Opinions of Wednesday, 5 April 2023

Auteur: Jean Pierre Djemba

Cameroun : pronostic sur ‘la sortie de piste’ de Paul Biya

La fin du régime Biya est proche La fin du régime Biya est proche

C'est exactement ce que vont devoir faire en 2025 dans notre pays, d'un côté, le régime en place depuis quarante ans, qui n'a aucune raison de vouloir décrocher, et de l'autre, le peuple dont les aspirations profondes et légitimes, sont frustrées depuis 1960. A l’occasion de l'élection présidentielle qui aura lieu cette année-là, le sort du régime va être mis en jeu avec plus de risques que d'habitude. Cette fois, comme au moment où le pays a accédé à ce qui tient lieu aujourd'hui d'indépendance, et que l'ennemi était UPC à laquelle il fallait à tout prix barrer le chemin menant vers le pouvoir, il aura de nouveau à jouer son va-tout. Dans le round qui s’annonce, l’inédit est qu'il sera d'abord confronté à lui-même et sera alors face à ses propres contradictions internes qu'il lui faut absolument surmonter pour éviter de s’effondrer.

Il lui faudra résoudre la difficile équation de réussir la délicate opération de la sortie de piste de Paul Biya qui est depuis plus de 40 ans la clé de voûte du système. Un Paul Biya qui malheureusement donne visiblement désormais des signes de défaillance physique. Le régime va être face au choix cornélien de devoir choisir en interne, d'une part, entre deux prétendants de la famille Biya, et d'autre part, entre les Biya et un autre membre du sérail. C'est une périlleuse nécessité dont on serait volontiers passé s'il avait été simplement question comme lors des précédents scrutins de simplement reconduire pour un huitième mandat, le président Biya. Dans une telle récidive, les choses sont désormais tellement bien rodées que le faire relève de la simple routine pour le RDPC qui a bien en main toutes les cartes. Il se trouve malheureusement que la longévité de son champion au pouvoir a aiguisé dans les antichambres du sérail de nombreux appétits qui attendaient patiemment l’occasion de sortir du bois et qui croient maintenant, compte notamment de l’âge avancé du capitaine, que le moment de faire valoir une ambition longtemps contenue est arrivé. Concomitamment, la famille du monarque républicain qui fait le même constat, voit qu'il n'est plus au mieux de sa forme physique et intellectuelle et a donc objectivement toutes les bonnes raisons de craindre pour ses multiples intérêts, veut mettre en selle Franck qui deviendrait alors sa nouvelle assurance contre les risques de lui faire rendre gorge en cas de vacances ou de transmission de pouvoir. En définitive, le choix entre l'une et l'autre formule est cornélien et comporte de gros risques de perturbations et voire même d'implosion du système qui pourrait alors être remis en cause, et dont les membres pourraient tout perdre.

Comme on voit donc, pour 2025, rien qu’en interne, pour le RDPC et pour le régime, les choses ne vont pas aller de soi au cours des choix difficiles qu'il va falloir faire. Il y aura dans le même camp d’un côté, la famille nucléaire dont l’avenir dans tous les termes est en jeu, et qui ne peut être véritablement rassurée quant à la préservation de ses nombreux intérêts matériels, que si le pouvoir réel continue à rester entre les mains d'un des siens. Et de l'autre, une partie des hommes et des femmes du sérail qui pensent que le moment est venu de déposséder la famille du calife pour faire passer dans un autre tribu le trône et la couronne. Compte tenu de la taille des enjeux, selon que les évènements à ce niveau-là profiteraient à l’un ou à l’autre camps, les choses se présenteraient dorénavant différemment. Si le pouvoir échappe au giron de la famille biologique, tout s'effondrera et rendre des comptes ne sera plus alors complétement à exclure. Et pas au peuple, mais simplement à des frustrés de son propre camp qui rêvaient de trouver l’occasion de se venger.

Et il ne faut surtout pas croire que dans le landerneau politique africain, vouloir faire rendre gorge à celui dont on aurait eu à souffrir du pouvoir est une simple vue d'esprit. Non ! Cette pratique a eu concrètement des précédents et des exemples en Zambie où le regretté président Frederick Chiluba au terme de son magistère, s'est retrouvé devant les tribunaux sur l'instigation d'un successeur qu'il avait pourtant lui-même désigné. Et au-delà de ce qui s'est passé hors de nos frontières, nous avons aussi en mémoire les évènements dans notre propre pays dans les années 1982-1985, entre les présidents Biya et Amadou Ahidjo à qui le premier devait pourtant son ascension à la magistrature suprême. Si les choses venaient donc à tourner dans ce sens, le Cameroun à son tour à l'instar notamment de la Centrafrique et du Tchad, s'installera dans une instabilité dont le pays ne sera pas prêt de sortir.

