Opinions of Tuesday, 31 October 2023

Auteur: Enoh Meyomesse

Cameroun : comprendre l’autonomie de Biya vis-à-vis de Paris

Ahidjo n'avait pas la main libre Ahidjo n'avait pas la main libre

Le 3ème Président sera-t-il davantage autonome ?

La question qui se pose actuellement au Cameroun est celle de savoir si le troisième Président de la République sera encore plus autonome de Paris que ne l’ont été les deux premiers.

A – Le partage de la décision entre Paris, Bruxelles et Washington

L’avènement de l’Union Européenne a eu une grande incidence sur les rapports entre la France et ses anciens territoires coloniaux d’Afrique. La décision pour ce qui concerne ceux-ci, s’est retrouvée désormais partagée avec Bruxelles. La France a ainsi perdu sa totale liberté de manœuvre d’auparavant sur l’Afrique. Elle est désormais obligée de composer dans certains aspects avec les seigneurs de l’UE. Elle n’a pas simplement perdu son indépendance sur le plan de sa politique économique, elle l’a également perdue sur le plan de sa politique extérieure.

Dans le même temps, la crise économique qui s’est abattue sur les Etats africains à la fin des années 1980, a permis au FMI et à la Banque Mondiale de monter en puissance en Afrique. C’est connu, qui paie commande. Le FMI a financé des plans d’ajustements structurels dans la plupart des pays africains, il est devenu partie prenante en conséquence dans la décision politique de ceux-ci.

Ces deux situations à la fois inattendues et nouvelles, ont procuré aux chefs d’Etats africains une marge de manœuvre et par voie de conséquence une autonomie inespérée par rapport à Paris dont ils ne disposaient pas auparavant. A cela s’ajoute le fait que nous ne sommes plus en 1960, à savoir à une époque où les Etats africains n’étaient rien moins que des annexes de l’Etat français.

En conséquence aujourd’hui, des comportements de laquais face au pouvoir français ont disparu. Jacques Foccart nous relate dans ses mémoires l’embarras de Félix Houphouët-Boigny, face au désir de l’Union Soviétique d’ouvrir une représentation diplomatique à Abidjan :

« Mercredi 30 novembre 1966 (…) Les Russes souhaitent depuis longtemps, ouvrir des relations diplomatiques avec la Côte d’Ivoire. Houphouët-Boigny y consent à condition qu’ils prennent l’engagement de ne s’occuper, en aucune façon, des problèmes internes. Le général pourra ajouter que, si Houphouët prend cette décision, d’autres pays africains suivront. C’est donc une importante affaire pour les Russes. En quelque sorte, dis-je, c’est sous votre caution qu’ Houphouët-Boigny voudrait placer cette affaire… »

En d’autres termes, Félix Houphouët-Boigny demandait l’autorisation de la France pour accorder une suite favorable à l’ouverture d’une ambassade de l’Union Soviétique en Côte d’Ivoire. Bien mieux, il se comportait, en quelque sorte, en porte-parole de tous les autres chefs d’Etats « modérés » aux pays indépendants et qui désiraient établir des relations diplomatiques avec l’Union Soviétique, mais redoutaient le courroux de Paris.

Même les déplacements des chefs d’Etats « modérés » d’Afrique, ailleurs qu’en Afrique et en France, étaient soumis à l’approbation de l’Elysée. Jacques Foccart.
« Lundi 28 juin 1965. J’informe le général qu’Houphouët-Boigny (…) allait se rendre en Belgique, à l’invitation du roi. Baudouin (…) l’avait convié à un voyage officiel. Mais, il avait refusé. Par contre, il a pensé pouvoir accepter un voyage privé et il passera deux jours en Belgique, le 7 et le 8 juillet… »
Les chefs d’Etats africains actuellement, ne se rabaissent plus à ce point devant Paris. Ils le narguent même royalement dans nombre de décisions qu’ils prennent.

B – L’époque de Jean Ramadier renversant Mbida est révolue

En conséquence de ce qui précède, l’époque où un Jean Ramadier débarquait à Yaoundé une simple sacoche en mains en mission commandée pour faire tomber Mbida, est révolue. On a vu comment Sarkozy a dû déployer l’armée française en Côte d’Ivoire pour renverser Laurent Gbagbo. De même nous voyons à Bangui en RCA actuellement comment la France se retrouve contrée par la Russie au point où si elle avait des accointances avec les rebelles qui tentaient d’empêcher le déroulement du scrutin présidentiel, elle est obligée de faire machine arrière.

Ceci nous amène à penser que le troisième Président du Cameroun bénéficiera d’une marge de manœuvre encore plus grande, ce d’autant qu’il ne sera guère probablement désigné par Paris comme les deux précédents.