A l’heure où les uns boivent du champagne en l’honneur du Rassemblement démocratique du peuple camerounais qui, dit-on, « souffle sur sa 31ème bougie » (24 mars 1985-24 mars 2016), les autres s’interrogent sur les avancées et les régressions, les bons et les mauvais points glanés par le parti au pouvoir, bref son bilan en trois décennies.
Mais, s’il faut parler de règne, il est important de partir de quelques prolégomènes, question d’évacuer les confusions et dissiper les raccourcis habilement créés et souvent trop vite empruntés. Le devoir de mémoire oblige à remonter au parti unique, c’est-à-dire en 1966 avec la création de l’Union Nationale Camerounaise (UNC) qui « devient parti du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais » (RDPC- confère article 1er des textes de base du parti) lors du troisième congrès à Bamenda le 24 mars 1985.
Ainsi, une arithmétique simple permet de compter 50 ans (1966-2016) d’emprise politique au Cameroun de la part du RDPC. Quitte à irriter les caciques du régime, c’est une vérité implacable. Les juristes sauraient le démontrer fort bien à propos s’agissant du droit des personnes physiques. C’est-à-dire qu’un individu qui change de nom ne devient pas une nouvelle personne (sauf s’il en est autrement pour les personnes morales).
Il demeure le même sujet de droit et astreint aux mêmes obligations que sous son ancienne identité. D’ailleurs la mention « anciennement dénommée » est portée à la marge de l’état civil de l’intéressé. Vu sous cet angle, un justiciable ne saurait se prévaloir de son nouveau nom pour échapper à ses antécédents judiciaires. Un autre exemple récent en France conforte cette analyse : le cas de l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP) devenue depuis le 30 mai 2015 ‘’Les Républicains’’.
Un nouveau parti n’est pas pour autant né ; même si on peut y voir en filigrane une certaine ombre de rupture (dans la vision politique), la continuité se poursuit, somme toute, (dans la dynamique politique). Par conséquent, ce qu’il faut retenir est que l’UNC s’est maintenue au pouvoir pendant 50 ans et que l’on célèbre ce 24 mars 2016 les 31 ans de changement de dénomination du parti ; d’autant plus que si l’on veut rattacher l’hégémonie du RDPC au règne seigneurial de son président, on est contraint de se situer en 1982.
Or à cette époque, le Président de la République est un cadre de l’UNC et, prend un an plus tard la tête du parti (à la faveur du congrès extraordinaire de 1983, le 14 septembre). Les ivoiriens auraient dit : « C’est ça qui est la vérité ! »
Cette mise au point effectuée, on peut alors aller « droit au but » pour questionner le bilan du « Renouveau ». Bilan qui ne saurait être intégral et fidèle sans effectuer le parallèle avec l’ancien régime.
L’Enchantement !
Toute la littérature politique du Cameroun ou presque ainsi que les témoignages sont plus ou moins unanimes à reconnaitre que l’avènement de Paul Biya au pouvoir en 1982 a fait souffler un vent d’espoir, d’optimisme et d’enthousiasme au-delà même du cadre restreint du parti.
L’on ne refera pas ici toute l’histoire. Ce n’est par ailleurs pas un hasard si nombre de leaders et de formations politiques tant de la majorité que de l’opposition sont des issus du régime : Bello Bouba Maïgari, Ni John Fru Ndi, Adamou Ndam Ndjoya, Garga Haman Ahdji, Maurice Kamto, Albert Ndzongang (la girouette), Paul Ayah Abine ; SDF, UDC, UNDP, MDR, PAP… pour ne citer que ceux-là. Ailleurs on aurait dit qu’ils sont de « droite »- et- dans une certaine mesure une faction de l’UPC (celle du regretté Frederick Kodock).
Tout ce beau monde était boosté par des termes enchanteurs comme « démocratie », « libéralisation de la vie politique », « rigueur dans la gestion et moralisation dans les comportements », « plus de maquis »… bien ventilés par la télévision nationale (CTV aujourd’hui CRTV) qui, elle aussi, marquait ses premiers pas (1985). De quoi être vraiment dans l’allégresse, surtout que le pays sortait d’une gestion autoritaire, dure et répressive. Cette nouvelle alliance ayant apaisé les colères d’un passé douloureux, le Renouveau était une espèce de « place to be ».
