hui contre les institutions de la République et qui tue sans savoir pourquoi et surtout qui tuer. Car ceux et celles qui tombent sont aussi paumés que ceux qui tuent. Un chômage endémique (67 % de la jeunesse camerounaise est au chômage), 78 % de jeunes en âge de fonder une famille vivent chez leurs parents.
« Fonder une famille est de l’ordre de la magie quand on ne sait pas qu’est-ce qu’on va manger demain ou comment acheter un sac de ciment » nous dit un jeune que nous interrogeons. La politique économique du pays est désastreuse, la justice est à tête chercheuse ou alors soumise à un agenda politique, l’école est soumise à tous les docteurs agrégés « Je sais tout ». Le gouvernement ne semble pas avoir d’agenda autre que celui des motions de soutien que l’on voit à travers les banderoles dans les grandes artères du pays.
Le chef de l’Etat a instruit le 4ème recensement général de la population, mais loin d’être une bonne nouvelle, la directrice du bureau central des recensements et des études sur la population (le BUCREP) madame Mbarga annonce qu’il faudra 30 000 agents pour y arriver ! Ceux-ci ne sont pas encore formés, n’existent donc nulle part et le recensement est programmé pour le mois de janvier 2016.
Que d’étudiants en démographie, en géographie, en statistique, en sociologie, en anthropologie auraient pu faire l’affaire si dans les programmes universitaires on avait simplement pensé que le recensement est important pour un pays ! Que dire du lien qui devrait exister entre le BUCREP et le BUNEC ? Comment s’étonner que le peuple ne s’y retrouve pas et passe ses nerfs en ignorant les attaques qui sont perpétrées contre ses semblables et pense que tout ceci est fait contre les gouvernants et non contre lui ? Oui, nos pères disaient qu’il faut creuser les puits aujourd’hui pour étancher la soif de demain.
L’opposition camerounaise, hélas, n’est pas en reste. Elle singe le pouvoir, reproduit ses clichés, elle ne souhaite que mettre les vêtements du pouvoir en place. Elle est donc enfermée dans un mutisme de carpe ignorant le conseil de Desmond Tutu qui dit que « si tu es neutre devant l’injustice alors, tu as choisi le parti de l’oppresseur. » Des milliers de familles sont aujourd’hui sans logement, non pas que la politique d’assainissement soit mauvaise, mais l’absence de mesures de suivi est inhumaine.
Il faut casser, mais aussi recaser ; c’est ainsi qu’on donne un visage à un pays et que l’on éduque une nation. Les inondations à Douala analysées avec le journaliste Ruben Malick Djoumbissié diffusées dans un double documentaire sur canal2 au mois de septembre nous ont révélé combien les tenants du système gouvernant sont autistes du vécu quotidien du peuple et que le bien-être de ce dernier n’est pas une priorité pour eux.
Très peu de journalistes camerounais peuvent être cités pour leur engagement dans la construction du Cameroun, dans la dénonciation des injustices. Les Camerounais s’informent de plus en plus à travers leurs échanges dans les réseaux sociaux ayant compris que les médias de masse, radios, presse écrite, télévisions sont de mèche avec ceux qui les spolient de leur avenir et de celui de leurs enfants.
Les débats dominicaux sont devenus des lieux de retrouvailles des journalistes venus défendre leur financier pour une fin de semaine « comme celle des autres ». Non, rien n’incite vraiment à l’optimisme. Pouvoir en place, journalistes, opposition oublient que l’éléphant ne peut courir et se gratter les fesses en même temps.
In fine, on ne peut pas reprocher aux Camerounais de considérer que ni le gouvernement, ni le parti au pouvoir, ni l’opposition ne sont qualifiés pour quoi que ce soit aujourd’hui, ni pour combattre Boko Al Haram, ni pour créer les emplois, ni pour assurer la sécurité des uns et des autres, ils ne sont point les étoiles de l’élégance… La déflagration est là, juste derrière la porte ; j’espère qu’ils comprennent que le savoir est un champ, mais s’il n’est ni labouré ni surveillé, il ne sera jamais récolté