Avec le décès de Christian Wangue ce 24 octobre 2022 à Brest en France, le journalisme africain perd un élément clé de sa garde rapprochée. Un journaliste dont la plume recherchée émaillait les tabloïds, un analyste de l’actualité politique et de l’actualité des médias, un parrain dont l’ombre de « petit père des peuples » s’est profilé dans diverses instances dirigeantes du journalisme camerounais.
Trente années sans discontinuer. L’histoire de ce pur produit de l’ESSTIC et de l’IRIC est à l’image de ce plateau de maitre qui représente une porte qui s’ouvre sur une seconde porte, qui s’ouvre sur une troisième, qui s’ouvre sur d’autres portes qui s’ouvrent sur la fragrance d’une absente.
Christian Wangue surveillait la marche du journalisme comme la couturière suit le lait sur le feu. Un œil sur le fil blanc de son tissu, un œil sur la crème blanche de son lait. Les mêmes doigts d’or sur les deux ouvrages. Il se réclamait d’être mon disciple dans le journalisme comme communication créative.
Et sa promesse faite comme moi de quitter le journalisme était étalée dans l’espace public médiatique comme une symphonie inachevée. Journalisme en congé ? Départ pour les congés ? Eternel retour sur l’ouvrage. Le reporter discret de Radio Cameroun, le challenger d’une émission de littérature à la télévision CRTV, un séjour à CRTV Bertoua, puis l’énigmatique association Contact Média.
Toujours en covoiturage avec Augustin Charles Mbia, Fabien Nkot et d’autres persifleurs qui venaient d’abandonner leurs pseudonymes de boucantiers (Tintamarre sur CRTV FM 94). La suite de l’histoire, c’est des grandes analyses sur la marche des médias publiées dans les Cahiers de Mutations. On reprend les mêmes grands esprits cités plus haut, et on y ajoute les moussaillons vifs d’esprit tel Alain Blaise Batongue. Premier échec du négociateur : il bafouille dans la bataille des vrais fondateurs du titre Mutations Quotidien.
Il rejoint les positions d’atermoiement d’Augustin Charles Mbia, Serge Alain Godong, Kamdem Souop, Thierry Gervais Gango, et le ministre philosophe Ebenezer Njoh Mouelle, qui préconisent comme le roi Salomon le partage de l’enfant disputé par les deux mères. Comme ses compagnons cités plus haut, Christian Wangue ne souvient pas du nom de celui qui a créé le titre Mutations. Un vrai sujet de thèse sur les silences des auteurs du célèbre billet « les mutants ». Il laisse pourrir le dos-à-dos scandaleux entre les faux factieux : Haman Mana s’en ira créer son quotidien Le Jour, et Alain Blaise Batongue continuera le label Mutations.
C’est le moment pour Contact Média de coproduire un magazine pionnier sur la revue de la presse à la radio, une coproduction entre le Poste National de la CRTV et l’association Contact Média de Christian Wangue. Je doute qu’il y ait encore telle cathédrale sur la radio au Cameroun ou sur la CRTV auparavant. Le Club de la presse. Tous les samedis à 9h et 15 minutes. Après le journal de 9h, et après la chronique de Paul Ngougnou en direct de Ngaoundéré. Le générique de ce magazine est extensif ? Plus de cinq minutes ?
Le secret de ces cinq minutes de générique macrocéphale : rien ne peut se faire tant que Christian Wangue et son assistant n’aient apporté les journaux, et bien plus, Christian est le Régisseur Général de la production, parce que c’est lui qui a booké les invités. En trois années, toute l’élite nationale et internationale des médias avait défilé sur le plateau du Club de la presse, véritable fil d’Ariane du domaine.
Ce qui m’est demandé comme analyste média est de passer la parole aux invités, c’est de faire l’effort de transparence, afin de laisser fleurir les tempéraments et les génies. N’est ce pas ? Fabien Nkot. Tous les samedis à la sortie de ces deux heures d’émission en direct, on débriefait chez Mamie BHB à Tsinga.
Vider toute la marmite de bouillie était un accomplissement alimentaire et cérébral estampillé Christian Wangue. Sauf ce samedi matin très particulier ou l’émission en direct est interrompue. Tous animateurs et invités qui étaient sur le plateau sont embarqués dans le panier à salade. Police, suivez nous au poste ! Le plus insolite est que aucun d’entre nous qui avions été dans le studio CRTV ce matin fatal ne se souvenait de quel mot a été le mot de trop qui nous valait ce destin cruel.
Heureux hasard, Christian Wangue et ses gars de Contact Média avaient assuré l’enregistrement de l’émission. Du pinacle au pilori, sans rancune. Certes, nous avons soupçonné un invité permanent, absent ce matin là, d’être allé jouer les Judas Iscariote au cabinet du ministre de la communication. Et puis, n’exigeons pas aux contemporains historiens de l’instant d’écrire l’histoire. Ils seraient tentés de la réécrire.
Autre question, sur un tout autre sujet. L’UJC (Union des Journalistes du Cameroun) estelle dans cette cité ? Quelles sont les dernières personnes qui l’ont rencontrée ?
Le congrès de l’Union des Journalistes Camerounais organisé au monastère du Mont Fébé était probablement un chant du cygne. Christian Wangue est à la manœuvre. Il veut assurer un after convenable à la sortie de Célestin Lingo à la présidence de l’Union. Soit dit en passant, Wangue était tellement fasciné par ce pionnier du journalisme au Cameroun, qu’il en avait impulsé un évènement biographique dans les salons de l’Hôtel Hilton.