Trop de confort et ouverture du self-service
Entre excès de répression et excès d’impunité, y aurait-il vraiment un choix à faire ? Objectivement et de manière ferme, non. Pour la simple raison que l’excès en toute chose finit par devenir nuisible. Voilà donc ce qui marque le décalage entre l’ahidjoïsme et le biyaïsme. Que des extrêmes ! On a touché le fond de part et d’autre. Un certain vocabulaire est déjà très familier au Cameroun sous l’ère du RDPC.
En vrac on a par exemple : corruption, détournement de deniers publics, opération épervier, laxisme, lenteur administrative, chômage des jeunes, dépravation des mœurs, mangeoire, gâteau national, tribalisme, privatisation, crime rituel, loges, bétisation de l’administration, parrainage, parapluie, godasses, tchoko, gombo, népotisme, flagornerie, parachutage, griotisme, apprentis sorciers, émergence en 2035, DSCE, feuille de route, plan d’urgence, etc.
Une liste essentiellement péjorative. Chacun de ces termes crée forcément une image dans le subconscient de tel ou tel camerounais. L’échec est surtout perceptible au niveau économique. On a beau s’excuser avec la crise économique, la dévaluation du franc CFA ou des plans d’ajustement structurels… Tout cela n’occulte pas le poids de la politique sur et dans tous les secteurs de la vie nationale au point de rendre surérogatoire les questions liées au développement, à la croissance, à l’amélioration des conditions des populations.
L’on s’est contenté de plaire au Président en portant des gadgets à son effigie, de lui faire allégeance, de faire montre de loyauté, de révérence, de chanter et de danser à sa gloire et de trinquer à son honneur, de lui écrire des motions de soutien vides de contenu, de le remercier d’avoir octroyer tel ou tel poste, de lui dire qu’il a droit de vie ou de mort sur ses créatures, etc. Bref de le mettre dans une « zone de confort ».
Et le Président s’y est bien senti à l’aise, il s’y est plu, déléguant presque tous ses pouvoirs à l’aveuglette à un groupe dont il a perdu le contrôle parce que très vaste et diffus (le gouvernement équivaut aujourd’hui à deux salles de classe normale). Ce qui fait dire à certains que « le Président ne peut plus rien » faire pour rétablir l’ordre. Du coup le RDPC a cessé d’être un parti politique depuis fort longtemps. IL est passé d’un ‘’Fan club’’ à un ‘’Casino politique’’.
En effet la plupart des opérateurs économiques d’envergure du pays ont adhéré au RDPC parfois sans rien comprendre aux idéaux du parti ou en les foulant simplement aux pieds. Mais les motivations principales sont : soit la recherche d’abri pour la bonne marche de leurs affaires, la recherche d’une terre d’opportunités lucratives, soit encore l’affut des postes d’honneur et de privilèges.
Encore le confort ! Ce qui a concouru à créer une mafia, des réseaux entourés de rideaux de fer que même le Chef de l’Etat ne peut plus détruire, parce qu’épuisé, parce qu’esseulé, distrait par l’afflux des motions de soutien, des appels à candidature et pressé à chaque fois par les prochaines échéances électorales. Transformé en un casino, le parti est donc devenu par la même occasion le théâtre de tous les mauvais coups et la maison de joie de personnes de tout acabit. D’aucuns y entrant par la porte, d’autres par les fenêtres ou encore par le toit. Et dans un casino, l’on vient pour jouer et repartir avec le maximum de gains possibles.
Le RDPC gît en la personne de son président et, certains l’ont compris et se présentent dorénavant comme « des biyaïstes », « des créatures »… Demandez aux signataires des appels à candidature pourquoi ils le font. Une seule réponse leur est commune : « Nous soutenons le Président parce que c’est un homme sage !» Mais comment se perçoit la sagesse du Président ? Parce qu’il nous laisse faire ? Parce qu’il nous maintient depuis longtemps à nos postes ? Parce qu’avec lui nos privilèges sont garantis ? Parce qu’il ne nous sanctionne pas ? Si oui, alors il « peut rester autant qu’il le souhaite ». En somme le RDPC en tant que tel n’a pas de bilan, du moins positif, qu’il s’agisse de n’importe quel plan de la vie nationale.