Opinions of Tuesday, 3 May 2022

Auteur: Louis Marie Kakdeu

Cameroun : les coupables des recrutements ethniques ont un nom

L’économiste averti sur les dangers de  l’équilibre régional au Cameroun L’économiste averti sur les dangers de l’équilibre régional au Cameroun

L'économiste camerounais Louis Marie Kakdeu est monté au créneau dans l'affaire du déséquilibre régional dans la gestion des ressources humaines et les recrutements dans les institutions d'Etat. Il avertit sur les dangers de l’équilibre régional dans notre pays.

Le débat sur le tribalisme d'Etat prend de plus en plus de l'ampleur au Cameroun. Ce qui m'interpelle, c'est le rejet des responsabilités entre le Nous et le Eux. Le Nous pense que c'est le Eux qui a commencé et de son côté, le Eux pense que c'est en réaction au tribalisme du Nous qu'il a agi. Vu sous cet angle, c'est la polémique de l'oeuf et de la poule. Mais, qu'en est-il effectivement du point de vue de la gouvernance?

1. Une régionalisation centralisée des institutions publiques et une privatisation de la chose publique: Au Cameroun, les institutions publiques créées dans une région/localité ont tendance à être considérées comme étant la propriété des ressortissants de cette localité. Cela est conforté par les "appels" à création de "NOTRE" part d'institutions qui émanent de ces régions et qui font de ces institutions créées une "réponse politique" aux demandes/besoins des populations de cette localité. Cela s'inscrit dans la logique de la privatisation de la chose publique qui consacre la gestion (néo)patrimoniale du pays. C'est aussi une manifestation du clientélisme politique qui est en vigueur au Cameroun. Ainsi, si vous indexer le Nous, il vous montrera, faits à l'appui, que la situation n'est pas différente chez le Eux et qu'il est incompréhensible de s'acharner sur lui. La solution la plus facile est de consacrer une fois pour toute la régionalisation effective des institutions publiques même si certaines ont une vocation nationale. Mais, les dirigeants actuels du Cameroun, s'ils étaient courageux, assumeraient l'option libérale prise par le pays en 1989 dans le cadre d'une loi portant orientation de l'économie nationale. L'on s'attendrait donc à ce que la libre compétition prévale sur le marché de l'emploi. C'est vrai que cela suppose la mise sur pied des réformes structurelles, notamment dans l'éduction nationale, qui n'ont pas été faites.

2. L'absence de la reddition des comptes. Personne n'a l'obligation de rendre compte dans ce pays. L'on parle des recrutements tribalistes dans des entreprises qui ont un conseil d'administration supposé veiller au respect des intérêts en présence. Il s'agit donc de la faillite des administrateurs supposés représentés ces intérêts. Par exemple, pour ce qui considère la Sodecoton, où étaient les représentants du gouvernement et de l'Etat (par exemple, le gouverneur qui a signé) pour répercuter les fameuses "Hautes Instructions"? Dans la logique administrative, le SGPR ne peut pas épargner ses administrateurs pour s'adresser au DG comme si ces derniers n'avaient pas de rôle! C'est d'ailleurs le lieu de soulever le débat sur le bien-fondé des Conseils d'administration dans notre pays et du nombre pléthorique des administrateurs lorsqu'on sait que même les "éperviables" ont souvent des comptes administratifs validés par ces Conseils. C'est vraiment la gouvernance de nos entreprises publiques qu'il faut questionner dans son ensemble et surtout, encourager la société civile à demander des comptes, non pas aux groupes ethniques/religieux/linguistiques composant la communauté nationale, mais aux REPRESENTANTS qui ne regardent pas souvent dans la même direction que les bénéficiaires/lésés. La solution pourrait être de réduire le nombre et l'emprise des représentants et de développer des mécanismes de démocratie directe pour permettre aux bénéficiaires de défendre eux-mêmes directement leurs intérêts, à travers des initiatives populaires par exemple.

3. Attention à l'équilibre régional! Pour le reste, le grand public doit savoir qu'il n'y a pas de cadre légal pour l'équilibre régional dans les entreprises publiques au Cameroun au regard de l'option libérale du pays. La société civile doit être donc très positive et éviter de cantonner l'opinion publique dans une logique identitaire de la politique ou de l'économie. Même l'actualité de l'arrêté de 1992 qui porte sur les quotas par région aux concours administratifs est aujourd'hui très discutable au regard de l'évolution des décrets portant sur le régime général des concours administratifs.

Le public doit surtout savoir que du point de vue de la performance, il n'y a pas d'équilibre régional à attendre des postes techniques. On doit recruter les plus compétitifs même s'ils sont de la même famille biologique. L'inclusion nationale que l'on attend se fait dans les instances décisionnelles, c'est-à-dire au sein des Conseils d'administration ou des Comités de gestion/pilotage. C'est dans ces instances qu'il faut chercher à savoir si toutes les parties prenantes sont représentées au moment de prendre des décisions stratégiques impactant la vie collective. Ce qui tue le Cameroun, c'est aussi cette propension à vouloir toujours mettre des personnes non compétentes aux postes opérationnels par nécessité d'équilibre régional ou par népotisme. C'est cette propension à lutter pour la mangeoire et non pour un modèle progressiste!

L'opinion publique doit savoir que les options d'équilibre régional ou de népotisme aboutissent au même résultat à savoir la faillite. Et je rappelle toujours qu'en 1987, au moment où l'on mettait fin au cinquième plan quinquennal, le Cameroun avait 188 publiques. 30 ans plus tard en 2018, le pays n'en avait plus que 28 avec les entreprises créées entre temps. Et parmi les 28 existantes, 14 étaient en faillite (50%) dont la Semry et la Sodecoton.

Mes chers amis, vous ne pouvez pas vouloir mettre à mal un manager qui a redressé une structure en faillite! Je dis souvent à l'introduction de mon cours de marketing que l'entreprise n'est pas le ministère des affaires sociales. C'est une organisation à but lucratif qui doit être rentable pour exister. La meilleure façon d'y parvenir, c'est de laisser le manager former son équipe. Il est jugé sur le résultat et non sur la composition de son équipe.

Mes chers amis, faisons attention de revendiquer des modèles qui ont échoué et qui conduisent notre pays dans le gouffre. Nous avons le choix entre choisir le chemin de la performance et de mobiliser la société civile pour vérifier que les personnes recrutées sont compétentes, ou choisir le chemin du communautarisme et passer le temps à pleurer ou à célébrer le népotisme.

C'est aussi curieux de constater que dans notre logique jacobine d'aujourd'hui, les gens ne revendiquent pas d'être représentés au Conseil d'administration là où l'on décide de la gestion du bilan positif de l'entreprise; ils revendiquent d'être à l'opérationnel là où l'on travaille et gagne des miettes appelées "salaires".

Mes chers amis, la Sodecoton a réalisé un bénéfice de 5 milliards de FCFA. Je serai plutôt du côté de ceux qui décident de la gestion de ces 5 milliards que de ceux qui sont au four et au moulin pour gagner un salaire à la fin du mois. Je laisse à chacun d'avoir sa vision politique mais, du point de vue économique, ce serait complètement absurde de sanctionner un DG qui a récupéré une entreprise en faillite et l'a redressé (même avec les membres de sa famille) pour la rendre excédentaire, et ce, en deux ans! En principe, le problème doit se poser si les 5 milliards produits ne sont pas investis ou utilisés avec la logique de l'inclusion nationale et donc, de l'équilibre recherché.

Bonne journée!
LMK