Les deux intellectuels ne s'entendent pas sur la posture à adopter pour la résolution de la crise anglophone. Si l’universitaire Owona Nguini est favorable à l’option militaire avec l’intensification de la présence militaire sur le terrain alors l’économiste Dieudonné Essomba prêche pour un règlement en douce de ce conflit s’enlise désormais.
Dieudonné Essomba fait le résumé du débat qu’il a eu hier avec Owona Nguini sur Bnews1.
D’emblée, il ne faut pas se tromper d’objectif : le débat d’hier n’est pas ce qui va déterminer l’issue de la crise du NOSO. Son objectif était simplement d’évaluer, sur la base des arguments, ce qui se passe et comment s‘en sortir.
Il y a en effet un risque à assimiler les performances médiatiques de l’un ou l‘autre à la réalité sur le terrain alors que le simple but était de fournir un éclairage argumenté sur ce qu’il faut faire.
Le débat peut se résumer de la manière suivante :
POSTURE D’OWONA NGUINI : le Gouvernement du Cameroun doit rester ferme dans l’option de la force, au risque de déclencher une chaine de réactions qui vont entrainer l’explosion du Cameroun. Il part de l‘hypothèse que l’Etat est suffisamment fort pour s’imposer aux tendances centrifuges, à commencer par la Sécession anglophone. Dans ces conditions, la seule chose à faire est d’élaborer une stratégie militaire adaptée.
L’Etat doit donc poursuivre sa campagne qui, selon lui, porte déjà des résultats. Ainsi, les meurtres des militaires qui se multi)plient lui apparaissent comme le signe que la sécession est à bout de souffle.
La démarche d’OWONA NGUINI sur le plateau était liée à d’importants enjeux personnels. En tant qu’enseignant de la stratégie dans les Universités et les établissements de formation militaire supérieurs, il avait trop à perdre dans un tel débat s’il faisait pâle figure. Il devait absolument prouver à ses étudiants, ses collègues et ses admirateurs qu’il maîtrise le sujet, surtout devant un amateur « prétentieux » comme ESSOMBA.
Naturellement, il a déployé tout son arsenal pour le prouver.
Il partait d’ailleurs avec un énorme avantage : l’habitude de l’enseignement qui lui a permis de développer un grand art dans la communication pédagogique, notamment sur les thèmes qu’il a rabâchés et rabâchés pendant des années et qu‘ils maîtrisent comme sa poche. Il n’avait donc aucune difficulté à les réciter lors du débat.
A côté de cela, il a le soutien naturel de ses collègues, de ses étudiants et surtout, de tous ceux que les réformes de la forme de l’Etat traumatisent. A ces avantages, il a ajouté 3 armes vicieuses :
-le rappel incessant aux références, comme si un phénomène comme la Sécession anglophone pouvait être enfermée dans l’expertise militaire
-l’argumentation ad hominem, consistant à rattacher les postures de M. ESSOMBA sur la base de son militantisme pahouin, comme si ce militantisme suffisait à invalider les arguments scientifiques
-les tentatives de déstabilisation, à travers des gestes comiques de commisération, des interruptions intempestives, des rappels théâtraux aux références, etc.
POSTURE DE DIEUDONNE ESSOMBA : ESSOMBA est un expert qui a développé des outils d’analyse des phénomènes sociaux et de prospective, sans nécessairement se focaliser dans un domaine particulier. En tant que spécialiste des projets, il aborde le problème anglophone comme n’importe quel projet, et en déduit les résultats.
Pour lui, le Cameroun n’est pas une singularité dans le monde. Des pays ont connu des Sécessions et la Sécession anglophone ne peut pas échapper aux règles générales des autres Sécessions qui, ont connue 3 destins :
Groupe 1 : Les sécessions qui ont été écrasées par l’armée
Groupe 2 : Les Sécessions qui ont été contenues à travers des négociations et une réforme de l’Etat
Groupe 3 : Les Sécessions qui ont gagné et obtenu l’indépendance.
