La loi de Finance 2018 a été adoptée à l' Assemblée Nationale au forceps, sans la moindre possibilité de débat. Et l'opinion camerounaise, ou alors celle qui est perceptible sur ce que l'on appelle réseaux sociaux, débat passionnément du projectile lancé par une députée furieuse de n'avoir pas pu donner son avis sur ce texte qui orientera la vie économique de notre pays pour l'année prochaine.
La crise anglophone prend peu à peu la tournure d'une guerre civile, alors que le feu de Boko Haram brûle encore. A l'observation, six sur les dix Régions que compte le Cameroun sont dans une situation sécuritaire instable.
Et à Yaounde, on vit. On se comporte comme si tout était normal. A la télévision d'État, on diffuse de temps en temps les « honneurs» rendus aux jeunes gens engagés sous les drapeaux, qui donnent leur vie dans un conflit qu'ils n'ont peut être même pas jusqu'ici compris.
Dans les autres télévisions, les débats et les debatteurs du dimanche, invariablement les mêmes, dans la platitude, toujours, dans la vulgarité, souvent, tournent en rond, sans jamais effleurer les vraies questions qui interpellent en ce jour le citoyen de notre pays.
Ceux qui vont ailleurs en Afrique sont surpris par les transfigurations qu'ils observent ici et là. Et font des commentaires dépités sur nos misères quotidiennes, en comparaison avec ce qui aurait pu être.
Que s'est il donc passé pour que les Camerounais en soient ainsi à abandonner leur sort au hasard et à la providence? Le «on va faire comment» paresseux et résigné a façonné ce que Celestin Bedzigui a baptisé le «homo biyaius» : un non-citoyen, vivant dans son propre pays comme un zombie, insensible à tous les coups et dont la capacité à s'indigner s'est estompée. Chacun semble avoir trouvé ce qu'il considère comme sa voie de contournement, alors que toutes mènent vers l'impasse.
L'impasse de la crise économique qui s'installe dans un système où on travaille à répartir un « gâteau» qui s'amenuise à vue d'oeil. L'impasse de la crise politique dont la grande hypothèque est l'âge du capitaine et de ses lieutenants, formatés pour une époque dont les pages sont résolument déjà tournées.
Cette torpeur mortifère, qui vire au syndrome de Stockholm, n'est pourtant pas une fatalité. Notre histoire récente, celle de la marche à l'indépendance nous apprend que les Camerounais, parmi les peuples colonisés, furent de ceux qui donnèrent de la réplique. C'est même pour cela qu'ils furent« punis» par la manoeuvre qui installa au pouvoir, le groupe qui refusait cette indépendance...
Sommes nous obligés d'accepter en victimes résignées cette malédiction originelle? Non, il y a lieu de nous réapproprier, nous camerounais, tous ces pans de citoyenneté que nous avons abandonnés. Il y a lieu de réinventer ce vivre ensemble, dont le groupe au pouvoir nous apprend qu'il n'est possible qu'en terme de confrontation autour du «gâteau». Il y a lieu de nous (re) prendre en main.