Opinions of Thursday, 23 February 2017

Auteur: Bounya Lottin

CRTV: l'incarnation du mensonge

Charles Ndongo, Directeur de CRTVCharles Ndongo, Directeur de CRTV

C’était la trouvaille malicieuse d’un confrère anglophone de la Télévision nationale dans les années 90. À l’époque, sous Gervais Mendo Ze, superviseur général, la télé nationale diffusait des mensonges à tout-va. Des manifestants du SDF étaient morts piétinés par balles réelles. De quoi rigoler.


Quelques mois plus tôt, des étudiants de l’Université de Yaoundé avaient été accablés d’avoir organisé une marche de protestation, toutes tribus confondues, Anglophones et Francophones sans distinction. Mais, nous disait la CRTV, ils avaient eu la mauvaise idée d’entonner l’hymne national d’un pays voisin, l’hymne du Nigeria. Il y eut « Zéro morts » (au pluriel) selon le ministre de la Communication. Mais on sait depuis le temps que les étudiants camerounais, qui n’ont plus jamais eu de bourse, n’ont jamais entonné un air qui aurait ressemblé à l’hymne du Nigéria ou du Biafra. De chanter «Home Again » n’était rien d’autre qu’une note de nostalgie à la splendeur d’un Etat incarné par Ahidjo. Lui au moins, il savait offrir des bourses aux étudiants.


Ce n’est en tous cas pas sous son contrôle qu’un vice-chancelier de l’Université de Buea se serait permise de détourner l’argent des gratifications à des étudiants affamés. Qui au Cameroun peut dire, dans le détail technique, ce qui s’est passé au Lac Nyoss ? Des histoires à dormir debout avec ces explosions de gaz du fond d’un lac de cratère. Même le célèbre vulcanologue Aroun Tazieff n’y a rien compris. C’est un lac de cratère à Bamenda qui fait des milliers de morts, et pas à Soa ou à M’Vomeka. Les mensonges en direct de la CRTV ont fini par exaspérer tous les Camerounais. Depuis Gervais Mendo Ze, et maintenant encore avec Charles Ndongo.


Qui a ordonné aux journalistes de la CRTV radio et télé de conter à chaque fois que la situation était des plus correctes à Buea et à Bamenda. On sait portant que la situation est au pourrissement depuis novembre 2016. Il n’y a pas école à Buea ou Bamenda depuis la saison. Les avocats font aussi grève et sont déjà passés en dissidence. On ne dit pas au Camerounais que les avocats anglophones ont créé des ordres distincts, quatre au moins.


Les syndicats des enseignants anglophones annoncent à la CRTV que tout est rentré dans l’ordre. Ce n’est qu’un communiqué, qui n’engage personne. Pour faire malicieux, les mêmes enseignants signent, peut-être, mais c’est les mêmes enseignants qui disent secrètement aux élèves que l’école est terminée. Maîtres et professeurs se rendent à leur lieu de travail tous les matins, pas pour dispenser des cours mais pour assurer le paiement des salaires qu’on menace de leur suspendre.


Face à un régime qui joue de ses oukases, les enseignants anglophones jouent aux plus malins. Et la note sera salée. La dernière fête de la Jeunesse aura été des plus ternes dans les Régions anglophones. Les enfants ne se sont pas fatigués. Quoi qu’en disent les reporters de la CRTV. L’année académique sera blanche. Elle l’est déjà. Peu importe que ce soit l’Unesco ou non qui le décrète, les parents des enfants le savent déjà. La plupart d’entre eux ont déjà fait inscrire leurs enfants dans d’autres villes, à Yaoundé ou à Douala. Les ratonnades de la CRTV ne servent à rien : si un élève perd le second trimestre décisif, il n’aura rien appris.


Heureusement le Président Biya s’est lui aussi aperçu qu’on lui mentait, avec ces proses de langues de bois nourries à une inconséquente politique et de la tartufferie. Le dernier discours de Paul Biya à la Jeunesse camerounaise aura vite viré à une mise en défaut des journalistes de la CRTV. Enfin, il commençait à prendre la bonne mesure de la crise anglophone, quelques jours seulement après avoir reçu le Chairman Fru Ndi. La situation est plus sérieuse qu’on ne le croit. Devrait-on penser que les journalistes de la CRTV sont incompétents ?


Assurément non. Surtout lorsqu’on comme patron un « as » comme Charles Ndongo. Ils ont juste été formatés, malmenés et commis à une sale besogne qui ne servira ni les intérêts de la Nation, ni ceux de la République. Les activistes exigent un retour au fédéralisme. Un bien grand mot. Le concept est entré dans la Constitution depuis 1996, et le ministère de l’Intérieur est devenu le ministère de la Décentralisation. Seulement, on a mis Dix ans à trouver que le terme «Région » pouvait remplacer celui de « Province ». Pour la suite, les présidents de Régions élus, il est urgent d’attendre. Et la SONARA continuera à payer ses impôts à Douala et pas à Limbe. Et Paul Biya a surtout peur d’un président de région qui serait à la fois riche et très puissant. La voie de l’impasse est ouverte.


Se poser maintenant la bonne question : pourquoi le Cameroun a-t-il peur de la décentralisation ? On a vécu en Belgique, une magnifique fédération de Flamands et de Wallons. La Suisse, la banque de la planète, neutraliste et très riche, est constituée de trois entités au moins : Allemande, romane et française. On devrait pouvoir s’inspirer de leurs modèles. Jamais Wallons ou Flamands n’ont entrepris des politiques de sédition ou de sécession. Une réflexion sérieuse nous permettra certainement de rattraper des erreurs et les fautes du passé, en commençant par la fondamentale, cette République fédérale du Cameroun qui est née par la fédération de deux entités, une République et des territoires qui n’avaient pas le même argument politique.