Côté peuple

Le revers de la médaille concerne le choix difficile que va aussi devoir faire lui aussi le peuple qui depuis 1960 n'a pas eu autre chose à faire que d'avaler des couleuvres et reculer constamment jusqu'en ce moment où il a le dos contre le mur. Plus de 60 ans après la tourmente des évènements douloureux qui ont donné lieu à la guerre que se sont brutalement livrés, d'un côté le colonisateur français et ses partisans locaux qu'il voulait installer à la tête du pays, et de l'autre, l'UPC et les patriotes qui n'en étaient pas directement membres affiliés, qui rêvaient de rompre le cordon ombilical avec la France, l'histoire repasse les plats. Cette fois, elle pourrait le faire à l'occasion d'un inéluctable dénouement qui peut prendre en 2025 les aspects et les accents les plus inattendus et qui va s'imposer aux deux parties.

La question qui se pose est de savoir de quelle marge dispose réellement le peuple pour faire pencher cette fois la balance dans le sens de ses intérêts moraux et matériels ? Et la réponse objective que tout observateur honnête peut donner est que dans l'état actuel des choses, il n'en dispose d'aucune. Mais pourquoi ne pourrait-il alors pas faire quoique ce soit alors que c'est lui qui est non seulement souverain par définition, mais, qui est aussi le déterminant principal par la loi du nombre ? Pour répondre à ces deux questions centrales, il n'y a pas mieux que de convoquer deux citations dont l'une est de Karl Marx. Non seulement, elles répondent à la question sur le plan organisationnel, mais elles apportent aussi et surtout un éclairage sur le rôle que doit jouer la politique dans des situations comme les nôtres. La première citation dit ce qui suit : " La véritable prise de conscience révolutionnaire ne commence ni avec la perception des injustices, ni même avec le sentiment de révolte contre les injustices et l'oppression sociales. Elle commence quand on se convainc de la nécessité d'opposer aux injustices et à l'oppression, une action organisée et massive". C'est clair comme de l'eau de roche. Pour sortir de sa situation actuelle, le peuple doit s'organiser et faire face en ordre. Et la deuxième citation renchérit à son tour en disant ce qui suit : "Sans doute, l'arme de la critique ne peut-elle pas remplacer la critique des armes ; la puissance matérielle ne peut être abattue que par la puissance matérielle ; mais la théorie aussi, dès qu'elle s'empare des masses, devient une puissance matérielle". Au-delà de sa légitimité, l'avantage du nombre que détient en outre le peuple, une fois transformé par le travail politique théorique de son avant-garde en un puissant mouvement de masse, devient une puissance matérielle capable d'affronter n'importe quelle force armée qui serait tentée d’outrepasser le mandat qui lui aurait donné. Et pour conduire le peuple à cette position de suprématie, il faut nécessairement un guide qui soit non seulement conscient des enjeux, mais qui atteste également d’un savoir-faire politique et organisationnel.

Et pour abonder dans le même sens du profil idéal de ce guide, pour renforcer ce qui précède, nous empruntons au camarade Yemele Fometio de la LIMARA (Ligue des Masses pour la Renaissance Africaine) les caractéristiques qu'il en donne dans une de ses sorties. Nous les reprenons à notre compte parce qu'elles nous conviennent et nous rappellent la lignée des grands leaders que le mouvement national camerounais a compté dans ses rangs : Ruben Um Nyobé, Félix Roland Moumié, Ernest Ouandié, Abel Kingué, Ossende Afana et Ngouo Woungly-Massaga.

"La nécessité d'un leader en qui tout le peuple s'identifie, qui porte ses aspirations.Ces leaders arrivent rarement dans l'histoire des Nations. Et quand ils arrivent, ils marquent ce peuple pour des générations. Des gens que nous appelons les dieux ou prophètes aujourd'hui ont été juste des leaders qui ont incarné les aspirations d'un peuple à un moment donné. A nous de savoir si nous serons ces leaders en qui notre peuple assoiffé de changement s'identifiera."

En conclusion de ce développement, il faut donc dire que d’un côté, après de nombreuses années de certitude inébranlées où le temps semblait s'être arrêté pour les tenants du pouvoir qui ont ainsi cru que l’histoire était irréversiblement arrivée à sa fin dans notre pays, et de l'autre, où aucune autre possibilité en dehors des atermoiements et des reculades, rien ne semblait plus être laissée au peuple qui depuis 1960 n’a plus de prise sur ce qui se fait pourtant en son nom, le temps du choix cornélien pour l'un et l'autre est revenu. Il va être très difficile en 2025, de le différer de nouveau si tout ce qui doit être fait pour cela est mis dès à présent en œuvre par son avant-garde du mouvement national camerounais.

Jean Pierre Djemba,
1er Vice-Président du PSP/UPC
le 03/04/2023