Avant de proposer une solution à la crise anglophone, Dieudonné ESSOMBA essaie de classer la Sécession anglophone dans l’un de ces 3 groupes. Evidemment que pour faire ce classement, il faut aller dans les caractéristiques des diverses sécessions en identifiant les facteurs qui favorisent tel ou tel résultat. C’est dont ici qu’intervient l’analyse statistique des Sécessions.
Une analyse faite sur 200 exemples de Sécessions dans le monde (Site …) révèle 4 facteurs centraux qui déterminent le groupe auquel appartient une Sécession :
-la taille de la Sécession
-les fondements historiques et l’intensité de l’idéologie séparatiste
-la nature de la lutte (guerre ouverte ou guérilla) et le positionnement géostratégique de la Région concernée par le séparatisme
-les interférences étrangères et l’environnement technologique.
Ces facteurs peuvent être mesurés par des indicateurs et donner lieu à un indicateur de synthèse qui donne, à coup presque sûr, quelle sera l’évolution d’un mouvement séparatiste. Appliquée à la Sécession anglophone, cette méthode montre clairement que celle-ci fait partie du Groupe 3, à savoir les Sécessions qui ont gagné.
L’analyse statistique révèle ainsi que le maintien de la population anglophone dans le cadre d’un Etat unitaire est anthropologiquement impossible et qu’en conséquence, il n’existe aucune stratégie militaire pouvant conduire à la défaite militaire des Sécessionnistes.
A partir de ce moment, le travail de Dieudonné ESSOMBA consiste à déclasser la Sécession du Groupe 3 au Groupe 2 à travers des réformes de l’Etat. D’où l’appel à l’instauration immédiate d’un modèle fédéral.
Les arguments sur les références en stratégie militaire n’ont aucun sens ici, car, dès lors que le maintien des Anglophones dans un Etat unitaire est un projet techniquement impossible, la stratégie militaire n’a aucun intérêt.
Dès lors, le meurtre des militaires apparait plutôt comme le présage d’un rééquilibrage des forces par la Sécession et le signe qu’elle finira par gagner.
L’approche de Dieudonné ESSOMBA relève d’une approche dite holistique : avant l’élaborer des stratégies opérationnelles pour atteindre un objectif, il faut d’abord établir la faisabilité de cet objectif ! Si l’objectif est impossible, à quoi sert-il de faire des stratégies ? Dès lors qu’il a établi, sur la base de l’analyse statistique des sécessions dans le monde, que le maintien des Anglophones dans un Etat unitaire est impossible, à quoi sert-il de faire des stratégies militaires qui sont des stratégies opérationnelles ?
Mais la démarche d’ESSOMBA est nécessairement moins audible puisque très technique. N’étant pas enseignant, Dieudonné ESSOMBA ne dispose pas des aptitudes pédagogiques d’OWONA NGUINI et surtout, il tente d’expliquer au public une méthodologie extrêmement complexe.
QUE RETENIR FINALEMENT ?
OWONA NGUINI conseille l’Etat de monter en force pour mater la crise anglophone, ne manquant pas d’offrir subrepticement ses services d’expert en stratégie militaire.
Dieudonné ESSOMBA affirme que la montée en force doit être subordonnée à la proclamation de l’Etat fédéral, afin de rendre la sécession moins attractive, car le Cameroun unitaire n’a pas les moyens de mener une guerre longue contre une Sécession de cette ampleur. La poursuite des opérations militaires en restant dans l’Etat unitaire est une grave erreur qui va conduire à l’effondrement du Cameroun. Voilà en gros la synthèse du débat. Seul, l’avenir nous dira qui aura eu raison ! Quant au Gouvernement, il doit évaluer les arguments, non pas par rapport à ce qu’il croit, mais par rapport à la démarche. Car, s’il se trompe dans son choix, le Cameroun est perdu !