Quand Mr Jacques Fame Ndongo, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, avait, il n’y a pas très longtemps de cela, utilisé le terme « créature » pour représenter la relation entre Mr Biya et les composantes du système, une pluie de critiques est tombée sur lui.
Mais avec un peu de recul, je me dis aujourd’hui qu’il avait seulement été un peu plus honnête que la plupart d’entre nous. Il me semble que c’était en effet la meilleure métaphore pour décrire le système Biya qui n’est rien d’autre qu’un ensemble de manières de faire, d’être, de voir le monde, de parler, etc. qui façonnent les Camerounais depuis 33 ans. Ce système, il n’est pas hors de nous, il est en nous. Ce système, c’est nous, ses « créatures ». La génération de Camerounais qui bavarde aujourd’hui, celle qui s’épanche sur les réseaux sociaux, pour ou contre le système, en est d’abord le produit. Pour nombre de voix critiques, c’est un exorcisme difficile, car il n’y a pas un en-dehors du système.
Comment exorciser un système qui vit en nous ? Pour parodier la sagesse biblique, Belzébul ne peut pas chasser Belzébul » (Mt 12, 26). Oui, pourquoi tant de réformes ou initiatives d’alternances échouent au Cameroun, tout simplement parce que Belzébul ne peut pas chasser Belzébul. Permettez-moi cette autre image ! Le Cameroun est comme une piscine, et le système Biya est comme l’eau de la piscine dans laquelle nagent les Camerounais depuis 33 ans. Cette eau n’a pas été renouvelée ces 33 dernières années et c’est là-dedans que nous faisons tout ! Que de déchets accumulés ! Que de toxines secrétées ! Que d’intoxications et d’infections !
Pendant ces 33 ans, seule la Biyamicyne était disponible pour soigner les malades, et elle a fini par perdre son efficacité, au fur et à mesure que se développait la résistance collective. C’est pour cela que le système ne dispose plus d’aucun ressort interne de renouvellement. On ne soigne pas le choléra avec l’eau sale !
Et puis, collectivement et civiquement, notre système immunitaire s’est adapté à la saleté ! En effet, pour survivre dans cette eau sale pendant 33 ans, les nageurs que nous sommes ont dû développer des mécanismes d’adaptation : corruption, incivismes, favoritisme, tribalisme, cynisme, tricheries, clientélisme, bref débrouillardise ! Dans ces disciplines, nous sommes devenus des médaillés olympiques, surtout que notre piscine a bien des dimensions olympiques. Nous pataugeons dans notre boue et tous ceux qui nous approchent en sont éclaboussés.
Bien évidemment, ceux qui n’ont pas pu s’adapter ont dû mourir ou s’échapper de la piscine. Mais, même hors de la piscine, la désintoxication n’est pas garantie, et c’est aussi ça notre diaspora. Et même si on venait à vider la piscine aujourd’hui, et c’est ce que certains appellent alternance, il faudra encore désintoxiquer les nageurs, sinon non seulement ils ne seront pas à l’aise dans la nouvelle eau mais ils auront tôt fait de la salir de nouveau.
Oui, je suis aussi de cette génération-là. Quand je prends mon âge et en soustrais 33 ans, il ne reste que 15 ans ! Il n’y a que ceux qui ont au moins 67 ans (33 ans + 34 ans) aujourd’hui qui peuvent prétendre avoir véritablement nagé dans deux eaux différentes, celle du système Biya et celle du système Ahidjo, encore que les deux eaux ont la même source, la Françafrique, la pollution par excellence.
Je suis de ceux qui ces dernières années ont sévèrement critiqué le système Biya pour ses maigres résultats depuis 33 ans, surtout en ce qui concerne le service du bien commun et le respect de la dignité humaine. Je n’ai pas changé d’avis ! Je suis aussi de ceux qui continuent à militer pour qu’il cède la place à un autre Camerounais que les compatriotes auront démocratiquement élu pour aider le Cameroun à renouer avec une gouvernance éthique. Je n’ai pas changé d’avis, non plus !
Mais je ne me fais aucune illusion sur l’après-Biya, car le système Biya que nous décrions au quotidien n’est pas hors de nous, il est en nous ! Oui, prenons garde, chers compatriotes, de ne pas faire de Mr Biya notre cache-misère. Collectivement, nous sommes misérables, sinon nos efforts conjugués auraient déjà mis le système en déroute. Si Mr Biya a fait 33 ans au pouvoir, c’est en partie grâce à nous, à nos mécanismes égoïstes d’adaptation. Si les forces d’inertie ont prévalu, c’est parce que les soidisant forces de changement n’ont pas pu faire mieux et assez.
Elles n’ont pas pu vider la piscine. Nous ne sommes pas que des victimes innocentes d’un système qui nous écrase malgré nous, nous en sommes devenus des complices. C’est paradoxal, mais c’est la triste réalité. Mr Biya partira tôt ou tard, mais si les Camerounais eux-mêmes ne se désintoxiquent pas, coucou la désillusion ! En effet, il ne suffira pas de vider la piscine, il faudra encore que la nouvelle eau soit vraiment nouvelle. C’est loin d’être un acquis ! Mais à Dieu, c’est-à-dire la somme de nos énergies positives, rien n’est impossible. Tout dépend de nous !