Ce génie d’empathie confraternelle avec chacun individuellement et avec tous pour la cause de ce métier aux contours de plus en plus indéfinissables. Efforts vains. Le Titanic UJC a continué d’avancer vers le rocher qui va briser sa coque. Quelques naufragés apparaissent de temps en temps en haillons pour revendiquer des salaires. Incroyable !
Et voilà comment j’ai su que cet homme de l’ombre, homme de cabinet savait réconcilier les plus grands. C’est lorsqu’il n’a pas réussi à imposer son entregent mâtiné par l’esthésie. Tenez. Christian Wangue et ses amis Mbouma, Augustin Charles Mbia, ont invité leur autre amie Myriam Makeba. Au Palais des Congrès de Yaoundé, je joue le rôle d’impresario. Bebe Manga, en majestueuse passionaria de la chanson camerounaise achève son tour sur la scène.
Et lorsque je m’avance pour introduire l’inoxydable combattante de la liberté, j’écarte légèrement le rideau pour lui faire un coucou d’encouragement. Myriam Makeba me dit « Continuez sans moi. Je ne chante pas ce soir ici. ». Je suis assommé, mais je ne m’écroule pas. Je me retourne vers Christian Wangue. Qui met son visage à zéro. Expression du masque de marbre que d’aucuns lui connaissaient. Ce que disent les masques africains ?
Naturellement, l’eau des diverses rivières et l’eau des nuages lourds vont tous à la mer. Et à la mer quelques naufragés récupèrent des bouées de sauvetage. Christian Wangue achève sa course la fleur aux dents : chargé de mission à la Présidence de la République, lecteur assidu de tous les journaux et follower des plumes de tous les oiseaux du journalisme. Il relisait trois fois chaque copie de L’Express, magazine français, avant de le faire lire par… Au conseil d’administration de la SOPECAM, au conseil d’administration de la CRTV, il siège en qualité de représentant de la Présidence de la République.
Il restera en poste longtemps, très longtemps. Parfois, ces lourdateurs de stratégies inutilement secrètes avaient voulu essorer son sourire en grimace. Mais rien n’avait ébranlé son humour, et sa psychologie de fournisseur de cognitions.
En 2020, dans un village de la foret je le rejoins avec d’autres journalistes spécialisés dans la chronique culturelle, dans un atelier d’écriture pour Mosaïques, une revue de critique d’art et de littérature. Les premiers amours reviennent toujours.
Le journalisme à la croisée des TIC et des nouvelles possibilités de la démocratie, a besoin d’être déconstruit sans les cris d’orfraie des hypocrites normativistes. Il faut prospecter des nouvelles qualités et des nouvelles compétences dans l’espace public médiatique. On juge alors le talent des maçons au pied du mur. A vos plumes et claviers. Comme Christian Wangue. De pages en écrans, de moniteurs en modulations de fréquences.
Ecce homo ludens. Lorsque j’ai annoncé mon ultimate solennel à l’ESSTIC, j’ai choisi d’analyser « L’affaire Koumatekel dans les médias », une tragédie à l’hôpital qui s’était conclue par une tragédie pour les médias, surpris par la fulgurance des nouveaux acteurs du news.
Charles Ndongo avait déjà pris place à ma gauche et déroulait un portrait de journaliste (le mien), un chef d’œuvre qu’il pensait manifestement être une salve avant sa propre sortie de scène. Mais qui a provoqué un effet de rappel bis repetita (Charles Ndongo sera nommé Directeur Général de la CRTV quelques heures après ce happening). Christian Wangue assis à ma droite a ensuite prononcé le post scriptum de ma leçon finale.
Ce regard favorable aux jeunes générations ne relevait pas de vœux pieux. Christian rêvait de grandeur pour sa fille. J’ai vu Christian tenir par la main sa fille pour parcourir le magazine L’Express, et aussi pour la conduire à la plage de Kribi en guise récompense pour son succès à l’examen du BEPC. Lors de notre dernier rendez-vous dans sa résidence au camp Hippodrome, le chagrin et l’angoisse menaçaient de s’agripper comme le lierre sur ce mur d’humanités.
Mais nous avons esquissé un sourire en glosant sur l’inimaginable : l’invention de l’écriture des titres par les journalistes camerounais. Ceux qui, comme lui et moi, écrivons en intermittents des médias sommes tentés de prendre le temps de déconstruire les écritures, de nous livrer à ces bifurcations sémiotiques, pour nous reposer de la fadeur des évènements sociopolitiques. Un peu de dadaïsme alors.
J’écris ces mots comme un devoir. Comme qui écrirait son devoir de journalisme, en focalisant sur l’une des valeurs de la nouvelle : la rupture. Mais autant en renonçant à une autre valeur du journalisme de précision : les dates. Renoncer à dater les évènements d’une vie, de peur de dater la mort. Chronique d’un journaliste en congé ?
Le syndrome de Stockholm ? Le dépit amoureux ? Que fais-tu là, Christian ? Le journalisme et toi, vous avez annoncé votre séparation provisoire. Pour un congé, sans date. A présent, dans ce bal des battants, au rythme des chants d’ombre, je te vois. Tu danses avec lui. Pour que cette danse se poursuive éternellement comme en un jeu d’ombres. Tu danses avec lui.