S’il subsistait encore quelques doutes dans l’esprit de certains sur la parfaite maîtrise de la gestion du pays par Paul Biya, sous tous ses aspects, même les plus insignifiants, ils seraient tous levés, car c’est une évidence : le président de la République est bel et bien aux manettes, déterminé, inflexible, rivé sur le cap fixé, jonglant avec les instruments de navigation pour contourner les turbulences de la période. C’est ce qu’il est apparu encore dimanche à l’écoute de son message à la Nation. Les sceptiques ont pu se méprendre sur cette attitude de concentration maximale et de prise de recul qu’il affectionne parfois lors des crises, et que les imprudents interprètent à tort comme des « absences ».
Et pourtant Paul Biya n’est jamais aussi conscient des points de fragilité de son dispositif de gouvernance qu’en ces épisodes de distanciation volontaire. C’est la raison pour laquelle la présentation quasi exhaustive qu’il a faite dimanche soir de l’état de la Nation est tout à la fois, un aperçu des avancées et des acquis, une mise à nu des failles, un réquisitoire contre les hommes et les pratiques qui en portent la responsabilité. L’Etat de la Nation d’une part, les défis et les perspectives d’avenir de l’autre, avec les assurances du commandant de bord. Voilà résumée la quintessence du message présidentiel à la Nation le 31 décembre.
Sur la tonalité générale, le chef de l’Etat a refusé d’adopter la posture du leader décalé et éthéré, loin des réalités vécues. A l’image de l’Albatros de Beaudelaire, planant majestueusement dans les airs, au-dessus des terriens. « Ses ailes de géant l’empêchent de marcher », assurait le poète… Tel n’est pas le cas du chef de l’Etat dans cette adresse à son peuple, où il évoque sans façon des turpitudes et des péripéties du quotidien, avec une parole vraie, voire crue. Au plus près des préoccupations donc, reconnaissant les attentes légitimes, énonçant les réponses concrètes qu’il a déjà apportées ou en cours, tout en fustigeant l’environnement international caractérisé par les désordres économiques et les guerres, coupables de reléguer au second plan les urgences vitales africaines.
Sur le fond, on peut penser qu’en nommant ce qu’il appelle « les points sensibles », en d’autres termes les difficultés quotidiennes de ses compatriotes, il réussit à les dédramatiser. Les pénuries, ruptures de service et autres flambées des prix ont une explication et ne sont pas l’apanage du Cameroun. Elles sont le fait de l’interdépendance économique. Sans doute a-t-on oublié un peu trop vite que certains pays développés ont dû rationner récemment le gaz, les carburants et l’énergie électrique, au nom des mêmes désordres dans les circuits d’approvisionnement mondiaux. Et que les populations les plus pauvres en Occident sont devenues plus pauvres encore, confrontées à l’insécurité alimentaire au point de ne devoir leur survie qu’à des organisations humanitaires civiles ou religieuses.
« La mondialisation, ça ne marche pas », osait le Pr. Joseph Stiglitz, prix Nobel d’Economie, ancien chef économiste et vice-président de la Banque mondiale, dans un essai intitulé : « Un autre monde est possible ». Mais puisqu’elle est inéluctable et qu’aucun pays ne peut survivre en autarcie, les dirigeants doivent rivaliser d’imagination pour enrayer ou atténuer ses effets pervers. En d’autres mots, donner une réponse appropriée et adaptée à ces secousses telluriques propagées jusqu’au cœur de notre système. Par exemple en réduisant le train de vie de l’Etat, en transformant localement nos matières premières dans le but d’atteindre la « souveraineté alimentaire », selon les directives présidentielles. Soit encore en réduisant les subventions aux carburants tout en recherchant de nouvelles pistes de financement pour l’économie. C’est là que surgit Paul Biya, le pédagogue. Il a excellé ici dans l’art d’expliquer au citoyen ordinaire la complexité d’un système mondial délétère qui ne doit pas nous noyer dans ses sables mouvants, mais nous forcer à la réflexion constante et au réajustement économique permanent.
A la vérité, dans un monde instable et en plein bouleversement, le président de la République envoie aux Camerounais un message dual : oui, la tempête fait rage, et le Cameroun en subit les dégâts collatéraux. Mais dans la mesure où vous m’en avez confié les rênes, vous devez continuer à me faire confiance pour le conduire vers des eaux plus calmes. Je suis conscient de vos peurs et de vos attentes, et j’y travaille.
Cette dualité apparaît aussi dans le décalage entre l’image du pays véhiculée dans les médias, en particulier les réseaux sociaux, et la réalité. Car ici, les choses ne sont pas toujours ce que ces spécialistes de la désinformation en disent. A les en croire, le pays n’est pas loin de la dérive, sans gouvernail. Une véritable imposture cybernétique destinée à discréditer le Cameroun et à saper le moral des citoyens. Et pourtant, le pays avance, martèle le président. Il progresse sans doute plus lentement que souhaité, tant les crises se succèdent, mais il progresse tout de même, selon la réalité des faits et des chiffres : la croissance économique est de retour, poussée par le secteur non pétrolier ; le pays est sur la voie de l’autonomisation énergétique ; les grands projets miniers sont lancés et les réserves abondent ; les travaux d’infrastructures progressent ; les projets d’alimentation en eau potable sont quasiment achevés ; l’import-substitution est la vedette du budget. Alors, de quoi parle-t-on ?
La dualité du message présidentiel ne s’arrête pas là. Elle paraît constituer l’ADN même de celui-ci. Ainsi, son discours évoque tour à tour le père aimant et le père fouettard. En effet, une fois encore, un appel solennel est lancé aux enfants égarés du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, un appel à déposer les armes. Pendant que des châtiments se profilent pour eux dans le cas où ils s’obstinent... De même, le symbole de l’affection paternelle se traduit ici par la reconnaissance claire des revendications des enseignants, mais le chef de l’Etat suggère qu’ils ne doivent pas attendre la même clémence de l’Etat, s’ils s’avisaient de prendre en otage l’école, à travers des grèves injustifiées et un absentéisme complaisant, alors même que le gouvernement s’emploie, au prix de grands sacrifices, à payer progressivement leur dû.
En définitive, l’on peut déceler ici entre les lignes, à travers cette fermeté de ton et cette intransigeance sur les devoirs des mandataires de l’Etat envers la société, une volonté de remettre sur les bons rails le train de la machine économique, qui a tant d’incidences sur la vie politique et la stabilité sociale, et qui constitue le moteur du progrès. Le progrès. Ce mot magique recouvre une réalité, celle de notre destination finale, et celle de notre cheminement même vers ce but final. Le président de la République reste donc focalisé sur ce cap, pour ceux qui en doutaient encore.
En définitive, que retenir du message à la Nation ? Une sortie présidentielle exceptionnellement longue, et emphatique sur sa détermination réaffirmée ? Ou bien la tranquille assurance qu’elle nous communique ? Ou alors, l’appel général à la confiance en notre destin, en nos capacités ? Tout cela à la fois, certainement. Mais plus encore : le nécessaire soutien à notre leader, le chef de l’Etat, engagé contre vents et marées à sortir le pays du marasme économique et de la pauvreté.